La vente illicite de médicaments atteint des proportions alarmantes au Mali où des commerçants grossistes se spécialisent de plus en plus dans l’importation de médicaments. Un créneau juteux, mais criminel, qui se développe tranquillement, au point qu’on a dépassé le stade de petits revendeurs de médicaments subtilisés à partir de stocks de structures médicales ou des entrepôts de la Pharmacie populaire du Mali. Désormais, des entrepôts sont entretenus par des importateurs au su et au vu de tout le monde dans des marchés de Bamako. Le triangle Dabanani, Dibida et Marché Rose est devenu l’épicentre du trafic de médicaments falsifiés, avec des quantités impressionnantes qui révèlent la porosité de nos frontières.
Un médicament falsifié, c’est un produit qui leurre le consommateur, lequel croit obtenir le produit médical autorisé authentique, par son étiquetage ou son emballage délibérément trompeur, contenant des indications frauduleuses concernant sa composition, son identité et/ou sa source.
Les conséquences du trafic de produits médicaux falsifiés et de leur utilisation peuvent être considérables pour la santé publique et mortelles pour les patients. La présence de substances actives, de matières premières, d’ingrédients, d’excipients ou de matériaux de conditionnement inappropriés peut être nocive. Même si le médicament falsifié contient les mêmes ingrédients que le médicament authentique, la répartition uniforme de ces ingrédients n’est jamais garantie. Le médicament falsifié peut donc être sur- ou sous-dosé en substance(s) active(s).
Par ailleurs, l’absence de la substance active ou de la pièce/d’un composant déclarés ou indiqués sur l’étiquette d’un produit médical falsifié rend le traitement du patient au mieux inefficace, au pire délétère.
En plus, la qualité d’un produit médical falsifié ou volé, stocké dans des conditions inappropriées, risque de se détériorer. Par exemple, de mauvaises conditions de stockage peuvent entraîner la contamination microbienne de produits injectables.
Finalement, la présence de produits médicaux falsifiés sur les marchés illicites, et parfois même dans les chaînes de fabrication et de distribution légales, peut également saper la confiance des patients à l’égard des systèmes de santé publique et des produits médicaux authentiques.
Au Mali, les saisies de médicaments falsifiés se multiplient certes, mais les quantités récupérées s’avèrent insignifiantes par rapport aux stocks impressionnants introduits frauduleusement dans le pays.
Une activité presque banalisée par des grossistes
Le scandale de fausse chloroquine en cette période de pandémie de Covid-19 rappelle que la protection de la santé passe obligatoirement par l’instauration d’une sécurité sanitaire, laquelle dépend largement d’une organisation du marché pharmaceutique national. Mais à l’intérieur de la capitale, Bamako, il suffit de se promener vers le Grand Marché, notamment au Marché Rose, au Dabanani ou au Dibidani, pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène de trafic de médicaments falsifiés.
C’est devenu une activité presque banalisée par des grossistes, importateurs de surcroit, aux magasins pleins à craquer, ravitaillant des revendeurs qui ne savent parfois ni lire ni écrire et osent se transformer en pharmaciens. Les grossistes se permettent, comme ceux que nous avons côtoyés, de se vanter de fournir parfois des professionnels de la santé ou des pharmacies qui ont pignon sur rue.
Vrai ou faux, ce cartel qui s’installe confortablement est en train de semer le doute chez les populations qui finissent par croire que s’approvisionner dans la rue ou au marché du quartier, c’est du pareil au même.
L’un des grossistes à qui nous avons rendu visite discrètement dans le cadre de notre enquête, possède deux magasins bien achalandés au grand marché de Bamako où se bousculent des revendeurs, hommes et femmes, qui constituent sa principale clientèle. L’un d’eux nous apprend qu’il est demi-grossiste dans la mesure où il s’approvisionne en grande quantité chez le grossiste de Bamako, pour ensuite fournir des détaillants de sa localité. Une véritable chaine commerciale s’est tissée et par conséquent la vente de médicaments se banalise de plus en plus. Les médicaments sont donc vendus comme de simples marchandises, sans aucun contrôle ni restriction, au su et au vu de tout le monde, par des commerçants qui ont trouvé en ce créneau une activité très lucrative.
Depuis quelques années, la question de l’usage abusif du Tramadol est posée. Mais résoudre ce problème n’est possible que dans le cadre global de la résolution de la vente illégale de médicaments qui alimente tout trafic, y compris celui de barbituriques et autres substances psychotropes.
Les stocks viennent de pays voisins du Mali et du Nigéria
Il nous revient que, hormis le nord et le centre du pays qui échappent désormais à tout contrôle de l’Etat et où passent les stocks de Tramadol et autres comprimés utilisés pour se droguier, les stocks de médicaments falsifiés viennent de pays voisins du Mali, notamment certains pays côtiers dont les ports sont utilisés par des cartels bien organisés pour déverser désormais ces poisons sur le continent africain. Il y a aussi le cas du Nigéria qui excelle dans la fabrication de faux médicaments avec de véritables unités industrielles installées un peu partout sur son territoire.
Mais la question qui se pose au Mali et qui mérite une réponse : où passent tous ces importants stocks de médicaments falsifiés pour venir envahir le Pays ? Cela fait naturellement penser à une porosité des frontières !
En un mot comme en mille, il y a lieu de se pencher sérieusement sur cette question et d’y apporter une réponse nationale, avant qu’il ne soit trop tard.
Amadou Bamba NIANG