C’est une très bonne question. En fait pourquoi les autres ont écrit leur histoire et en sont venus à écrire aussi la nôtre ? Est-ce de la méchanceté de leur part ou une carence de notre part ? J’ai critiqué par exemple en votre absence du réseau notre fameuse charte de Kurukanfuga comme étant inventée de toutes pièces et sincèrement une honte parce que seuls les Maliens habitués aux flatteries de griots peuvent croire à une telle supercherie. Pour les Européens, ils voudraient simplement nous donner un petit coin pour nous défouler parce que la petite histoire ne répond absolument à aucun des critères qu’ils s’imposent à eux-mêmes.
Pour moi, accepter des choses comme le Kurukanfuga, c’est ça le complexe. C’est le refus de d’accepter la vérité sur soi, d’accepter son histoire réelle, d’accepter ses carences. C’est la volonté de paraitre ce qu’on n’est pas, au détriment de la vérité. Quand on se débarrasse de ses complexes, on invite à la critique, on est à l’aise avec les critiques, on demande “sans complexe” ce qu’on ne sait pas, on reconnait ses limites.
“Allez regarder les films westerns des années 1960. Et allez faire un tour aux Etats-Unis d’Amérique vous comprendrez pourquoi les premiers habitants de ce pays vivent dans des réserves. Mais surtout vous auriez eu honte de vous-même si vous aviez vu ces films sans lire ce que je suis en train d’écrire. Car les Indiens y sont toujours traités comme des méchants, des dangers. Et quelques fois inconsciemment on l’intègre surtout quand on est jeune. Certains Américains blancs en arrivaient encore dans les années 80 à dire que tous les Américains sont des immigrés oubliant que les Indiens y étaient avant tout le monde”.
Les films des années 1960 ne correspondent pas au standard d’aujourd’hui. Mais croire que les Indiens étaient partants pour l’occupation de leurs terres ne serait pas exactement juste. Les Indiens étaient bien méchants et très méchants même si c’est à juste titre. Ils vivent aujourd’hui dans des réserves par choix ou consensus après leur défaite. Je disais d’ailleurs en votre absence que le problème touareg demandait la création de réserves pour les rebelles irréductibles et Kidal semble en être une. Comme vous le savez certainement, les réserves indiennes sont des territoires entièrement sous le contrôle des Indiens et ils y vivent selon leurs coutumes et leurs lois, en marge de l’autorité américaine. Ce n’est donc pas l’image de zoo qu’on pourrait avoir.
“Généralement pour dominer un peuple il faut l’avilir, le rabaisser, le déshumaniser pour pouvoir justifier auprès de ses propres congénères les plus réticents ce qu’on en fait. Quand les prêtres disent aux Africains que la colonisation c’est pour leur bien, il y a lieu de se poser des questions. Cela n’excuse pas que des africains ont attrapé des africains pour les vendre. Mais il n’y a pas eu qu’en Afrique l’esclavage”.
Si vous écoutez les vieux africains eux-mêmes avec attention, vous n’aurez aucun problème à reconnaitre que les Blancs n’ont pas traité les Noirs pire que les Noirs entre eux. D’ailleurs quand vous traversez l’Europe aujourd’hui en tant qu’Africain en règle pour vous rendre en Afrique, vous commencez à vous inquiéter en arrivant en Afrique, parce que là un seul flic, un soldat ou un bourgeois local peut vous faire disparaitre ou vous rendre très misérable.
Voyez les atrocités au Congo, au Nigeria, au Rwanda, que dis-je, au Mali !
Il ne faut pas un prêtre pour dire que la colonisation nous fit du bien. Je l’ai dit ici à haute voix. Elle fut brutale pour sûr, mais les Blancs ne nous devaient rien et n’avaient aucune raison de simplement nous apporter leur technologie sur un plateau d’argent. Notre état d’avancement “social” et civilisationnel nous prédisposait à la subjugation coloniale et aussi avant, à l’esclavage arabe puis européen. Sinon, comment les justifiez autrement ? Par la méchanceté des Blancs ? Et où en serions-nous aujourd’hui sans la colonisation ?
Je pense que si nous décomplexons, nous pouvons toujours nous rattraper, nous racheter. Mais tant que nous serons dans la dénégation, nous aurons encore plus de fléaux à endurer. Nos troubles d’aujourd’hui ne sont qu’une gestation violente de notre société en quête d’équilibre. Nous pouvons amoindrir la violence si nous acceptons de voir nos carences. Autrement, il va falloir remuer, secouer, couper-décaler, comme on fait le to dont le nom songhay est une onomatopée bien descriptive : kourba-kourba.
Tous les peuples ont fait la guerre. On dit que c’est la guerre qui fait avancer l’histoire. Mais certaines guerres sont faites pour la sécurité ou la sécurisation de zones d’influence. D’autres ne sont que pillages, prédation et parasitisme. Ces dernières étaient les plus fréquentes en Afrique précoloniale.
Sabu Nyuman
Le Confident