Régulièrement donné pour mort par des « sources bien informées », Ladji Bourama ne cesse de renaître de ses cendres. Miracle ?
Ladji Bourama a sûrement sa petite recette pour ressusciter à tout bout de champ. Exactement comme un génie. Après tout, quand on a pour ancêtre Soundjata (l’homme au célèbre ergot de coq) et pour amis de saints oulémas comme le chérif de Nioro ou l’imam Mahmoud Dicko, on ne meurt pas à la première alerte, comme n’importe qui ! La seule chose que je déplore, c’est que Ladji tarde à transmettre les secrets de la résurrection aux armées maliennes, françaises et onusiennes qui combattent au nord.
Le défunt de Turquie
Tenez ! Alors qu’il se trouvait en visite en Turquie, Ladji est déclaré en état de « mort clinique » par des « sources bien informées ». A en croire lesdites « sources », le décès serait survenu le samedi 11 juillet. Le malade, opéré d’urgence sous anesthésie générale, ne se serait plus réveillé. L’on commence à dresser déjà des plans sur la comète, pardon!, sur la succession de l’illustre disparu. Certains analystes pronostiquent une victoire de Karim, fils du défunt, à la future présidentielle. D’autres estiment qu’Issiaka Sidibé, président de l’Assemblée nationale et appelé à diriger la Transition, ne se laissera pas enlever le pain de la bouche par son beau-fils Karim. D’aucuns croient, en revanche, que l’heure de Soumaila Cissé, leader de l’opposition, a sonné. Eh bien! Pendant que comme Pierrette, la laitière, on s’abîme en rêveries, le doute s’installe dès le lendemain 12 juillet: contre toute vraisemblance, nul média, pas même turc, ne fait état d’un quelconque décès d’un quelconque chef malien. Comme si elle avait appris quelque chose, la primature diffuse sur son site internet le programme de retour de Ladji Bourama a Bamako. Ce retour est annoncé pour 15 h 30. La rumeur du décès enfle de plus belle quant on apprend que le retour du président est reportée d’une demi-heure. « Alors vous voyez ! On reporte l’heure pour mieux organiser la réception de la dépouille funéraire! », affirme quelqu’un de « bien informé » qui ne tient pas à ce que ses informations exclusives soient démenties. Tout le monde est finalement édifié quand, a 16 h 57 mn, l’avion présidentiel s’immobilise sur le tarmac de l’aéroport de Bamako-Senou. Feu Ladji Bourama, a lieu de sortir par l’arrière, les deux pieds devant, dans un brancard recouvert du drapeau national, descend fièrement par l’escalier, vêtu d’un superbe boubou bleu et arborant un sourire kilométrique. Et monsieur le cadavre de serrer les mains, a commencer par celle du Premier Ministre. Fin du film. N’allez pas le crier sur les toits, mais il paraît qu’un ministre de l’époque, qui avait répandu partout le bruit du décès et se voyait calife à la place du calife, n’en a pas cru ses yeux: au mépris de toute convenance protocolaire, le compère a pris ses jambes au cou pour ne pas serrer la main d’un revenant. En tout cas, les « sources bien informées » sont si sonnées qu’elles concluent à une rumeur de décès colportée par les services secrets pour doper la popularité du chef de l’Etat. Comme quoi, entre une « source bien informée » et un auteur de romans policiers, il n’y a pas la différence d’une plaquette d’aspirine !
Le décédé de Paris
Prenant plaisir à ce petit jeu, Ladji Bourama remet le couvert en avril 2016. Les « sources bien informées » (les mêmes !) nous apprennent d’un ton grave que cette fois, on peut sans risque creuser une vaste tombe au cimetière de Niaréla. Selon ces « sources » qui puisent dans les secrets des dieux, Ladji Bourama, plongé dans un coma profond, aurait été transporté à Marseille. Vu l’etrême gravité de sa situation, il aurait été évacué à Paris, dernière halte avant l’autre monde. Les médecins auraient découvert (à l’aide drones ?) une tumeur inopérable car plus grosse que l’estomac d’un chef de parti politique. Conclusion: notre frère et ami président ne peut être sauvé.
Sur ces entrefaites, le 12 avril, la présidence de la République publie un communiqué dont il ressort que Ladji vient d’être « opéré avec succès », en France, d’une « tumeur bénigne » appelée « adénome de la parathyroïde ». Il n’en faut pas plus pour mettre en ébullition le monde des « sources ». Le communiqué, jurent-elles, n’est que de la poudre de perlimpinpin destinée à égarer les sots. Il ne s’agit pas du tout d’un adénome; sinon, la présidence, habituée à observer le silence sur la santé de son hôte, n’en aurait même pas parlé. Il s’agirait plutôt d’une tumeur cancéreuse au stade terminal qui, contrairement aux allégations du communiqué, ne peut être « opérée avec succès ». Les « sources » les plus favorables à Ladji Bourama admettent la thèse de l’adénome mais se demandent à haute voix si cette tumeur lui laisse la capacité physique de gouverner. Et nos médecins improvisés de se lancer dans une thèse de doctorat sur les sympômes de l’adénome de la parathyroïde:
– augmentation incontrôlée du calcium et du phosphore dans le sang;
– déminéralisation osseuse entraînant des fractures ou des déformations osseuses;
– lithiase rénale se manifestant par des troubles digestifs, des nausées et des vomissements;
– pancréatite et ulcère duodénal;
– troubles musculaires, fatigue intense, paresthésies et hyporéflexie;
– asthénie, dépression nerveuse, psychose paranoïde.
Conclusion sans appel de nos brillants « experts » en sciences politico-médicales : un président qui trimballe tous ces maux et qui, de surcroît, subit les attaques des « hassidi » et des bandits armés, se trouve au bout du rouleau ! Mais voilà: quelques jours après le communiqué et les alarmants démentis puisés « à la source », Ladji Bourama montre sa tête sur les écrans de l’ORTM. Dans un latin-grec parfait et d’une grosse voix qui n’envie rien à celle d’un roi, il raconte des choses que personne n’entend, tout le monde étant occupé à lire sur les traits de son visage les signes d’une maladie incurable et d’une mort qu’on nous cacherait. Qu’en disent les « sources proches du dossier » ? Que ce discours sent du préfabriqué à plein nez, qu’on l’a enregistré avant le départ de Ladji Bourama pour Paris en vue de berner le peuple. Une « source » analyse doctement: « Nulle part dans ce discours, le président ne fait allusion aux trois soldats français tués à Kidal en son absence. Si son message n’était pas préfabriqué, il aurait sans doute présenté ses condoléances comme il en a l’habitude. D’ailleurs, au-delà du cas des soldats français, le discours ne parle d’aucun fait postérieur à l’hospitalisation du chef de l’Etat. Et puis, voyez ! Depuis combien de temps nous annonce-t-on son retour sans qu’il puisse revenir ? En fait, il gît, inconscient, dans un lit d’hôpital! ».
Bon, d’accord ! L’analyse frôle la perfection. Le seul petit défaut, c’est que dimanche 24 avril, le demi-mort censé compter les étoiles dans un lit d’hôpital trouve le moyen de débarquer à l’aéroport de Bamako. Non pas sous forme de fantôme ou de client de la morgue, mais débout sur ses deux jambes, en grand costume, souriant comme jamais. D’un pas vif, il descend la passerelle de son cher Boeing et pousse le zèle, pardon!, le réveil jusqu’à tenir une conférence de presse puis, le lendemain, un conseil des ministres. Pas de doute: Ladji Bourama a réussi une énième résurrection!
La résistance des « sources »
Mais si Ladji a gagné deux batailles contre les « sources », ces dernières ne désespèrent pas de remporter la guerre. Déjà, elles répandent le bruit que le patient ne porte aucune trace d’opération, qu’il est juste venu mettre de l’ordre dans sa succession et qu’il retournera bientôt à Paris (ou en Turquie) pour ne plus revenir. « N’avez-vous pas remarqué combien de valises de médicaments transportait l’aide de camp du président? », notent-elles.
Pour ma part, je me méfie désormais des « sources » et prie Allah soubhana wa tallah de donner longue vie à Ladji National ainsi qu’à tous les musulmans. Car si Ladji s’en allait si tôt, sur qui aurais-je le plaisir de chroniquer tous les lundis ? Je ne serais d’ailleurs pas le seul orphelin puisque je ne vois pas qui, en l’absence du maître des lieux, va continuer à nourrir au lait Nido l’immense colonie de nomades politiques qui, depuis 2013, ont migré à Sébénicoro avec armes, bagages, fourchettes et cuillères.
Tiékorobani
Source: proces-verbal