Je suis presque sûr qu’elle ne réalise pas le grand foutoir dans lequel elle a plongé le pays. Si, si, je pèse mes mots, elle a transformé le pays en un vaste foutoir où pour le moment personne ne sait comment on va s’en sortir. Je me rappelle toujours du jour de la proclamation des résultats. Tous ceux qui l’ont suivie à la télévision l’ont vue quelque peu agitée, confondant les communes (l’exemple de Badalabougou alors qu’on lisait les résultats de la Commune IV), donnant des résultats qui ne figuraient pas dans l’arrêt (cas de Yanfolila). La gêne qu’elle provoquait chez les autres sages et les protestations polies ne l’étouffaient pas outre mesure.
Elle donnait l’impression d’être en mission commandée ; donc rien ne pouvait ni la détourner ni l’émouvoir. Est-ce que cela vaut encore la peine que je vous dise de qui je parle puisque vous avez deviné qu’il s’agit de Mme Manassa Danioko, présidente de la Cour constitutionnelle. Et à la fin, quand tous les autres (les sages, les politiciens, le ministre porte-parole, etc.) avaient l’impression que le toit de la maison venait de tomber sur leur tête, Manassa trouve quand même le moyen de déclarer à la fin : « ceux qui n’ont pas eu de chance, revenez la prochaine fois ». Je n’oserai pas parler de culot la concernant de peur qu’un esprit tordu ne pense que c’est le masculin de culotte. Mais il faut reconnaître qu’elle ne se rendait même pas compte du (big) bazar qu’elle venait de provoquer. Quelqu’un qui la porte en très haute estime pense qu’avec l’âge, il se pourrait que la lucidité ne soit pas toujours au rendez-vous.
Aujourd’hui, le monde entier la regarde. Elle est impassible. Elle reste de marbre. Toute la bronca soulevée en son encontre ne lui dit absolument rien. Elle est vouée aux gémonies, elle reste droite dans ses bottes. Le Président de la République annonce qu’il y aurait moyen de dissoudre la Cour constitutionnelle, cela ne l’émeut pas outre mesure. La mission de la CEDEAO qui a fait un tour chez nous a vite fait d’identifier l’origine de la pagaille actuelle. Elle ne recommande ni plus ni moins que la dissolution de la Cour constitutionnelle entre autres remèdes de cheval, la Manassa garde encore la banane. Le Conseil national de la société civile prescrit de mettre Manassa au chômage pour que le pays puisse retrouver le calme, la tranquillité et reprendre le travail, cela a sur elle l’effet de l’eau qui coule sur les plumes d’un canard. Quand il y a eu la démission de quatre des huit membres de la Cour (le neuvième avait été rappelé à Dieu quelques jours auparavant), je suis de ceux qui pensaient qu’elle allait suivre le mouvement et annoncer qu’étant donné qu’aucun sacrifice n’était grand pour le Mali, elle et les autres allaient rendre le tablier. Je pense que nous nous sommes trompés dans les grandes largeurs. Ils sont irréductibles. Ils ne veulent rien lâcher. La balle est dans le camp du président de la République qui peut, sur la base des mesures exceptionnelles que lui confère la Constitution, mettre fin à cette histoire qui n’a que trop duré. Une histoire qui ne grandit personne. En toute honnêteté, je dois dire que Manassa (je ne m’acharne pas sur elle, mais il se trouve qu’elle est la Présidente de la Cour constitutionnelle donc premier responsable de l’institution) et ceux qui l’ont laissé faire ou qui l’ont aidé à faire ou qui l’ont incité à faire ce qu’on leur reproche aujourd’hui, ont rabaissé la Cour. Une institution qui devait être fière de son indépendance, de son irréprochabilité, a été mise à la remorque de l’Exécutif (dans le mieux des cas). La débandade qui la frappe constitue pour le moins une preuve que toutes les reproches ne sont pas infondés. Si je peux la rassurer, je dirais qu’il y a eu des faits tout aussi graves en 2002, en 2007 et en 2013. Je me rappelle du titre d’une de nos parutions, « Ces hommes sont dangereux », pour dépeindre l’attitude inqualifiable des Sages. Et voilà que l’histoire nous donne malheureusement raison, ils sont effectivement dangereux. Si ça peut les rassurer, peut-être qu’ils n’ont pas fait pire que les autres. Ils ont juste ajouté une goutte supplémentaire dans un vase déjà plein ; c’est ce qu’on appelle la dernière goutte qui fait déborder le vase.
Mais la vérité, c’est que Manassa n’est pas la seule à se défendre avec l’énergie du désespoir. Il y a aussi les députés avec leur Président en tête. Même si les rangs ne sont pas serrés, les députés ne se lâchent pas (hormis les trois députés de Yéléma qui ne sont pas contre une dissolution de l’institution) : sauver le bateau parlementaire. Comme on dit chez nous, « tous les passagers de la pirogue souhaitent une bonne traversée ». Celui que ses amis, les anciens de l’AEEM, appellent affectueusement Moussa béssé tigui (si, si, c’est avec beaucoup d’affection qu’ils l’appellent ainsi sur un air presque nostalgique) a vite pris le taureau par les cornes. Doublement concerné (il est non seulement président de l’AN mais il figure parmi les élus à problèmes qu’on qualifie de nommés par Manassa), Moussa fait feu de tout bois. Face à la déflagration qui menace d’emporter l’hémicycle et ses occupants, Moussa a déclaré dans un premier temps que le Président de la République n’a pas pouvoir à dissoudre l’assemblée nationale. « Nous devons tant que c’est possible éviter la jurisprudence. Si on se réfère à la Constitution, on ne peut pas dissoudre l’Assemblée nationale. Il y a une mauvaise lecture de beaucoup de gens qui pensent qu’on put dissoudre l’institution », fermez le ban. Très en verve, le président de l’Assemblée nationale met en garde contre ceux qui veulent dissoudre toutes les institutions. « De fil en aiguille c’est le Mali qui sera occupé complètement par les djihadistes. Beaucoup qui marchent sont des djihadistes ». Mais le président Timbiné n’est pas le seul à montrer des talents et une expertise insoupçonnés. Il y a « Le Club des députés du peuple » qui a vu le jour dans cette pagaille sous la houlette du nouvel élu de Kayes Aliou Boubacar Diallo. Lui et ceux qui sont avec lui proposent de couper la poire en deux. Il ne sert à rien de dissoudre l’Assemblée toute entière ; qu’on vide juste les pestiférés du lot qui sont une trentaine et qui arrivent des circonscriptions à problème. Nous sommes prêts à attendre la reprise des élections dans ces circonscriptions laissent-ils entendre. Et pour faire bonne figure et ne pas donner l’impression qu’ils sont des lâcheurs, ils proposent avec fermeté la démission de la présidente de la Cour constitutionnelle. Mais à l’opposé de ceux qui farouchement à la dissolution de l’Assemblée et de ceux qui voudraient bien donner quelques collègues en pâture pour sauver leur tête, il y a ceux qui n’ont peur de rien et qui sont prêts à ce que l’Assemblée nationale, dans sa forme actuelle, soit dissoute. Ils ne sont que trois mais ils font le bruit de plus de 20. Ce sont les Mara boys. « L’Assemblée nationale, dans sa configuration actuelle, constitue un problème pour la démocratie malienne et pour le pays » entonnent-ils comme un authentique hymne à l’honneur. Sachant bien qu’ils ne se feront pas que des amis parmi leurs collègues, ils enfoncent le clou : « si elle doit être dissoute pour avancer vers la sortie de crise, qu’elle le soit ! aucun sacrifice n’est au-dessus du Mali ». Et toc ! Les autres l’ont pris en pleine figure. Comme on le voit, la débandade est générale.
Je pensais avoir tout vu et tout entendu à l’occasion de cet incendie qui a pris tous les étages. Il faut penser que non. Si, si. Il y a pire si je peux me permettre. J’ai rappelé le doux petit nom de notre président de l’Assemblée nationale. Mais Moussa béssé tigui a une forte concurrence sur les bancs. Nous avons vu le député de Koro Marcelin et ses incroyables talents oratoires. Tout droit sorti du maquis (c’est un pur produit de Dana amassagou pour ceux qui ne le savent pas), il supplie ses collègues à s’organiser « parce que la rue commence à trop déconner maintenant » parlant des manifestants qui demandent la démission d’IBK. Ce faisant, il sort le vocabulaire du parfait maquisard ayant longtemps vécu entre les grottes et les cachettes. Il parle des complices des manifestants au sein de l’Assemblée qu’il faudra démasquer et les prendre de vitesse. « Nous les connaissons, nous rions avec eux, nous n’avons pas le courage de les dénoncer. Et un jour viendra où ils vont nous décapiter ici » poursuit Marcelin. Il a fallu que le Président de l’Assemblée nationale insiste pour qu’il accepte de retirer le mot « décapiter ».
Comme on le voit, la sérénité règne partout. Je ne voudrais pas terminer sans un mot, un tout petit mot, sur « le très respecté, le très éclairé, l’imam Cheick Seid Mahmoud Dicko », ouf. Lors de la manifestation du 19 juin, où il a eu à empêcher que la foule monte à Koulouba, il a un peu mordu sur la ligne en parlant d’IBK. Emporté par ses paroles, le tribun qu’il est, a glissé sur un terrain glissant. Parlant d’IBK, il a déclaré qu’il ne peut pas, « ni physiquement, ni intellectuellement ». Mais comme il est fin, il a fait semblant de vite passer sur ces mots, peut-être avec l’espoir qu’ils feront leur chemin au sein de la foule et au sein de l’opinion. IBK est son ami et son frère. Rien ne devrait le pousser à parler publiquement de son état de santé.
Talfi
PS : Dans ce vaste foutoir, j’ai vu d’un œil un peu distrait, je l’avoue, un article passé sur les réseaux et publié par le très respectable Médiapart. L’article, d’une virulence rare, est intitulé « Le Mali, une escroquerie démocratique » et l’auteur est Saïd Penda. Un jeune qui était aux premières loges de la lutte acharnée du peuple malien pour obtenir la démocratie et les libertés qui vont avec. Saïd étudiait dans une école secondaire de la place. L’Africain du Cameroun s’est inséré dans la vie de notre pays et personne ne lui a fait les gros yeux à plus forte raison autre chose parce qu’il vient d’un autre pays. Il a joui abondamment de la liberté d’expression, pierre angulaire de la démocratie, garantie par la Constitution. Je ne sais pas ce que notre démocratie a bien pu lui faire en mal pour qu’ils nous tombent dessus à bras raccourcis. Parce qu’en fait, ce sont tous les acteurs qui sont des escrocs, à lire Saïd Penda. Notre démocratie à des problèmes, en témoigne la crise que nous vivons dans notre être depuis au moins un mois, mais ce sont des problèmes de croissance. Nous cherchons notre chemin ; nous trébuchons ; nous tombons même, nous avons eu un coup d’Etat ; mais nous nous relevons. Nous ne baissons pas les bras parce que même imparfaite, notre démocratie vaut mieux que la dictature que nous avons connue. Je ne pourrais passer sous silence la charge injustifiée contre Alpha Oumar Konaré que Saïd Penda accuse d’être « le vrai assassin de la démocratie malienne ». Je le soupçonne de vouloir solder des comptes avec l’ancien Président (Saïd fut très actif dans l’AEEM). Sinon, les erreurs commises, les insuffisances constatées n’ont pas pu tuer la démocratie du temps d’Alpha. Et pour le moment, c’est le seul à avoir passé le pouvoir démocratiquement.
Source: Nouvelle République