Des représentants de 17 pays sont attendus, ce jeudi 14 novembre 2013, à Rabat pour participer à la Conférence sur la sécurité des frontières dans la zone sahélo-saharienne. L’objectif est d’amorcer une réponse coordonnée aux défis suivants : terrorisme, trafic d’armes, trafic de drogue, immigration clandestine.
Le Sahel n’est pas devenu la région de tous les trafics. Zone d’échange depuis qu’il existe des sources écrites, la bande sahélo-saharienne a toujours abrité différents types de commerces, que l’on classifie aujourd’hui, notamment depuis la création des frontières, de légal ou d’illégal, avec des populations qui sont habituées à transporter des marchandises librement. Et c’est toujours le cas, puisque ces frontières sont très largement incontrôlées.
Difficile de contrôler les frontières
Judith Scheele, anthropologue à l’université d’Oxford en Grande-Bretagne a passé seize mois entre le sud algérien et le nord du Mali à circuler avec des transporteurs, fraudeurs ou non. Elle estime que l’idée de fermer les frontières à tout type de trafic est extrêmement difficile à mettre en œuvre. « On peut encourager les forces de l’ordre de la région à être plus vigilantes, cela voudra dire plus de corruption, mais pas moins de déplacements », explique-t-elle, ajoutant que rien n’empêchera véritablement ces populations de passer. Cela pourrait être même contreproductif. « S’il y a plus de surveillance, les gens vont payer plus cher les forces de l’ordre pour pouvoir passer », poursuit l’anthropologue Judith Scheele.
« Ceux qui font de la fraude sérieuse, comme les trafiquants de drogue, auront les moyens de continuer. Et ce seront les pauvres qui font du trafic de pâtes et de couscous qui seront pénalisés ». Or, les populations vivant dans le Sahel sont déjà très largement paupérisées et survivent essentiellement grâce à la fraude ou aux trafics. L’auteur de Smugglers and Saints of the Sahara, édité aux Presses Universitaires de Cambridge en 2012, explique qu’au sein même des familles, chaque membre peut mener sa propre activité, frauduleuse ou non. Les jeunes sont attirés par le trafic de drogue, car c’est un moyen rapide d’obtenir son premier pick-up ou de se marier. Plus tard, ils auront tendance à choisir des activités moins risquées.
Rivalités et méfiance entre les pays riverains
Il y a la rivalité entre les deux pays du Maghreb qui entendent jouer un rôle dans la sécurisation de l’espace sahélo-saharien : le Maroc, qui organise cette conférence de Rabat, et l’Algérie, qui a refusé d’y participer, sur fond de tensions autour de la question du Sahara occidental.
L’absence de l’Algérie est déjà un problème majeur pour le succès de cette réunion tant ce pays est incontournable quand il s’agit de parler de sécurisation du Sahel. Pour Medhi Taje, professeur de géopolitique, c’est la puissance régionale « qui ne peut qu’avoir un rôle extrêmement important relatif à la sécurisation des frontières, à la fois sur le plan militaire, mais aussi sur le plan économique et sur le plan humain » et notamment par sa proximité géographique avec le Mali. « L’Algérie partage une frontière de 1 300 à 1 400 kilomètres avec le nord du Mali avec des populations qui sont imbriquées de part et d’autres. Des liens qui sont donc extrêmement étroits », poursuit cet expert auprès de l’Institut tunisien des études stratégiques, ajoutant qu’Alger avait développé une stratégie de « pompier pyromane ». Ce qui entraîne une méfiance de nombreux pays de la région et notamment des riverains du sud.
« De nombreux responsables sécuritaires de pays sahéliens ne le cachent pas en privé, mais ne le disent pas publiquement parce qu’ils ont peur des mesures de rétorsions, compte tenu justement de sa capacité de nuisance », explique Mehdi Taje. « Dans l’Etat profond algérien, différents clans sont en lutte pour l’accaparement de la richesse pétrolière algérienne, pour la mainmise sur les trafics ou sur le pouvoir politique ». Et certains de ses clans, poursuit ce professeur de géopolitique tunisien, ont des liens avec des groupes comme Aqmi ou Ansar Dine, le groupe dirigé par le touareg malien, Iyad Ag Ghali.
Un manque de volonté politique manifeste
L’Algérie n’est pas le seul pays pointé du doigt. La Libye, depuis la chute de Mouammar Kadhafi, reste un « grand marché d’armes à ciel ouvert », estime Matthieu Pellerin, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Un Etat quasi inexistant, des milices qui règnent en maître et dans le sud du pays, des groupes terroristes qui profiteraient de ce chaos pour s’y installer, comme l’ont très souvent dénoncé ses voisins du sud, le Tchad et le Niger. Mais pour Matthieu Pellerin, tous les pays de la région manquent de volonté politique pour lutter contre les réseaux criminels au Sahel. « On voit bien que ces réseaux sont protégés », explique-t-il.
« Aujourd’hui, vous avez des narcotrafiquants notoires, notamment au Mali, certains ayant des mandats d’arrêt sur leur tête qui continuent de circuler librement dans la région ». Cette absence de volonté politique s’explique, selon plusieurs experts sur le Sahel, par les liens incestueux qu’entretiennent les pouvoirs locaux ou nationaux avec les trafiquants. Matthieu Pellerin estime également qu’il y a dans les pays riverains du Sahel une « absence de capacité manifeste ». Manque de moyens financiers, de personnel formé et des frontières à contrôler de milliers de kilomètres, autant de handicaps qui s’ajoutent pour mettre en place une surveillance efficace.
Source : RFI