Ancien ministre de la Jeunesse sous la présidence de Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé vient de tirer, de sa détention à la DST (Police politique ivoirienne) un livre. Intitulé « De l’enfer je reviens », ce livre accorde une large place aux confessions de Mohamed.
Proche de Mokhtar Belmokhtar, ce djihadiste du nord du Mali a été arrêté, par la DST, suite à l’attaque terroriste de Grand-Bassam, qui a fait des morts et des blessés. Compagnon de cellule de Charles Blé Goudé, Mohamed lui a fait de troublantes révélations sur la complicité entre Blaise Compaoré, les djihadistes et les ex- rebelles ivoiriens ; mais aussi, ce que l’ex-homme fort de Ouaga gagnait, en rançons, lors des prises d’otages occidentaux. Extraits.
« … Avant même que je formule mon souhait d’échanger avec lui sur quelques sujets, de temps à autre, en profitant de l’inattention de nos geôliers, Mohamed s’empresse de me dire qu’il était l’homme à tout faire de Mokhtar Belmokhtar, le patron de Al-Mourabitoune, un Groupe djihadiste qui sévissait dans le nord du Mali et auteur de plusieurs prises d’otages.
Durant les neuf mois que nous partageons à la DST, à travers des moyens de communication propres aux prisonniers, Mohamed m’apprend beaucoup sur bien de situations, dont j’avais entendu parler de loin, ou même que j’ignorais tout simplement.
Premier contact avec le djihadiste
Un jour que Mohamed s’arrête devant ma cellule, il me dit : « Monsieur le ministre, c’est dommage que je ne vous ai pas connu avant. J’aurais pu vous prévenir de tant de choses qui vous auraient évité bien de malheurs.
Intrigué, je lui demande : « De quoi aurais-tu pu me prévenir ? ».
Mohamed me raconte alors que l’attaque des 18 et 19 septembre 2002 (première tentative française de renversement du président Laurent Gbagbo), qui s’est muée en rébellion, s’est plus ou moins préparée sous ses yeux, du moins avec des gens qu’il connaissait bien au Burkina Faso.
Blaise Compaoré, tuteur des rebelles ivoiriens et des djihadistes
Et Mohamed de me demander si je connais un certain Mustapha Chafi. Je ne connais pas ce Monsieur….
Mohamed poursuit pour me dire que tous, djihadistes et rebelles ivoiriens, étaient voisins à Ouaga 2.000, un quartier huppé de la capitale burkinabè.
C’est dans ce quartier que vivaient les chefs de la rébellion ivoirienne à l’époque.
Ça, je le savais comme d’autres ivoiriens. Ce que j’ignorais, c’est le fait que l’ex-président burkinabè était le tuteur des djihadistes, qui prenaient les Occidentaux en otage, en échange de rançons. Mohamed y était logé au nom de Mokhtar Belmokhtar, au compte de l’Etat burkinabè.
Son quotidien, ses repas, ses soins… tout était pris en charge par le pouvoir ouagalais.
« Mais Mohamed, que gagnait le président Blaise Compaoré à donner gîte et couvert aux djihadistes ? », lui ai-je demandé.
« Blaise Compaoré était notre maître, me répond-il, notre démarcheur. Il gagnait, nous gagnions aussi. Il avait l’exclusivité de négocier avec les Occidentaux, chaque fois que nous prenions en otage un de leurs ressortissants. Le deal avec lui, était que nous acceptions que les fonds exigés soient réceptionnés par lui. Nous avions, aussi, convenu de ne pas faire de prise d’otage au Burkina Faso ».
Je n’en crois pas mes oreilles, tellement je trouve trop grave et trop gros ce que m’affirme Mohamed.
Alors, je lui dis : « Mohamed arrête de me raconter des contes de fées et prends-moi au sérieux, s’il te plaît ! ».
En fait, je veux le stimuler à m’en dire davantage.
C’est la seule occasion que j’ai pour m’informer en profondeur sur ces Chefs d’Etat qui, le jour, prononçaient des discours véhéments contre le terrorisme aux différentes tribunes des organisations internationales mais qui, nuitamment, servaient d’intermédiaires dans le cadre d’opérations pilotées par des hommes sans foi, ni loi.
La cohérence avec laquelle Mohamed détaille son récit me laisse sans voix. La seule condition que Mohamed me pose avant de continuer à parler est que je puisse, un jour, faire savoir au monde entier tout ce qu’il va me dire.
Les prises d’otages et le partage des rançons
En écrivant ces quelques lignes, je ne suis pas en train de trahir des confidences ou des secrets ; bien au contraire, je ne fais que tenir la promesse faite à Mohamed d’en témoigner comme il me l’a demandé.
Sûrement, se doutait-il que, comme nombre de ses compagnons, il n’avait pas une longue espérance de vie.
En outre, la portée propagandiste de pareille confession, habituelle dans les mouvements djihadistes, n’est pas à négliger. Il raconte :
« Dès que nous prenons un otage, on avertit tout de suite Blaise et il se charge d’informer les autorités du pays, dont est originaire l’otage. Quand nous exigeons par exemple un million d’euros pour la libération de l’otage, Blaise dira 3 millions d’euros comme rançon. Une fois l’argent disponible, les autorités burkinabè nous facilitent le transport pour retourner à notre base, au nord du Mali. On répartissait la rançon en deux parties. Un tiers nous revenait et Blaise gardait les deux tiers restants. Il en disposait comme bon lui semblait. Mais je dois reconnaître qu’il nous fournissait du matériel militaire, des vivres et des médicaments.
On prenait beaucoup d’otages au Niger et au Mali, sauf au Burkina Faso. En retour, Blaise nous couvrait, il nous a beaucoup aidés.
On choisissait, aussi, la nationalité des Occidentaux à kidnapper, selon la réputation de leurs pays d’origine à bien payer.
Il y a des pays qui ne paient jamais. Nous, on n’avait rien à faire avec leurs ressortissants. Quelques rares fois où nous avons pris en otage certains de leurs ressortissants, c’était pour faire pression, afin qu’on nous rende certains des nôtres, qui étaient accusés de terrorisme et qui croupissaient dans les prisons.
Il y a des des pays qui, officiellement, disent ne jamais payer de rançons et ne jamais négocier avec nous, mais qui, en réalité, sont de bons payeurs. C’est, surtout, leurs ressortissants qui étaient nos cibles privilégiées, parce qu’avant tout, avec ces prises d’otages notre objectif principal était d’avoir de l’argent pour nos besoins en matériels et aussi, gérer notre quotidien et l’entretien des otages. Il fallait, aussi, mettre à l’abri du besoin les familles des candidats à l’explosion avec les ceintures.
Voilà ce qui se passait, et c’est comme ça que je me suis lié d’amitié avec Mustapha Chafi. C’était lui qui servait de pont entre Blaise et nous.
Aujourd’hui, après la prise de Kidal et de bien d’autres localités par les forces françaises, Chafi croit que nous ne sommes plus utiles, donc il me livre aux autorités ivoiriennes. C’est, pourtant, avec lui que nous avons monté l’opération en Côte-d’Ivoire. Mais qu’il sache, qu’il nous le paiera ».
Je veux savoir de quelle opération il parle. Mais, à peine, commence-t-il à répondre, qu’on entend un bruit au niveau de la grande porte métallique, qui ouvre le couloir de nos cellules.
Vite, il se précipite dans la douche et me promet de me raconter la suite, dès que l’occasion nous permettra, à nouveau, de parler.
En prison, s’il y a une chose dont on dispose, c’est de temps. Hormis les déplacements surpris à la DST, qui peuvent désorganiser nos plans, on a tout le temps pour nous, beaucoup trop d’ailleurs.
J’attends donc, impatiemment, que se présente une occasion pour poursuivre ce dialogue. Je viens, enfin, de trouver quelque chose à faire pour occuper, utilement, mon temps : aller au bout de cette affaire. Comme quoi, il n’est pas faux d’affirmer que toute épreuve est une opportunité. Je ne compte pas rater la mienne.
Dans ce cachot, me voici transformé en enquêteur. Quand j’ai, à nouveau, l’occasion de discuter avec Mohamed, je le prie de me raconter son histoire d’opération montée en Côte-d’Ivoire. Sans la moindre hésitation, mon voisin de fortune me raconte comment il s’est retrouvé à la DST. En voici le récit que je lui ai promis de partager.
Ce que les djihadistes reprochent à ADO
Mohamed : « je parle de nous, les djihadistes. Moi, je me suis marié avec une ivoirienne et j’ai un enfant avec cette dernière ; ce qui a facilité mon intégration en Côte-d’Ivoire. En vérité, la jeune femme ne sait pas qui je suis, elle ne sait pas grand chose de mes activités de djihadiste. Elle ne sait même pas que je suis en prison.
Elle sait, simplement, que je suis en voyage. J’ai loué plusieurs maisons où j’ai tout disposé. Tout était planifié ».
Charles Blé Goudé : « Mais pourquoi tout ça, mon frère ? Pourquoi la Côte-d’Ivoire ? ».
Mohamed : « Monsieur le ministre, nous, on n’a rien contre les Ivoiriens. On en veut beaucoup au président Ouattara, c’est tout. Il va nous payer ce qu’il a fait ».
Charles Blé Goudé : « Quoi ? ».
Mohamed : « Tu ne sais pas que c’est le président Alassane Ouattara, qui a demandé à l’armée française de nous bombarder dans le nord du Mali, alors qu’on avait déjà conquis le pays ? En tout cas, même s’ils m’ont pris, tout le monde est décidé à réaliser l’opération ».
J’ai le souvenir, en effet, du rôle joué par Alassane Ouattara dans le déclenchement de l’opération Serval de l’armée française, puis de la Minusma, conduite sous l’égide de la CEDEAO au nord du Mali.
En sa qualité de président en exercice de cette institution sous régionale entre 2012 et 2014, Ouattara avait contribué à conférer une base légale à cette intervention internationale, qui a eu pour effet de, momentanément, stopper l’avancée djihadiste.
En effet, c’est à la CEDEAO qu’en octobre 2012, le Conseil de sécurité de l’ONU avait confié la charge de la reconquête du nord Mali, alors occupé, comme on le sait, par une myriade de groupes islamistes.
Ceci peut donc expliquer les propos de Mohamed et l’obsession de ses compagnons à vouloir se « venger » du président ivoirien.
Charles Blé Goudé : « Puisque tu veux que j’écrive un jour, dis-moi tout ».
Mohamed : « Quand les avions des Français auront fini de voler dans le ciel du Mali, ils vont nous trouver à terre. Cette histoire ne finira pas comme ils l’ont prévu. Elle finira au-delà du Mali et même au-delà de l’Afrique.
Mustapha Chafi, le subversif recherché
Quant aux Occidentaux, cette guerre va les trouver, eux. Tant qu’ils ne nous laisseront pas en paix, ils connaitront plus jamais la paix.
Ici, en Côte-d’Ivoire, on a déjà fini nos repérages.
Mustapha Limam Chafi est un ressortissant mauritanien, qui a servi comme conseiller, plus ou moins occulte, de l’ex-président du Burkina Faso, Blaise Compaoré.
Il est soupçonné d’être un intermédiaire des mouvements rebelles ou terroristes de la zone sahélo-saharienne, soupçonné régulièrement d’activités subversives par nombre de pays ouest-africains, notamment, il fait l’objet d’un mandat d’arrêt international, émis par son pays d’origine, la Mauritanie. Il est supposé établi en Côte-d’Ivoire où il a rejoint Blaise Compaoré, après la chute de ce dernier ».
Source : Comaguer
Oumar Babi
Source: Canard Déchainé