Un triple constat qui s’avère de plus en plus évident : l’opposition malienne est amorphe ; elle est devenue quasiment aphone ; pire, elle est désunie et en désaccord. Aujourd’hui, cette entité politique, formée à grande publicité médiatique au lendemain de la mise en place des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale, semble se réduire à (seulement) deux voix -celles de l’Urd et du Parena- auxquelles on pourrait joindre dans une moindre mesure, une présence sporadique des Fare An ka wuli.
Mais, le plus dramatique, c’est que ces quelques rares partis qui animent ( ?) la scène politique, le font en rangs dispersés, de sorte qu’il n’y a aucun impact dans leurs actions. Pour couronner le tout, des dissensions et des divergences de vue s’invitent régulièrement dans leurs débats chaque fois qu’ils daignent une action concertée et commune. Sans oublier la création de regroupements ciblés qui excluent de leur champ certains partis d’opposition, à l’image du Pôle de la gauche républicaine, démocratique et sociale duquel l’Urd ne peut faire partie, étant un parti libéral. Sacré opposition !
Quel genre d’opposition existe-t-il au Mali ? Cette question vaut d’autant plus la peine d’être posée que beaucoup de Maliens envient le contrepouvoir tel qu’il est mené par l’opposition et la société civile au Burkina Faso et en Guinée Conakry, pour ne citer que ces deux exemples. « Comparaison n’est pas raison », mais ça bouge chez les voisins, où les dirigeants sont poussés au travail ou vers la sortie et au respect du peuple.
Qu’en est-il de l’opposition malienne ? Trois caractéristiques majeures fondent la configuration actuelle de ce regroupement politique au Mali : la passivité, la désunion et la division.
L’opposition malienne peut être considérée effectivement comme passive à la lecture de la situation générale du Mali. En effet, sa quasi indifférence face à la situation politico-sécuritaire du pays ainsi qu’au marasme économique et aux souffrances des citoyens dépourvus jusqu’au minimum vital, est une preuve. Son inactivisme avéré face aux dérives du régime, en est une autre.
Elle a certes inscrit son action dans le cadre républicain et démocratique, ce qui est d’ailleurs saluée et appréciée de tous, mais cela ne devrait nullement empêcher l’opposition de jouer son rôle de force de résistance et de proposition et d’animer sereinement la scène sociopolitique. En un mot, de s’ériger en un véritable contre-pouvoir, dans le respect de l’esprit républicain et démocratique dont elle se réclame.
A notre entendement, l’option républicaine et démocratique ne devrait pas se traduire pour l’opposition par une absence remarquée sur la scène politique, et surtout par un silence (coupable ?) face à l’état de la nation caractérisé par une situation sécuritaire toujours précaire, une gouvernance sans repère, un marasme économique et une crise financière sans précédent, et un accord (d’Alger) qui compromet le caractère unitaire de l’Etat, l’unicité de la nation, l’intégrité du territoire etc.
Pourtant, que de la matière à cogiter ! Que de dossiers pour « chauffer le coin » ! Que de scandales pour couper le sommeil à un chef d’Etat !
D’abord, le contrat d’armement de plus de 69 milliards de FCFA, montant porté à 108 milliards avec l’avenant. Pour un pays qui sortait d’une crise institutionnelle sans précédent, la bourde était proportionnelle au montant injecté dans ce « marché ».
Ensuite, l’achat d’un avion de commandement à 16 ou 21 milliards de FCFA selon les interlocuteurs.
Puis, l’affaire Michel Tomi, la réfection du palais de Koulouba (mise en stand bye), la rénovation de la résidence privée de Sébénicoro, l’affaire de signatures imitées par des conseillers, « Ma famille d’abord », la visite de Moussa Mara à Kidal qui a fait perdre au Mali la 8è région, etc. etc.
Plus récemment, il y a eu les scandales des engrais et pesticides frelatés, des 1000 tracteurs du président.
Sous d’autres cieux, l’opposition et la société civile se seraient fait entendre jusqu’au bout du monde, avec ces « cadeaux » tombés du ciel. Mais, l’opposition malienne, elle, s’est montrée disparate et chacune de ses composantes a agi en solitaire. Les réactions mémorables restent des documents du Parena très pimentés, et des déclarations dans la presse du président de l’Urd et des communiqués du parti de la poignée de mains.
D’ailleurs, ces deux parties, via leurs présidents, constituent les principaux animateurs de l’opposition. Dans une moindre mesure, le parti Fare An ka wuli peut être cité, se remuant de temps à autre.
Le drame, c’est que chaque parti agit en son propre nom, contrairement à une opposition soudée, donc plus forte.
L’une des rares fois que l’opposition a donné un signe réel d’union et d’action concertée, c’était à la faveur du débat autour de l’«Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali issu du Processus d’Alger ». Mais, ce semblant de retrouvailles a fait long feu, le communiqué commun ayant failli consacrer la cassure au sein de l’opposition. Et pour cause : une divergence de points de vue sur des terminologies : « prendre acte » et « se démarquer » de l’Accord. Pendant que le parti Fare An ka wuli se dit favorable à la démarcation pure et simple, les autres membres de l’opposition prônent la souplesse. Finalement, il y a eu deux communiqués pour une seule opposition. On est où ?
Autre dysfonctionnement au sein de l’opposition malienne : la création des initiatives d’exclusion, à l’image du Pôle de la Gauche républicaine, démocratique, sociale et progressiste initié par Dr Soumana Sako de la Cnas-Faso Hèrè, Modibo Sidibé des Fare Anka Wuli et Daba Diawara du Pids. Ce nouveau regroupement, dont le lancement officiel était annoncé pour le mois dernier, entend proposer une autre façon de gouverner et de faire la politique. Il est fondé essentiellement sur l’intégrité.
Dans son manifeste et sa charte, le Pôle de la Gauche malienne édicte des principes qui excluent d’office moult partis politiques maliens dont plusieurs partis de l’opposition. Cas pratique : le Pôle de la Gauche républicaine, démocratique, sociale et progressiste prône une plus grande intervention de l’Etat dans la vie nationale dans un contexte de libéralisme encadré. L’Urd étant un parti libéral est out du regroupement. Il en est de même du Sadi, qui est de l’extrême gauche ; du Rpm, parti au pouvoir; et des partis membres de la majorité présidentielle. Le Parena non plus n’a pas manifesté sa conviction d’adhérer au Pôle. L’Adema n’en est pas membre, pour le moment.
Comment des partis d’opposition, aux idéologies politiques différentes, peuvent-ils agir ensemble de manière efficace ? Telle est la réalité de l’opposition malienne.
Sékou Tamboura
source : L Aube