L’attentat terroriste qui a fait 29 morts et 30 blessés à Ouagadougou et dans le Nord du Burkina est la première attaque djihadiste d’envergure dans ce pays. Dans l’après-midi du 15 janvier les assaillants ont tiré sur une gendarmerie, puis dans la soirée, ils se sont lancés à l’assaut de deux cibles : le Splendid Hôtel et le café Cappuccino situés, eux, dans le centre de la capitale. Immédiatement, ces attentats ont été revendiqués par Al-Quaeda au Maghreb islamique (AQMI) en précisant que c’était sa «filiale» al-Mourabitoune qui était passée à l’action. Cette organisation est dirigée par le djihadiste Moktar Belmoktar.
Le drame survient quinze jours après l’investiture du nouveau Président Roch Marc Christian Kaboré et quatre mois après la tentative de coup d’Etat manqué du général Gilbert Diendéré. Compte tenu de certains faits troublants en provenance de Côte d’Ivoire et des liens qu’entretenaient l’ancien Président Blaise Compaoré et quelques hommes de son clan avec certains chefs djihadiste, il paraît légitime de s’interroger sur les véritables commanditaires de ces attentats meurtriers.
Trois pays interconnectés
Pour comprendre les derniers événements survenus à Ouagadougou, il est nécessaire de les remettre dans leur contexte, celui de l’Afrique de l’Ouest dans l’œil du cyclone. Le Mali, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso sont trois pays interdépendants, à la fois géographiquement, économiquement mais aussi politiquement. Les attaques djihadistes ont été perpétrées trois jours seulement après la mise en place du nouveau gouvernement burkinabè. Quelques jours plus tôt, le 28 décembre, veille de l’investiture du Président Roch Marc Christian Kaboré, un commando d’une vingtaine de personnes a été arrêté à Ouagadougou car il projetait d’attaquer plusieurs casernes de la capitale afin de semer la panique dans la ville et d’en profiter pour faire libérer leurs camarades incarcérés après le coup d’Etat manqué du 16 septembre.
Parmi les personnes emprisonnées qu’il fallait extraire des griffes de leurs geôliers, se trouvaient, bien évidemment, le général Gilbert Diendéré auteur du putsch raté, et Djibril Bassolé, ancien ministre des Affaires étrangères. Coup d’Etat, tentative de déstabilisation et de libération des prisonniers, autant de faits qui prouvent que le camp de l’ancien Président Compaoré rêve toujours de reprendre la main.
La Côte d’Ivoire base arrière du clan Compaoré
Lorsqu’il a été obligé de fuir le Burkina Faso après la révolution d’octobre 2014, Blaise Compaoré s’est exilé en Côte d’Ivoire avec quelques-uns de ses plus proches conseillers. Ce pays est donc devenu la base arrière de l’ancien président et de son clan. Quelques jours avant le coup d’Etat, Gilbert Diendéré était à Abidjan. Étrange retournement de l’histoire, puisque jusqu’en 2011, c’est le Burkina Faso qui servait de base arrière à Guillaume Soro, ancien chef rebelle et actuel Président de l’Assemblée Nationale et à ses amis des Forces Nouvelles. Les liens qu’entretiennent Guillaume Soro, Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré sont anciens, ils datent de 2001. C’est à cette époque que le Burkina a formé, armé et aidé matériellement les rebelles. Guillaume Soro entretient des liens presque filiaux avec Blaise Compaoré.
L’implication du Président de l’Assemblée Nationale ivoirienne dans le coup d’Etat au Burkina
Désormais, il ne fait plus aucun doute que Guillaume Soro a joué un rôle notable lors du coup d’Etat du général Diendéré. Des écoutes téléphoniques entre le deuxième personnage de l’Etat de Côte d’Ivoire et Djibril Bassolé ont été interceptées et ont révélé son implication. Au cours de cette conversation, d’une durée de 16 minutes, le Président de l’Assemblée Nationale ivoirienne propose de l’argent pour aider financièrement les soldats qui combattent aux côtés de Gilbert Diendéré, puis, il explique doctement sa stratégie pour déstabiliser l’armée burkinabè. «On frappe un commissariat ou une gendarmerie au Nord et puis on frappe là…» Si Guillaume Soro nie la paternité de cet échange, sa véracité ne fait pourtant aucun doute. Il a d’ailleurs été versé au dossier judiciaire instruit par le tribunal militaire de Ouagadougou.
Faits troublants
À quel jeu joue Guillaume Soro dans la sous-région ? À la lumière des informations recueillies par l’IVERIS cette question s’avère cruciale. En effet, depuis quelques semaines, Guillaume Soro a recruté une petite centaine d’anciens soldats de l’armée malienne. Des recrutements de combattants ont également été effectués dans tout le Mali pour le compte du Président de l’Assemblée Nationale ivoirienne. Les nouvelles recrues sont arrivées en car et par petits groupes de cinq à six personnes jusqu’à la ville de Ségou devenue un carrefour des arrivées de combattants en provenance de plusieurs localités du Mali.
Sous couvert de recrutement dans les mines d’or ivoiriennes, ces jeunes hommes étaient ensuite convoyés à Katiola. Cette commune n’a pas été choisie au hasard. D’une part, elle se situe à 50 km de Bouaké, fief du Président de l’Assemblée nationale. D’autre part, selon des sources ivoiriennes, elle abriterait un important arsenal militaire. Les contacts de Guillaume Soro avec AQMI passent par l’ancien conseiller de Blaise Compaoré, Mustapha Chafi, un Mauritanien d’origine qui réside en Côte d’Ivoire depuis la chute de son mentor. Cet homme de l’ombre est proche de Moktar Belmokthar avec qui il a négocié pendant des années la libération de nombreux otages occidentaux.
L’autre proche du Président de l’Assemblée Nationale est Ben Maouloud, ce narcotrafiquant fut le bras droit de l’ancien président malien Amadou Toumani Touré, il vit également en Côte d’Ivoire depuis le coup d’Etat de 2012 qui a renversé le Président malien. Mustapha Chafi et Ben Maouloud sont tous deux des arabes proches de Moktar Belmokthar et de ses lieutenants notamment de Yoro ould Dah très actif à la frontière du Mali et du Niger. Lors de leur conversation téléphonique, Guillaume Soro et Djibril Bassolé évoquent à plusieurs reprises le surnom de Mustapha Chafi.
La fuite en avant
Certes, il ne fait aucun doute qu’AQMI et la branche de Moktar Belmoktar al-Mourabitoune aient revendiqué les attentats du 15 janvier à Ouagadougou, d’autant qu’ils offrent une vitrine médiatique forte à leurs organisations et leur permet de gagner des points dans leur guerre de communication et d’influence avec l’organisation de l’Etat islamique. Néanmoins, la déstabilisation des nouvelles autorités du Burkina Faso poursuit le même objectif que celui de Blaise Compaoré. D’autant que la justice burkinabè vient de demander son extradition aux autorités ivoiriennes dans le cadre de l’assassinat de l’ancien Président Thomas Sankara. Quant à Guillaume Soro, l’étau se resserre autour de lui. Depuis quelques mois, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, qui, malgré ses nombreuses exactions, avait réussi à passer entre les gouttes, encaisse les coups durs.
Le jour de l’attentat de Ouagadougou, la justice burkinabè a lancé un mandat d’arrêt international contre lui, avec demande d’extradition dans le cadre de sa participation au coup d’Etat du 16 septembre. Il a également du fil à retordre avec la justice française. La juge Sabine Kheris a émis un mandat d’amener contre lui le 7 décembre dernier dans le cadre de l’instruction du dossier de Michel Gbagbo, fils de Laurent Gbagbo. Alors qu’il était à Paris en visite privée, il a réussi à fuir la France grâce à un ordre de mission signé par le Président Alassane Ouattara, le mandatant à postériori comme membre de la délégation de la COP 21.
Enfin, lui et les chefs de la rébellion ont au-dessus de la tête l’épée de Damoclès de la justice internationale. La Cour Pénale internationale (CPI) a toujours exprimé la volonté de ne pas juger un seul camp. À quelques jours de l’ouverture du procès de Laurent Gbagbo, qui se tiendra à partir du 28 janvier, la tension dans le camp des ex-chefs rebelles est à son comble. Quand la CPI émettra-t-elle des mandats d’amener ? Enfin, sur le plan de la politique intérieure, Guillaume Soro a perdu la bataille de la succession d’Alassane Ouattara, qui le soutient comme la corde soutient le pendu. Le Président de l’Assemblée Nationale se retrouve le dos au mur.
Dans ces conditions, il ne paraît pas étonnant qu’il adopte la stratégie de la terre brûlée. Enfin, les attentats de Ouagadougou posent d’autres questions cruciales sur l’action et l’efficacité des services de renseignement(I). Si en cette période de transition, la fragilité des services burkinabè peut se comprendre, les défaillances des services ivoiriens, maliens, français et américains- ces deux pays ayant des bases de leurs forces spéciales à Ouagadougou, l’opération Barkhane couvre également le Mali- sont inexplicables. Dans une période où le Mali, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso sont dans la tourmente, comment ne pas scruter à la loupe tous les événements et regarder les réalités de ces pays pour comprendre ce qui s’y passe et être en situation de réagir ? En Afrique, le recrutement de combattants ne peut pas passer inaperçu. Les populations locales savent. Et elles parlent…
Leslie VARENNE
Directrice de l’IVERIS
Source: Le Reporter