Ladji Bourama caresse le projet de confier le parti – et sa succession – à son fils spirituel Oumar Tatam Ly, mais le ministre de l’Agriculture, Téréta, ne l’entend pas de cette oreille. Et il a rallié à sa cause Karim Kéita, le fils du chef de l’Etat.
Ladji Bourama voue à son Premier Ministre, Oumar Tatam Ly, une profonde estime. Il ne s’en cache d’ailleurs pas. Il y a peu, sous l’œil des caméras de l’ORTM, il lui disait: « Vous avez ma confiance, toute ma confiance! ». Il n’en fallait pas plus pour que les commentateurs pronostiquent l’imminente reconduction du Premier Ministre à son poste. Ils n’ont pas tort : non seulement Ly obtiendra un nouveau (et long bail) à la primature, mais en outre, Ladji Bourama songe à en faire son successeur à la tête de la marmite, pardon !, de l’Etat.
L’homme présente, en effet, de nombreuses qualités. Inconnu au bataillon avant 2013, il incarne le changement, voire la révolution. N’ayant aucun passé politique ou administratif, il n’a traficoté avec personne sous la table: il n’éprouve, par conséquent, aucun état d’âme à envoyer en taule des cargos entiers de fraudeurs, de corrompus et d’ex-putschistes (oui, oui, oui !).
Sa longue moustache à la Faidherbes lui donne un air fort respectable dans un pays par nature gérontocratique; ses grosses lunettes lui donnent l’allure d’un savant.
Savant, il l’est, au demeurant, pour n’avoir d’autre passion que les livres, les diplômes et le travail. Levé à l’aube, Ly gagne le bureau avant que le coq finisse de chanter. Il y reste jusqu’à 22 heures (excusez du peu !). Programme quotidien: rencontres avec les conseillers, les bailleurs de fonds, les ministres. A ces derniers, il a fixé un tableau de bord; tous les 15 jours, il passe en revue les tâches effectuées et celles en souffrance. Gare au ministre qui dort sur ses deux oreilles : Ly les tire à pleines mains ! Dans son carnet secret, il a déjà mentionné, dit-on, les noms des ministres les plus médiocres: ils seront remerciés lors du tout prochain remaniement.
L’homme se tue tellement à la tâche que certains membres de sa garde, pourtant des militaires, ont demandé une nouvelle affectation, éreintés par le rythme. Même quand le Premier Ministre a dû subir, la mort dans l’âme, une évacuation sanitaire d’urgence en France, il est rentré au bercail dans les heures suivantes. Par amour du travail, bien sûr !
Si le Premier Ministre a un défaut, c’est peut-être sa trop grande discrétion. Or c’est là, justement, sa principale qualité aux yeux de Ladji Bourama. Tant qu’il restera clos et coi, il ne fera aucune ombre au chef suprême. A Ly le travail de bureau et les chantiers; à Ladji Bourama la grande politique et les discours. On ne peut rêver une meilleure répartition des rôles, n’est-ce pas? Chaque fois qu’il s’agit de tenir des réunions fastidieuses avec les fonctionnaires et compagnie ou de visiter les marigots et les puits, bonjour monsieur Ly !
Mais dès qu’il s’agit d’agiter le doigt à la télé ou de lire les versets du Coran, Ladji Bourama prend du service. En Oumar Tatam Ly, le premier magistrat ne craint pas de trouver quelqu’un qui lui dira un jour « Non ! ». Ly ne tentera jamais, non plus, de mettre en application l’article 53 de la Constitution qui accorde au gouvernement le pouvoir de « déterminer et conduire la politique de la nation », en lieu et place de l’hôte de Koulouba. Et ce n’est pas tout! Ladji Bourama en a la ferme assurance: son fils spirituel n’aura jamais l’idée de lui chercher des poux dans la tête le jour où il quittera Koulouba. Ce point a d’autant plus d’importance que Ladji lui-même a jugé utile – et urgent – de poursuivre le pauvre « Vieux Commando » pour haute trahison…
Enfin, Ly, banquier de son état, présente s’y connaît dans les chiffres alors que Ladji Bourama préfère manier le latin et le grec. Avec Ly, le FMI et la Banque Mondiale ont à qui parler. Le chef du gouvernement ne vient-il pas de lever, lors de son récent séjour à Bruxelles, les derniers obstacles au déblocage des 3 milliards d’euros (2.000 milliards de FCFA !) promis au Mali par les Européens et consorts ?
Bataille de succession
C’est pour toutes ces raisons que Ladji Bourama a décidé de faire de Ly son futur successeur. Comme l’oiseau n’atteint pas le ciel sans des ailes, il faut doter le Premier Ministre d’ailes en le mettant à la tête du parti au pouvoir, le RPM. Problème : nouveau-venu dans l’arène publique, Oumar Tatam Ly passe pour un intrus aux yeux des vieux routiers du parti qui ne le souffrent pas en portrait.
Son plus farouche adversaire s’appelle Bocary Téréta. Téréta n’est pas n’importe qui. Membre fondateur du RPM, organisateur hors pair d’élections, ministre sous le « Vieux Commando », il détient le juteux portefeuille du développement rural dans l’actuel gouvernement. Téréta se voit bien, un beau jour, calife à la place du calife; en tout cas, il ne veut pas laisser laisser son patron, Ly, faire main basse sur le parti. Quitte à croiser le fer avec Ladji Bourama lui-même. Téréta se trouve donc en campagne pour le contrôle du RPM. Ayant senti que Ladji Bourama voulait faire d’Abdramane Niang le futur président du parlement, Téréta a joué des pieds et des mains pour empêcher l’intéressé de figurer sur la liste de candidatures du RPM à Teninkou .Il faut toute l’obstination de la 1ère vice-présidente du parti, Kéita Rokiatou Ndiaye, pour que Niang soit maintenu dans la course : la dame, avec l’aval de Koulouba, demande et obtient que la Cour Constitutionnelle invalide la liste présentée au nom du RPM et qui ne comportait pas le nom de Niang.
L’affaire indigne Téréta, Secrétaire Général du parti, au point qu’il manque d’en venir aux mains avec la vice-présidente. Il rumine sa revanche. Il a plus d’un tour dans son sac comme il prouvera lors de la désignation du président du parlement. Après les législatives, Ladji Bourama envoie, en effet, le Premier Ministre dire aux députés du RPM que son choix pour le perchoir est Niang. Téréta entre aussitôt en scène: s’alliant à Karim Kéita, fils de Ladji Bourama et député de la commune 2 de Bamako, il mobilise le ban et l’arrière-ban du parti pour faire élire Ichaka Sidibé au perchoir. Bye bye, l’ami Niang !
Dans la rude bataille contre Oumar Tatam Ly pour le contrôle du parti, Bocary Téréta a, on le voit, un allié de poids: Karim Kéita. Celui-ci a l’avantage qu’on le croit généralement porteur de la parole présidentielle. Or ce n’est pas, en réalité, tout à fait le cas. Pour la petite histoire, Ladji Bourama s’était opposé à toute candidature de son fils aux législatives. A la demande de Karim, le Chérif de Nioro intervient : « Karim est un Malien comme un autre, dit-il à Ladji Bourama; il a le droit de solliciter les suffrages de ses compatriotes. S’il est ton fils, c’est aussi le mien. Si tu lui interdis de se porter candidat, tu m’auras alors montré qu’il a cessé d’être mon fils! ».
De crainte de froisser son grand ami d’alors, Ladji Bourama laisse faire son fils. Ce dernier se rapproche de Téréta en raison de leur commune volonté de barrer la route à Oumar Tatam Ly. Karim digère mal, de fait, qu’à la veille des législatives, le Premier Ministre lui ait conseillé de se tenir en marge du scrutin et de se faire discret pour ne pas nuire à l’image de son père…
Avenir incertain
En fin de compte, qui aura le dessus : Oumar Tatam Ly ou le duo de choc Téréta-Karim? Trop tôt pour se prononcer. Ladji Bourama a, certes, le pouvoir de faire pencher la balance du côté du premier; mais la candidature ratée de Niang au perchoir montre que le duo adverse a de la ressource et, surtout, que Ladji Bourama n’hésite pas à jeter ses premières idées dans le lac. Par ailleurs, les desseins du Premier Ministre sont desservis par ses liens plutôt distants avec les alliés politiques du chef de l’Etat. Il faut savoir qu’après son prochain congrès, le RPM entend fusionner avec une galaxie de petites formations dont les leaders préfèrent traiter avec un vieux de la vieille comme Bocary Téréta qu’avec un Oumar Tatam Ly qu’ils ne connaissent ni d’Eve ni d’Adam.
De plus, dans ces cuisines politiques locales, l’argent parle assez souvent; or le Premier Ministre, de notoriété publique, n’envie rien à Harpagon: pour lui soutirer un sou vaillant, il faut danser du ventre toute l’année ! De surcroît, il s’est attiré la noire colère d’une longue liste de cadres du RPM dont le parti lui a demandé la nomination aux hauts postes de l’Etat: loin de déférer à la requête, Ly a répondu que désormais, toute nomination se ferait sur les seuls critères de compétence et de moralité. Pas de quoi se faire des adeptes au sein du parti…
En tout état de cause, le duel en cours illustre une vérité politique inusable: quand un pouvoir d’Etat n’a plus d’adversaire extérieur à sa taille, il nourrit l’adversité interne.
Tiékorobani