Une fois de plus depuis trois ans, Ouagadougou a été le lieu d’une énième attaque terroriste (double attaque cette fois) le 02 mars 2018 un peu plus de 10h locale à l’état-major général des armées du Burkina-Faso, et à l’ambassade de la République française. Cette dernière attaque sera revendiquée deux jours par le mouvement djihadiste appelé groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), groupe né de la fusion le 02 mars 2017 du groupe Ansar Dine du djihadiste malien Lyad Ag GHALY, du groupe Al-mourabitoune de l’algérien Mokhtar BELMOKTHAR et de l’Emirat du Sahara, une branche d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
Une fois de plus depuis trois ans, Ouagadougou a été le lieu d’une énième attaque terroriste (double attaque cette fois) le 02 mars 2018 un peu plus de 10h locale à l’état-major général des armées du Burkina-Faso, et à l’ambassade de la République française. Cette dernière attaque sera revendiquée deux jours par le mouvement djihadiste appelé groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), groupe né de la fusion le 02 mars 2017 du groupe Ansar Dine du djihadiste malien Lyad Ag GHALY, du groupe Al-mourabitoune de l’algérien Mokhtar BELMOKTHAR et de l’Emirat du Sahara, une branche d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
Selon le GSIM, la double attaque de Ouagadougou serait une réponse à l’opération menée le 14 février dernier par les forces françaises de l’opération Barkhane qui avait fait une vingtaine de victimes djihadistes. Comme pour les cas des précédentes attaques, on a assisté à une succession d’interventions d’experts dans les medias, tentant de justifier ou d’expliquer ce double attentat.
Ces experts sécurocrates prestant pour des centres de réflexion sur la sécurité, des organisations non gouvernementales ou pour des centres de recherche, certains en quête d’une légitimité médiatique, se sont tous illustrés par des explications de type sécuritaire sur le phénomène du djihadisme : « le problème est la dislocation du régiment de sécurité présidentielle (RSP) et l’asymétrie du conflit à laquelle les forces burkinabè, mal équipées et pas averties ne peuvent faire face » ont argumenté certains pendant que d’autres arguent sur le fait que c’est le résultat de la rupture d’un pacte de non-agression jadis signé entre l’ancien régime et les groupes djihadistes de la zone du sahel, ou sur l’inexistence d’un service de renseignement efficace au Burkina-Faso.
Même si ces argumentations des sécurocrates peuvent être justifiés par leur rationalité, des questions demeurent toutefois sur l’origine et la nature de cette situation conflictuelle qui occasionne les multiples attaques que le Burkina Faso subit. En effet, quels arguments justifient historiquement cet usage de la violence non seulement contre le Burkina-Faso mais aussi le Mali, le Niger, l’Algérie ? Pourquoi ce recours à l’islam dans le discours comme outil de légitimation de cette violence ? Pourquoi les différents groupes armés sont-ils issus de la même région et pourquoi concernent-ils des populations d’un seul groupe ethnique ?
Certes, lutter contre le terrorisme pour assurer la sécurité des populations et des biens suppose des actions militaires. Toutefois, ce basculement dans le terrorisme comme moyen d’expression par une composante de la population n’est-il pas la conséquence d’une frustration historiquement subie et jamais régulée ? Au-delà de la nécessaire action militaire, quelles solutions durables pour éradiquer les frustrations et les tentations de la violence de ces populations et consolider l’Etat-nation ?
Notre analyse n’a pas pour objet de désavouer les explications déjà émises par les experts, encore moins de critiquer les actions de sécuritisation entreprises par les pouvoirs publics non seulement au Burkina-Faso mais aussi au Mali et au Niger. Elle a plutôt pour objectif de proposer une approche sociologique aux causes du phénomène du terrorisme qui touche le Burkina-Faso ainsi que certains pays voisins. Cette approche peut permettre à moyen et long termes, à l’Etat dans ces pays concernés, de reconquérir sa légitimité auprès d’une population dont l’islamisme radicale, refuge empirique, capte les frustrations.
Sociologie et conséquences d’une discrimination.
De notre point de vue, la discrimination et l’ostracisme endurés par ces populations transfrontalières remontent aux périodes coloniales. Ils seront ensuite entretenus après les indépendances par certains Etats, ce qui justifie la violence de leurs revendications. Les populations Touaregs vivent depuis les périodes précoloniales, éparpillées entre le Mali, le Niger, la Mauritanie, l’Algérie, la Libye et le Burkina Faso comme nous le montre la carte ci-dessous.
Avec le modèle d’administration de la colonie en Afrique Occidentale Française exercé par la France qui consistait en une domination des populations des territoires conquis pour l’exploitation des ressources, le système social touareg (le nomadisme), incompatible à la domination coloniale sera bouleversé. Les groupes Touaregs seront ainsi discriminés et violentés par cette administration coloniale et continuellement contraints à l’exode de part et d’autre dans le Sahara .
Les premières rebellions face à cet ordre social bouleversé survinrent en 1911 à Ménaka dans la région de Gao au Mali et se résultèrent par une répression atroce des troupes françaises. Cette zone de l’AOF demeurera dans ce modèle colonial discriminant les Touaregs et ayant créé et entretenu en plus, un clivage groupes Touaregs/populations noires. Les indépendances eurent donc lieu dans ce climat de méfiance vis-à-vis des peuples Touaregs et les discriminions dont ils étaient victimes ne cessèrent. Ils seront ainsi écartés de la gestion du pouvoir dans la plupart des pays par leurs frères sub-sahariens.
Dans ce contexte, les premières rebellions advinrent au Mali entre 1962 et 1964. Elles se résultèrent par une sanglante répression armée ainsi que l’instauration d’une administration de type coercitif dans la zone désertique du pays, ce qui contribua à affecter le discours sur l’unicité de la nation malienne.
Les années quatre-vingt-dix et la vague de liberté qu’elles drainent verront la réactualisation des revendications irrédentistes Touaregs face à des Etats jugés illégitimes. Ces revendications entrainent de nouveau l’entrée dans une période de conflits internes de type ethnique au Mali et au Niger, avec quelques éphémères grognes au Burkina-Faso. Au Mali, le mouvement populaire de l’Azawad (le premier de Lyad Ag GHALI) MPA attaque une garnison militaire à Ménaka le 28 juin 1990.
Les affrontements qui suivirent entraineront plusieurs victimes et un accord sera signé deux ans plus tard qui permet un degré d’autonomie à la région de l’Azawad, et une promesse d’investissements de la part de l’Etat pour développer cette zone, promesse non tenue qui expliquera le retour à la conflictualité en 2007 puis quelques années plus tard avec le mouvement national de libération de l’azawad, crée le 16 octobre 2011 par Lyad Ag GHALI avec l’objectif d’occuper Bamako. La marche vers Bamako de ce mouvement rebelle sera stoppée quelques semaines plus tard par l’intervention des forces françaises.
Au Niger, naitra l’organisation de la résistance armée (ORA) dont les actions et le discours radicalement irrédentistes entraineront un conflit avec le pouvoir légal-rationnel. Une médiation menée à cette occasion par le Burkina Faso aboutira à un accord qui sera signé à Ouagadougou le 15 juillet 1995.
Au Burkina-Faso, Ansarul Islam, un groupuscule qui fonde sa légitimité sur un islamisme radical est créé en 2016 par Daouda Malam DICKO en soutien aux mouvements cités plus haut. Il s’est affilié de ce fait à Ansar Dine et véhicule un discours irrédentiste appuyé d’actions subversives.
La perte du monopole de la violence légitime de l’Etat et l’émergence d’un islamisme radical opportuniste.
Dans ce contexte, quid de la légitimité de l’Etat-légal rationnel dans cette zone ? Dans le contrat social qui le lie aux populations, l’Etat a pour prérogatives les fonctions de garant de la sécurité des populations dans le territoire. La matérialisation de cette relation verticale est ce qui constitue sa légitimité auprès des populations qui elles, le reconnaissent en tant que puissance publique .
Dans les cas des mouvements irrédentistes touaregs, on constate qu’en dépit des accords signés à la suite de médiations entreprises par des pays voisins, et les promesses d’investissements faits par les gouvernements (Mali, Niger), l’Etat peine à affirmer son autorité dans cette région qui est s’avère sous contrôle des mouvements armés : « AQMI et Al Mourabitoun jouissent d’une totale liberté de mouvement dans certaines régions du Mali, du sud de l’Algérie, mais les deux groupes conservent leurs bases arrières en Lybie… ils maintiennent des caches d’armes, de petits camps et des postes logistiques au Mali, Niger et en Algérie. Ces deux groupes savent tirer parti des terrains montagneux accidentés et notoirement difficiles à pénétrer pour les armées ».
Ces mouvements armés auxquels s’ajoutent le MNLA, le GSIM et Ansarul-Islam, tirent tous leur légitimité de la frange radicale du salafisme radical, un courant qui préconise « l’islamisation de la loi, de l’économie et de l’État, etc. », par la méthode d djihad. Il s’agit donc dans les faits, de mouvements politico-religieux « visant soit à prendre le pouvoir et établir un ordre politique islamique, soit à initier une transformation sociale consolidant la prééminence de l’islam dans toutes les sphères de la vie sociale » par la violence.
La carte ci-dessous, qui nous révèle les différents mouvements islamistes dans le continent, nous illustre la situation dans cette zone du Sahara.
Profitant de l’absence de l’Etat dans la zone, et de populations abandonnées et vouées à la soumission et/ou à la complicité, ils ont imposé l’application des principes de l’islamisme. Quant aux régions sous contrôle de l’Etat dans cet espace (Mali, Niger, Burkina-Faso) et qui les combattent, la stratégie consiste en des attaques terroristes ciblées comme le démontre la double attaque de Ouagadougou.
La seconde conséquence de l’occupation de cette zone par les groupes islamistes est sa transformation en zone de trafics. En effet, ces groupes islamistes, maitres des lieux, ont transformé cette partie du Sahara en lieu de trafics d’armes, de faux médicaments, de drogues, de cigarettes …, et en lieu de transit de ces stupéfiants vers diverses régions du monde, avec la collaboration des populations.
A ces trafics s’ajoutent les réseaux de l’immigration illégale qui, bénéficiant de leur aval, ont fait de cette zone, un passage pour l’Europe : « Les réfugiés venant d’Afrique de l’Ouest, du Centre et plus au sud ont tendance à suivre les vieilles routes de commerce à travers le Sahel, comme la route allant du Mali à la Lybie en passant par le sud de l’Algérie ou encore par le Niger, d’Agadez (un nœud de circulation) puis par le sud de la Lybie jusqu’à la côte.
L’instabilité de la Lybie e bien évidemment offert des opportunités sans précédent d’atteindre l’Europe pour ces migrants très largement économiques ». La carte ci-dessous illustre le désordre existant dans la zone du Sahara du fait de la faillite de l’Etat.
Reconquérir les populations après la sécurisation : le rôle du programme d’urgence pour le sahel.
Comme nous l’avons affirmé plus haut, les actions sécuritaires entreprises par la puissance publique burkinabè en solo et dans le cadre du G5 sont une nécessité dans ce contexte de terrorisme. Elles permettront à court terme de rétablir l’ordre sécuritaire et l’autorité étatique. Le véritable chantier (tant au Burkina-Faso qu’au Mali et au Niger) sera la reconquête des populations du nord.
En effet, l’éradication de toute volonté irrédentiste et subversive passe par des politiques de développement et une redistribution conséquente auprès de ces populations. Cette discrimination positive aura pour conséquence de faire émerger dans ces zones, l’idée de l’appartenance à une nation indivisible.
Ce sentiment quant à lui, permet à son tour à des populations historiquement discriminées, de se sentir concernées et de s’impliquer auprès de l’Etat dans les grands défis sur place qui sont la sécurisation de la zone sahélienne du pays, et la lutte contre le terrorisme. Pour le cas burkinabè, le programme d’urgence pour le sahel constitue un premier pas vers cette normalisation et est à encourager.
Toutefois, l’aspect transfrontalier des populations du sahel peut le rendre contreproductif si des programmes similaires ne sont pas appliqués dans les autres pays concernés. Des programmes similaires doivent être initiés par le Niger et le Mali afin de développer une dynamique sous-régionale en faveur de ces populations du sahel longtemps incomprises et discriminées.
Dr Windata ZONGO
Chargé de programmes/projets au centre africain d’analyses et de recherches diplomatiques et stratégiques (CAARDIS).
www.caardis.org
Tags: GaoMénakamnlaOpération Barkhane