Les syndicats s’opposent l’un à l’autre, alors que la collaboration entre le département de tutelle et la Direction de la société pourrait être meilleure
En apparence, les divergences semblent faciles à identifier entre les différents protagonistes. Ainsi, c’est la rumeur sur la signature d’une convention entre le Mali et la Chine qui divise les syndicats de cheminots deTransrail depuis un certain temps. L’une des parties affirme son soutien sans réserve au département de tutelle dans cette affaire alors que l’autre s’insurge sur la manière de traiter un dossier qui – selon elle – intéresse au premier chef les travailleurs. Voilà pour les apparences. Mais lorsqu’on examine les choses en profondeur, on se rend compte que la différence d’appréciation de l’avenir des chemins de fer du Mali met aussi face à face le département de tutelle et la direction de Transrail.
Lors d’une conférence de presse tenue à la bourse du Travail, le Syndicat des travailleurs du rail (Sytrail), emmené par Mahamane Tienta avait dit soutenir la signature d’une convention entre le Mali et la Chine pour le renouvellement de 700 kilomètres de rail. Aux yeux des syndicalistes, cet accord constituerait une chance inespérée de résoudre le plus gros souci de Transrail. En effet, dix ans après la mise en concession de la ligne Bamako-Dakar, l’état de la voie constitue une source de préoccupation majeure, dont la solution parait largement au-dessus des moyens des deux Etats et du concessionnaire. Une première évaluation pour le renouvellement de la voie faisait ressortir la nécessité de mobiliser près de 160 milliards de Fcfa. Entretemps, la voie continue de se dégrader et la vitesse commerciale a chuté jusqu’à être aujourd’hui inférieure à 70 kilomètres/heure. Si la situation devait perdurer, certains n’excluent tout simplement pas un arrêt du trafic. C’est pourquoi l’annonce d’une convention de renouvellement est la bienvenue, surtout si comme il est annoncé, le rail actuel devait être remplacé par des rails de dimension standard. Les conférenciers de Sytrail ont donc exprimé leur incompréhension face à l’attitude de ceux qui n’adhéraient pas sans réserve au projet. Ce faisant, ils pointaient un doigt accusateur vers les responsables syndicaux de l’autre tendance, celle dirigée par Abdoulaye Berthé (la section syndicale unique de Transrail).
Abdoulaye Berthé et ses camarades que nous avons rencontrés au siège de leur syndicat se sont évertués à éclaircir leurs positions. Ils ont affirmé ne pouvoir être en aucune façon opposés à un projet de renouvellement de la voie. Par contre, ils ont dénoncé la façon dont, selon eux, le département conduit ledit projet. Pour eux, une entreprise aussi décisive pour l’avenir des rails et par conséquent des cheminots ne peut être discutée sans la participation de ces derniers. Leur volonté est par conséquent d’être associés au projet pour faire prendre en compte leur avis.
LA PRUDENCE EST DE MISE. Qu’en pense-t-on au département de tutelle ? Au ministère de l’Equipement et des Transports, un constat premier s’impose : les questions liées à Transrail agacent fortement plus d’un. Et la plupart de nos interlocuteurs n’ont guère envie d’aborder la question. Mais quand ils finissent par s’exprimer, on comprend très vite que le courant passe mal entre la direction de Transrail et son ministère de tutelle. Les responsables que nous avons rencontrés ont en tout premier lieu nié la signature d’une quelconque convention entre le Mali et la Chine pour le renouvellement de la voie. Ce qui est réel, c’est que le département est préoccupé par la situation du rail et qu’il est en train d’explorer tous les scénarios possibles pour y trouver une solution. C’est dans ce cadre qu’il a signé le 6 novembre dernier un mémorandum d’entente avec un partenaire chinois, la China Railway Construction Corporation-International.
« De manière à résoudre de façon efficace et durable la problématique du secteur des transports, le gouvernement du Mali, après avoir conçu et mis en œuvre un ambitieux programme de construction et de réhabilitation d’infrastructures et d’équipements routiers de transport, a voulu axer sa démarche sur la promotion, la modernisation et la rationalisation des transports ferroviaires, la sécurisation des usagers et des populations en général et la préservation de l’environnement », lit-on dans le préambule du mémorandum. Il s’agit donc par cet acte de permettre à l’entreprise chinoise d’examiner la situation du rail dans notre pays et de se déterminer sur la possibilité de s’y intéresser. On en est encore à ce stade, donc parler de convention est largement prématuré, expliquent les techniciens du département. La prudence est d’autant plus de mise que le ministère, dans sa recherche de solutions, a déjà signé plus d’une douzaine de mémorandums de ce genre, le premier l’ayant été avec une société indienne que personne n’a plus jamais revue. Au département, on confirme ce que disait Mahamane Tienta et que niait Abdoulaye Berthé, à savoir qu’une délégation chinoise est venue dans notre pays et a fait quelques contacts.
La difficulté avec Transrail, pense-t-on au ministère, c’est la difficulté à travailler avec la direction laquelle s’ingénie à créer les conditions d’une collaboration impossible. Des exemples ? On cite le refus de la direction de répondre à plusieurs requêtes du ministère. Illustration symbolique de ce manque de coopération : c’est seulement à la veille du conseil d’administration devant se tenir à Dakar que le département en a été averti par une correspondance. Ce qui agace le plus, c’est ce qui est considéré au ministère comme une instrumentalisation d’une partie du syndicat. Ces jeux là, nous disent nos interlocuteurs, paraissent futiles au regard des difficultés bien réelles de l’entreprise Cela fait des années que Transrail est ainsi en retard de paiement de dividendes, d’impôts, d’assurance et de prestations sociales, indique-t-on. Transrail doit par exemple plus de 3 milliards à l’INPS et tourne sans assurance. Ces difficultés menacent la survie même du rail si rien n’est fait.
À Transrail aussi on ne mesure pas ses reproches envers le département. Ici, la conviction est que le ministère outrepasse ses droits et mène plutôt ce qui est désigné comme un autre combat. Pour ne rien arranger, les travailleurs sont divisés et chaque syndicat soutient un camp. Ainsi que nous le disions précédemment, les choses sont beaucoup plus compliquées que les divergences sur une (hypothétique) convention de renouvellement de la voie.
A. LAM