Le samedi 20 mai, la commune de l’Île Saint-Denis (Paris/France) a célébré la 3e édition de la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Et l’invitée d’honneur était le ministre de l’Artisanat et du Tourisme, Mme Nina Wallet Intalou. En plus des manifestations artistiques et culturelles, l’événement a été marqué par de brillantes allocutions le situant dans son contexte historique.
«Cette journée festive et culturelle vise à commémorer l’abolition de l’esclavage, 16 ans après l’adoption de la loi Taubira et 11 ans après la première Journée nationale d’hommage, le 10 mai 2006», a précisé Mme Madioula Aïdara Diaby, conseillère municipale et présidente de la commission d’organisation. Elle est maire adjointe chargée de la Jeunesse, des Sports et de la Culture à l’Île Saint Denis.
Pour la circonstance, l’élue avait réussi à mobiliser du beau monde dans la commune de l’Île Saint-Denis (Paris/France) à l’occasion du 168e anniversaire de l’abolition de l’esclavage dans les territoires français. «Tout ce passé douloureux doit être connu et traité historiquement. Le code noir de 1648 fit des humains des objets que l’on pouvait posséder, exploiter, châtier ; des humains privés de toutes les libertés», a dénoncé Madioula. Elle a profité de l’occasion pour évoquer la mémoire de Victor Schoelcher, Sous-secrétaire d’Etat à la Marine aux Colonies de la République. Mais on retient surtout de lui qu’il fut un humaniste à qui l’on doit l’initiative du décret du 27 avril 1848 abolissant l’esclavage en France. Il est aussi l’initiateur des premiers combats contre la peine de mort et en faveur de l’éducation laïque et gratuite, de l’égalité homme/femme…
«Mais, avant tout, n’oublions pas les innombrables victimes de l’esclavage et de la traite négrière pratiquée par certains armateurs français et leurs actionnaires… Durant plus d’un siècle, de la fin du XVIIe au début du 19e, les navires négriers partis du port de Nantes furent responsables de la déportation à partir de la côte ouest de l’Afrique», a rappelé la jeune maire adjointe. Après avoir quitté les côtes françaises, les bateaux échangeaient en Afrique, et notamment sur la tristement célèbre île de Gorée au Sénégal, des marchandises de faible valeur contre des esclaves. Ils repartaient ensuite vers les Amériques pour vendre ces esclaves dans les îles caribéennes comme Sainte Anne. Et ce, en échange des rares et chères denrées du nouveau monde.
«Beaucoup de ces hommes et femmes mouraient durant le voyage. L’Europe est responsable, dans son ensemble, de la déportation de plusieurs millions d’Africains devenus esclaves au cours de ce macabre commerce», a déploré Madioula Aïdara Diaby. Pour elle, la commémoration de l’abolition de l’esclavage va «au-delà d’un simple devoir de mémoire» pour être «un droit de mémoire qui ne doit pas pour autant pousser à la haine». Et cela, insiste la jeune Dame (manager du jeune boxeur Mohamed Diaby), d’autant plus que «se souvenir est nécessaire, car au sein d’une ville métissée telle que l’est l’Île-Saint-Denis».
L’abolition de l’esclavage n’est pas une fin en soi
Et de poursuivre, «connaître le passé permet de mieux vivre le présent et d’envisager l’avenir d’une autre façon résolument multiculturelle et métissée. Le présent nous rappelle toutefois que le combat pour l’égalité entre les êtres humains ne saurait s’être terminé avec l’abolition de l’esclavage». En effet, de par le monde, des personnes sont trop souvent encore victimes du racisme, de la discrimination, sur le seul fondement de leurs origines ou de la couleur de leur peau ou de leurs convictions politiques, religieuses…
«La mémoire de l’histoire et la connaissance de l’autre sont autant de moyens de mettre fin à ces discriminations. Se souvenir permet de faire de ces tristes événements une source de lien et de respect mutuel, mais il est aussi nécessaire de mener des actions concrètes pour activer cette solidarité et pousser les citoyens à partager car aucun de nous n’est coupable ou responsable du passé», a déclaré la conseillère chargée de la Jeunesse, des Sports et de la Culture à la mairie de l’Île Saint Denis.
Déjà, en 2006, le maire de l’Ile-Saint-Denis, Michel Bourgain, mettait avait mis en place «un échange équitable» avec le maire de l’île de Gorée et le maire de l’Ile de Sainte Anne, deux lieux centraux de la traite négrière. Ce partenariat, fondé sur un partage des connaissances et des savoir-faire entre les trois îles, fut «un bel exemple de la manière de faire de ce triste passé une force pour demain». Quant au maire de l’île-Saint-Denis, M. Mohamed Gnabaly, il a rappelé que la France est l’un des Etats au monde à ce jour à avoir décrété une Journée nationale de commémoration de l’abolition de l’esclavage et qui a adopté, le 10 mai 2001, une loi reconnaissant comme crime contre l’humanité «la traite des Noirs et l’esclavage des populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes, perpétrés en Amérique et aux Caraïbes, dans l’océan indien et en Europe, à partir du XVe siècle».
Mais, a-t-il souligné, «la France est également l’un des Etats modernes qui s’est le plus enrichi sur le commerce d’esclaves et le travail forcé de millions d’hommes et de femmes, sur différents continents. Pendant des siècles, l’Etat français a produit une double législation fondée sur un racisme plus ou moins assumé en fonction des époques et des dirigeants». Et cela du «Code noir» au «Code de l’indigénat» en passant par le «devoir de civiliser les races inférieures» si cher à Jules Ferry. «Ce double héritage, républicain et esclavagiste, humaniste et raciste, a façonné notre société pendant des siècles et a fait que ces sujets restent toujours brûlants d’actualité encore aujourd’hui où le mot bamboula reste convenable dans la bouche d’un représentant de la fonction publique française sur une chaîne du service public», a souligné Mohamed Gnabaly.
Des migrants subsahariens vendus en Libye comme esclaves
L’édile de l’île Saint-Denis a aussi déploré le fait que «l’esclavage domestique existe toujours aujourd’hui en Mauritanie, au Soudan ou plus récemment en Lybie où des marchés aux esclaves vendent au grand jour des migrants subsahariens faits prisonniers…». Tout comme, «l’esclavage prend également d’autres formes partout dans le monde, y compris sur notre territoire, comme le travail forcé d’enfants, l’esclavage sexuel ou encore dans la géopolitique mondiale qui prouve chaque jour que la mort d’un Palestinien, d’un Congolais, d’un Birman ou d’un Syrien compte moins aux yeux de la communauté internationale que celle d’un Français, d’un Israélien ou d’un Américain…», a ajouté le maire Mohamed Gnabaly.
Difficile alors pour lui de commémorer pleinement et dignement l’abolition de l’esclavage et ne considérer l’esclavage que comme un lointain souvenir tant que ne seront pas appliqués et respectés partout dans le monde, à commencer par chez nous, les principes proclamés par l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclamée en France en 1789 : «tous les hommes naissent libres et égaux en droits».
Tout comme l’article 1 de la Charte du Mandé ou «Charte de Kurukan Fuga» proclamée dans l’Empire du Mali en 1222 et qui stipule que «toute vie est une vie, aucune vie n’est plus respectable qu’une autre vie de même qu’aucune vie n’est supérieure à une autre vie». Et au maire de rappeler également, «être Noir et Français n’est toujours pas une évidence aujourd’hui pour beaucoup de monde. Les dernières élections l’ont encore prouvé à celles et ceux qui avaient encore besoin de preuves…».
«Au moment où je prononce tous ces mots, comment les recevez-vous ? Prenez-vous ce discours comme venant d’un Noir ou d’un Français ? D’un élu de la République ou d’un Îlodyonisien ?… Si je vous dis que ce discours a été coécrit avec un Blanc, le recevez-vous différemment ?», a-t-il interrogé l’assistance. «Un des enjeux de notre société est qu’un jour, ces question n’aient plus aucun sens… Nous en sommes encore loin, hélas…», a poursuivi M. Mohamed Gnabaly, maire de l’Île-Saint-Denis. Et pour y parvenir, il faut que chacun réussisse à se libérer de ses «chaînes, individuellement et collectivement». Ce qui exige de tout faire pour ne pas considérer ce constat comme une fatalité et pour fabriquer chaque jour plus d’ouverture d’esprit, d’opportunités, d’apaisement et de justice…
Il est aussi indispensable de toujours avoir à l’esprit que «nous vivons dans une société et un monde dont le fonctionnement nous dépasse et que malgré nos efforts, nos pratiques et nos habitudes collectives, comme les inégalités, ont la dent dure…», a rappelé M. Gnabaly. Il a conclu son intervention par deux citations du légendaire et regretté poète de la Négritude, Aimé Césaire, selon qui, «une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde». Mais, avait-il aussi l’habitude de dire, «j’ai toujours un espoir parce que je crois en l’Homme. C’est peut-être stupide. La voie de l’homme est d’accomplir l’humanité, de prendre conscience de soi-même».
Invitée d’honneur de l’événement, le ministre de l’Artisanat et du Tourisme a remercié les organisateurs pour le choix porté sur sa modeste personne et aussi pour cette noble initiative. Ainsi, Mme Nina Wallet Intallou a mis l’accent sur les efforts du gouvernement malien pour ramener la paix et l’entente afin de mieux protéger les droits humains. Le vivre ensemble est aujourd’hui une priorité des autorités maliennes qui ne cessent de consentir des efforts énormes pour la paix et la réconciliation nationale. À noter que cet événement avait avec comme parrain et marraine M. Berthet One et Mme Awa Imani.
Moussa BOLLY