Les événements se sont accélérés en fin de semaine dernière où l’on a assisté à l’interpellation et l’inculpation de responsables militaires présumés impliqués dans la désormais affaire du charnier de Diago. De sources bien introduites, des responsables politiques et non des moindres risquent à leur tour de passer devant le magistrat instructeur. D’abord le film des derniers événements.
C’est jeudi, 13 février aux environs de 10 h30 que le Général Yamoussa Camara a été conduit au pool économique chez le juge Karembé. «Que savez-vous dans l’affaire des militaires exécutés pendant que vous étiez ministre de la défense», a demandé le juge ?
Réponse du suspect : « je n’ai rien à me reprocher et je n’ai rien à voir dans cette affaire dite des bérets rouges, M. Le juge ».
L’interrogé ignorait que le magistrat instructeur avait à sa possession des preuves matérielles et des correspondances suspectes signées du ministre qu’il était au moment des faits. Il lui montra alors les documents en question, en l’occurrence la lettre relative à la désignation des 21 éléments portés disparus dans la nuit du 02 au 03 mai 2012 à Kati. Ces personnes ont été désignées dans l’opération militaire dénommée BADENKO alors qu’elles étaient déjà exécutées et leurs dépouilles enfouies dans une fosse commune à Diago. En clair, le juge soupçonne l’ancien ministre de tentative de dissimulation de la mort des éléments en question. Toute chose au demeurant, qui atteste son implication dans la tragédie.
A la vue de ces correspondances, le suspect perdit la langue et ne put ajouter mot. Il fut donc inculper pour complicité d’assassinat.
Ce fut le tour, vendredi, du colonel Major Diamou Keïta, ex Directeur de la Gendarmerie et du lieutenant Mariko, tous deux chargés de la sécurité du Capitaine Haya Sanogo au moment des faits. Ce sont ces deux officiers qui ont présenté les bérets-rouges à la télé comme étant des mercenaires à la solde de l’ancien régime pour renverser le CNRDRE.
Après 1h 30 minutes d’interrogatoire, les deux personnes sont ressorties libres du bureau du juge.
Le même jour, (Vendredi), en milieu de journée, le juge a confronté le capitaine Tahirou Mariko (l’ancien aide de camp de Haya) au Capitaine Konaré N° de l’ex junte. Lors de cette confrontation le juge a fait écouter et visionner des enregistrements audiovisuels compromettant les deux suspects. Ils furent à leur tour, inculpés pour complicité d’assassinat et placés sous mandat de dépôt.
L’interrogatoire du Général Sidi Touré a été véritable marathon. Il est considéré à juste titre comme l’œil et le bras exécuteur de la junte. Il est désormais inculpé pour complicité d’assassinat.
Quant aux ministres Sinko Coulibaly et Abdoulaye Koumaré, leur statut de membres du gouvernement les met à l’abri de la procédure. Mais ce n’est pas l’envie qui manque au magistrat instructeur de les entendre immédiatement.
D’autres suspects seront écoutés et probablement inculpés dans les jours à venir pour être les véritables patrons du peloton d’exécution.
B.S. Diarra
Des responsabilités politiques à situer
L’aviez-vous remarqué ? Le communiqué du gouvernement relatif à l’arrestation du Général Amadou Haya Sanogo en date du 27 novembre 2014 souligne que suspect a été inculpé pour «complicité d’enlèvement de personnes». Par contre, celui relatif au Général Yamoussa Camara et autres parle de «complicité d’assassinat». La nuance est d’importance, en attendant une probable requalification des charges. Le constat, en tout état de cause, nous renvoie vers la responsabilité des politiques au moment des faits.
C’est pour avoir tenté de dissimuler la disparition des «bérets-rouges» que le Général Yamoussa Camara a été inculpé pour complicité d’assassinat. Et le juge détenait des copies des correspondances relatives à l’affectation des défunts à l’opération dite BADENKO devant être déployée au nord. Alors de deux choses l’une : ou il exécutait là un ordre exprès, ou il a pris une part active aux disparitions forcées. La qualification de la charge (complicité d’assassinat) planche malheureusement pour la deuxième hypothèse. Ce, au contraire du capitaine ou Général (c’est selon), Amadou Haya Sanogo accusé de complicité d’enlèvement.
Pour sa part, le Général Sidi Touré, ex DG de la sécurité d’Etat a été également inculpé pour le même motif : complicité d’assassinat. Selon toute évidence, et au même titre que le Général Yamoussa Camara, il est soupçonné de tentative de dissimulation de la mort des prisonniers militaires. Et pour la petite histoire, notre confrère Birama Fall du journal «Le Prétoire» reçut la visite peu amicale de ses hommes pour avoir reçu un document relatif au charnier de Diago. On eut dit, depuis cette époque, que le charnier en question hantait les esprits. Pas seulement militaires et journalistes.
Dans son adresse à la nation à la faveur de ses 100 jours, au mois de Juillet 2012, le premier de plein pouvoir, Cheick Modibo Diarra souligna que les « bérets-rouges » présumés portés disparus sont en cavale pour avoir refusé de se rendre sur la ligne de défense. Pure naïveté ou complicité ?
Son successeur, Django Cissoko, pour sa part, reçut la visite du Lieutenant Colonel Seydou Diallo venu lui faire part des anomalies contenues dans la décision d’affectation des «bérets-rouges» portés disparus sur la liste de désignation dans l’opération BADENKO. Le Premier ministre au moment des faits, renvoya le visiteur chez son attaché militaire, le Général Lassine Koné. Peine perdue ! Le chef d’Etat-major de l’armée de terre, le Colonel-major Ibrahim Fané fut à son tour informé. Encore peine perdue ! Aucune correction ne fut apportée au document d’affectation des défunts à l’opération «BADENKO». Il nous revient que le juge aimerait bien savoir à quel niveau de l’administration militaire et politique l’information a été bloquée. Le Général Lassine Koné a-t-il rendu compte à son premier ministre Django Cissoko ? Le président de la transition a-t-il été, à son tour, informé?
Pour sa part, le Mouvement des partis politiques du 22 mars (MP22), bras politique du CNRDRE, dans un communiqué en date du 5 décembre 2013 et signé de son secrétaire à la Communication, Mohamed Tabouré, adoptait littéralement la même attitude négationniste que les acteurs militaires. Suite à l’arrestation du Général Amadou Haya, le Mouvement publia un communiqué très virulent contre le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keïta: (…ils concentrent l’intoxication sur le 30 avril en exhibant à présent les charniers et images de corps à Kati et des 21 bérets rouges à Diago espérant avec l’horreur, aveugler les esprits et brouiller les pistes . Mais c’est peine perdue ! Car les faits sont têtus et on ne peut pas leur faire dire le contraire de ce qui est. Le 30 avril 2012, le président intérimaire fantoche, Dioncounda Traoré et les dirigeants du FDR agissant aux ordres d’Alassane Dramane Ouattara et François Hollande ont fomenté et financé le contre coup d’Etat des bérets-rouges qui a fait plus de 33 victimes parmi les bérets verts et les civils. L’agression extérieure doublée d’un « contre coup d’Etat » a été écrasée dans un véritable bain de sang des mercenaires ivoiriens et burkinabés et des bérets rouges. Seuls les ennemis jurés et vaincus du Mali l’ont déploré. Ils se sont tus et se taisent sur les meurtres de civils et de bérets verts et sur l’atteinte à la souveraineté du Mali fomentée par la France et les chefs d’Etat de la CEDEAO (…) ».
En clair, le MP22, bras politique du CNRDRE et tout comme les acteurs militaires aujourd’hui inculpés pour complicité d’assassinat, a formellement assimilé les 21 bérets-rouges à des mercenaires étrangers. Manipulation ou complicité ?
C’est le lieu de signaler que l’un des membres actifs et influents du Mouvement, Dr Oumar Mariko désormais élu député, est justement inculpé pour complicité d’assassinat, d’enlèvement et de séquestration dans une autre affaire similaire.
En définitive et selon toute évidence, cette affaire du charnier de Diago est une véritable boîte à malices… Un tragique domino, en attendant la requalification des charges contre les différents acteurs. Pour l’instant, le suspect Amadou Haya Sanogo peut s’estimer heureux avec sa «complicité d’enlèvement » au contraire des autres accusés de «complicité d’assassinat».
B.S. Diarra