Pour une des rares fois les festivités de Noël, la plus grande fête de nos compatriotes chrétiens catholiques et protestants confondus, coïncide avec la naissance du Prophète
Mouhamed (PSL). C’est comme si le bon Dieu avait voulu lui-même nous mettre d’accord sur l’essentiel en tranchant sur un débat qui n’a pas lieu d’être dans notre pays. On aurait dû nous laisser librement fêter ensemble à l’unisson pour montrer des images fortes de notre cohésion millénaire et rappeler ainsi aux extrémistes de tout bord que le jugement dernier n’appartient qu’au Maitre des mondes.
Le Coran notre livre Saint est claire, nous ne faisons pas de différence entre les Prophètes. Dans un pays où à Tombouctou, ville d’islam et de paix, des illuminés ont pu s’en prendre à des maliens parce qu’ils étaient chrétiens en attaquant pour la deuxième fois des membres du personnel de la radio confessionnelle Tahanint, le peuple aurait certainement aimé voir une autre image, celle de chacun célébrant sa fête dans le respect de l’autre. Mais hélas, le Gouvernement a gâché la fête. Et voici le constat et les quatre erreurs d’analyse que nous reprochons au Couvrement face à une telle décision.
Un Constat amer
Le Conseil des ministres extraordinaire du 21 décembre 2015 a déclaré l’état d’urgence sur toute l’étendue des 1 241 238 Km2 du Mali. La mesure frappe aussi les fêtes de fin d’année puisqu’elle courra jusqu’au du 31 décembre 2015. C’est une première jurisprudence qui n’était pas souhaitable. Ni le Maouloud, ni Noel ni les Fêtes de fin d’année n’ont été célébrés cette année comme avant. Si la mesure avait été réfléchie et préméditée le Gouvernement aurait anticipé en refusant d’accorder des autorisations d’occupation de la voix publique pour des rues marchandes ou ouvrir la Febak.
On se demande si la communauté musulmane acceptera un jour que sa plus grande fête, la tabaski se tienne sous un état d’urgence. Et qui respectera ? Même si le Gouvernement avait des raisons de s’inquiéter pour la sécurité nationale, ce qui est légitime, n’en demeure pas qu’il a péché par une grosse erreur d’appréciation et de pédagogie. Les citoyens ne sont pas des sujets ou des enfants pour lesquels on prend les décisions que l’on croit bonnes pour eux sans leur avis et sans les concerter. C’est un paternalisme qui indique à coup sûr un glissement du pouvoir vers un despotisme d’état.
Et il faut craindre que l’on aille demain assimiler nos prières de vendredi, nos célébrations de mariage et de baptême, à des dangers imminents, ou même interdire les matchs de football au stade omnisports Modibo Keita ou au 26 Mars. Comment a-ton pu prendre une telle décision sans un élément de participation indispensable, la concertation préalable avec les leaders des communautés religieuses ? Et pour des raisons de crédibilité, un Gouvernement ne prend des décisions que s’il les sait applicables par ses moyens, dans l’espace et dans le temps. Il ne doit prendre des décisions que s’il peut en contrôler la mise en œuvre contre d’éventuels abus de la part de certains de ses commis zélés.
Beaucoup des agents d’exécution de l’Etat n’attendent que de telles décisions pour déplumer encore davantage le pauvre citoyen qui peut se défendre en ville mais pas dans nos campagnes. Déclarer l’état d’urgence sur toute l’étendu du territoire pour empêcher les citoyens de fêter normalement est inadmissible dans une Démocratie. Les fêtes religieuses et de fin d’années sont des droits de la citoyenneté. Pour un peuple qui n’a pas une culture des vacances, le citoyen qui a travaillé dur toute l’année a droit de fêter le nouvel an et surtout quand ces rares moments de réjouissances nationales coïncident avec des fêtes religieuses.
Le rôle de l’Etat est de s’organiser en prenant les dispositions et les mesures nécessaires pour que le citoyen fête dans la paix et la sécurité. Il ne peut pas fuir ses responsabilités en sanctionnant le pauvre. Le Gouvernement a pêché par quatre erreurs d’analyse : Premièrement, dans le contexte de notre pays où on a besoin d’éprouver nos forces armées et de sécurité ces genres d’événements offrent toujours l’occasion de tester leur capacité d’anticipation, de maintien et de gestion des crises de foule et de développer le reflexe qu’il faut avoir face à des dangers imminents. Ce n’est que de cette façon que nous arriverons à construire une capacité nationale de résilience sécuritaire, de maintien de la paix et de riposte. C’est de cette façon que les pays qui nous aident aujourd’hui se sont formés et se sont préparés à parer à toute éventualité. Mais face au défi nous avons préféré la facilité en nous rétractant sur ce qui aurait dû être un moment de test.
Deuxièmement, l’autre lecture que l’on pourrait avoir de cette décision et que le gouvernement semble avoir pris faits et causes pour la tendance des religieux orthodoxes aujourd’hui à la tête du Haut Conseil islamique pour qui la célébration du Maouloud n’est pas admissible. Le Gouvernement le sait, la célébration du Maouloud ne fait pas l’unanimité au sein de la Ouma islamique.
A l’opposé des orthodoxes salafistes, l’autre tendance plus modérée représentant la croyance de la grande majorité de nos fidèles musulmans pensent qu’il n’y a jamais d’occasions de trop pour magnifier la toute puissance divine et l’incarnation de son message à travers le jour béni de la naissance de son prophète, Mouhamad (PSL). Donc prendre une telle décision dans un tel contexte c’est pour beaucoup une prise de position du Gouvernement. C’est donc une décision lourde de sens pour bien des maliens.
Troisièmement, il faut dire que sur un point de vue du Droit l’état de siège n’est pas un jouet et on ne s’amuse pas avec. Dans un pays il y trois états à savoir, la normalité et l’état de siège qui est le summum de l’insécurité dans un pays et qui constate et gère un danger imminent. Entre les deux nous avons l’état d’urgence dont l’objectif premier est de prévenir d’un danger imminent. Le danger imminent n’est pas la supposition du danger mais d’un fait d’insécurité réel. Le 22 mars 2012 était un danger imminent, l’occupation des régions du nord en avril 2012 étaient des dangers imminents pour le sud et justifiaient amplement qu’on décrète un état d’urgence ou même de siège.
La loi du 10 août 1987 relative à l’État de siège est claire, « l’État d’urgence peut être déclaré sur une partie ou sur toute l’étendue du territoire de la République du Mali, soit en cas de péril imminent, résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas de menées subversives compromettant la sécurité intérieure, soit en cas d’évènements présentant, par leur nature et leur gravité, un caractère de calamité publique ». Mais l’insécurité dans laquelle nous sommes actuellement ne présente pas le caractère d’un danger imminent au sens de la Constitution.
Il faut vivre avec en renforçant seulement au maximum les mesures de police administrative. L’état d’urgence et l’état de siège sont comme les deux dernières balles d’un chasseur pris entre deux dangers dont chacun peut lui coûter la vie. On en conviendra qu’il voudra bien les utiliser à bon escient. Et du point de vue de la pédagogie démocratique on ne s’amuse pas avec l’état d’urgence. Ce n’est une méthode de gestion normale d’un Etat, c’est trop sérieux. S’il s galvaudé le peuple finira par ne plus lui accorder de crédit. Et quand il faudra vraiment la décréter plus personne n’y apportera l’attention qui lui sied de danger imminent.
Quatrièmement, l’autre déficit fut le manque de communication sur les questions que les maliens pouvaient se poser au sujet d’une telle décision. L’essence de la Démocratie reste le débat républicain. La communication gouvernementale est en ce moment catastrophique. Le gouvernement communique trop sur des peccadilles et occulte d’en faire sur les vrais questions. On aurait pu anticiper et faire l’économie des mille interprétations si la communication gouvernementale avait à travers nos media d’Etat organier des débats et des éclairages sur le contenu de la loi N°87-49/AN-RM du 10 août 1987 relative à l’État de siège et à l’État d’urgence qui a abrogé l’ordonnance coloniale N°35/PC-G du 23 mars 1959 portant loi organique sur l’État d’urgence, et son décret d’application N° 247/PG-RM du 28 septembre 1987.
Pour le dernier éditorial d’une année 2015 qui s’achève il ne pouvait à dessein qu’être long pour combler le vide de quelques semaines de congé que prendra votre journal. On reprendre du service avec de bonnes résolutions le 18 janvier 2016. Bonne et Heureuse Année 2016 à tous nos Lecteurs !
O’BAMBA
Source: InfoSept