D. se donnait un peu trop de libertés au goût de son propriétaire. Qui chercha à s’en débarrasser au plus vite
A Bamako, on parle souvent de l’enfer de la location. L’expression est justifiée à plusieurs égards. Tout d’abord, parce qu’à cause de l’explosion démographique, il est de plus en plus difficile de trouver un logis tout à la fois bien situé, à un prix abordable et proposant un confort minimum. Tout bâtiment réunissant ces trois critères se trouve le plus souvent hors de portée de la bourse du Bamakois moyen. Celui-ci doit donc bon gré mal gré se chercher un toit dans la lointaine périphérie où les loyers sont encore abordables, mais où les habitants sont confrontés à des problèmes de déplacement complexes.
L’autre face de l’enfer de la location, c’est bien sûr les propriétaires. Un ami nous racontait un jour que partageant la même cour que celui qui lui louait sa maison, il n’osait pas donner l’impression de mieux vivre que le propriétaire ou d’être plus à l’aise matériellement que lui. Si jamais j’ai l’air trop heureux, il va me faire payer plus cher », nous expliquait-il. Ce qui n’est pas faux. Mais il arrive aussi que les conflits viennent non pas du propriétaire, mais du locataire. Et c’est le sujet de notre article du jour.
Les faits. Nous étions un vendredi, le soleil se rapprochait du zénith. Comme toutes les semaines à cette heure-ci, les fidèles musulmans se préparaient à se rendre à la mosquée. Mais ce jour là, une animation inhabituelle régnait dans les alentours de la brigade territoriale (BT) de la gendarmerie de Faladjé. Une foule compacte était massée là. Au milieu de ces curieux, un homme, le dos voûté et d’un âge visiblement avancé, soliloquait à très haute voix. « Je ne saurais tolérer un tel comportement de la part de quelqu’un qui a logé chez moi depuis près de deux ans. J’en ai marre de lui, il faut qu’il foute le camp de chez moi. Et il doit le faire pas plus tard qu’aujourd’hui… »
UN LOCATAIRE MÉTICULEUX. Les yeux rougis par la colère, le vieillard qui donnait l’impression de littéralement bouillonner, attendait le retour d’un agent de la BT pour faire sa déposition. Il voulait, disait-il, porter plainte contre celui qui, avec femmes et enfants, a occupé un de ses appartements depuis environs deux ans. Le vieillard plaignant, que nous désignerons par ses initiales O.K., disait ne vouloir qu’une seule chose : obtenir des gendarmes que ceux-ci l’aident à mettre dehors manu militari le locataire devenu indésirable. Mais que s’était-il alors passé entre O.K. et celui qu’il a pris en détestation ? Prié d’expliquer la situation, le vieux raconta que le locataire en question, un certain D. Diarra, est arrivé dans la capitale venant de son Kolokani natal il y a environ cinq ans. Depuis, il avait migré à travers Bamako en se trouvant en location dans divers quartiers de la capitale, sur la rive droite avant de venir chez O.K. à Dianéguila en Commune VI. Là, il aura un toit sous lequel il donnait l’impression de bien se plaire.
Sans pouvoir expliquer les raisons qui avaient poussé son locataire à changer si souvent de domicile, sans trouver un point fixe où il pouvait s’installer durablement avec sa famille, O.K. dit avoir sa petite idée sur ces déménagements successifs. Ceux-ci seraient liés au caractère et au comportement très particuliers de celui qu’il avait considéré comme un des siens durant tout le temps qu’ils ont passé ensemble dans la même cour. Notre interlocuteur a décrit Diarra comme un homme qui un bon fond et un locataire méticuleux qui s’acquitte régulièrement de ce qu’il doit au propriétaire de la maison. Mais son seul défaut, a souligné le vieux, c’est qu’il entreprend toujours des choses dans la cour où il loge sans le consentement du propriétaire lui-même. Plus grave, il lui arrive aussi d’agir contre le gré du maître des lieux. « Très honnêtement, ce monsieur s’acquitte sans faute de ce qu’il me doit chaque mois depuis qu’il est chez moi. Mais son problème, c’est autre chose », a avoué le vieux O.K. d’un ton calme.
FINIR LES PIEDS DANS L’EAU. D. Diarra a posé deux actes que le vieux n’a jamais pu digérer. Le premier concernait l’aménagement d’un couloir de la concession commune. Le locataire a entrepris d’aménager cet espace pour y construire un abri pour volailles. Notre interlocuteur (le plaignant) reconnaît que Diarra avait évoqué ce projet plusieurs fois au cours de leurs causeries. Mais O.K., en tant que propriétaire, ne lui avait jamais prêté une oreille réceptive. A sa grande surprise, il se rendit tardivement compte que le locataire, comme il nous l’a dit, « était au sérieux ». Ce sérieux, le locataire D. Diarra ne tardera à le démontrer. Un beau matin, il commença à déblayer un coin de la cour. Lorsque O.K. lui demanda ce qu’il voulait faire là, la réponse de Diarra a été très claire. « Je vais commencer à construire mon poulailler comme je te l’avais dit. Dans quelques jours je dois recevoir un frère du village avec lequel j’ai déjà parlé, et je l’ai chargé de m’amener quelques oiseaux», lui aurait répondu D. Diarra.
Comme il fallait s’y attendre, un tel aplomb provoqua une vive réaction de la part du propriétaire de la maison. Le vieux se mit en colère et dans des termes très fermes il indiqua à son locataire qu’il ne pouvait tout se permettre dans une maison qui n’était pas la sienne. La dispute entre les deux hommes fut très vive. Finalement, les voisins qui avaient été attirés par les éclats de voix ramenèrent à la raison le locataire obstiné. Celui-ci finira par laisser tomber son projet et se serait même confondu en excuses auprès du vieux O.K. pour s’être comporté de manière aussi cavalière. Cet incident a donc été évacué et les deux hommes ont continué à vivre ensemble dans la même cour comme si de rien n’était.
Plusieurs mois passèrent. Puis Diarra revint avec un autre projet, cette fois-ci beaucoup plus réaliste. Il voulait refaire la toiture en tôle d’une chambre de l’appartement qu’il occupait avec sa famille. Pour cela, il avait évoqué des raisons qui étaient réelles. En fait, cette partie de la toiture qui était celle d’une des chambres à coucher laissait passer l’eau. Durant l’hivernage, il était pratiquement impossible pour les enfants de Diarra de passer la nuit dans la pièce au risque de finir les pieds dans l’eau. Sur ce point, le propriétaire a reconnu le bien-fondé de la motivation de son locataire.
SON MAL EN PATIENCE. Mais O.K. a tenu à faire une remarque, et non des moindres. Il aurait demandé à son locataire de lui donner un délai pour rassembler l’argent nécessaire à la réfection de la toiture, opération dont il prendrait le coût à sa charge. Son interlocuteur ne rejeta pas sur le champ cette contre-proposition. Mais il revint ensuite pour répéter son intention première. Et, sans attendre une décision consensuelle dont ils auraient pu tous les deux discuter, Diarra se serait présenté un jour accompagné d’un menuisier pour défaire les tôles dans le but de les remplacer. « Je crois qu’il est allé trop loin. Il prend des décisions dans ma maison pour me les imposer sans me consulter », a raconté O.K. sans cacher son indignation à l’adjudant-chef M. Touré de la BT qui l’avait reçu.
Cette décision de D. Diarra a donc été la goutte de trop pour le vieux qui a affirmé avoir tout fait (ou presque) en vain pour dissuader son locataire. Pour en finir définitivement avec un homme qui était devenu pour lui gênant et insupportable, il a décidé d’aller se plaindre à la gendarmerie. « Je suis venu vous voir ici juste pour m’aider à faire partir de chez moi ce monsieur qui ne veut rien comprendre », ne cessait-il de répéter devant l’officier de gendarmerie.
Les spécialistes à la brigade ont essayé patiemment de faire comprendre au propriétaire que la gestion des affaires de ce genre relève plus d’un huissier que d’une BT. «Mais nous allons convoquer Diarra et quand il sera là, nous ferons de notre mieux pour qu’il ne refasse pas ces choses là », a indiqué l’AC Touré.
Pour en avoir plus d’informations sur le traitement éventuel de cette affaire, nous avons pu joindre un huissier de la place. Au bout du fil, notre interlocuteur qui a requis l’anonymat a été clair. « Bien sûr, nous a-t-il dit, nous avons dans nos missions la gestion de telles affaires. Mais cela répond à des dispositions bien précises définies par la loi qui régit la location». D’après certaines de nos sources, il semblerait que le vieux O.K. n’est pas dans cette légalité et qu’il ne peut pas expulser Diarra. Dans son cas, il va devoir prendre son mal en patience en attendant que les gendarmes remettent de l’ordre dans les idées de D. Diarra.
MH.TRAORÉ