A la retraite, l’Historien émérite de son état, Professeur Mohamedoun Dicko, non moins premier secrétaire général de l’Adema/Pasj, soutient le projet de redécoupage administratif. Selon lui, dans les détails, on peut commettre des erreurs, mais de nos jours, il était plus que nécessaire de réfléchir à réorganiser cet immense territoire du Mali. Il a bien voulu se confier à votre serviteur.
La Lettre du Peuple : Le projet de redécoupage administratif du territoire fait l’objet de débat et suscite à la fois des interrogations, mais aussi des critiques. Quelle analyse faites-vous de la démarche gouvernementale ?
Mohamedoun Dicko : Je pense que c’était normal qu’on s’occupe de la réorganisation du territoire malien, parce que c’est un pays vaste. Nous avions hérité de l’administration coloniale la structure actuelle. Le régime colonial avait ses raisons. Il est aussi important de rappeler que depuis le temps du Président Modibo Keïta, on avait pensé à réorganiser ce territoire. C’est d’ailleurs avec lui qu’on a créé les régions. En son temps Tombouctou faisait partie de la région de Gao. Cela a été une bataille entre les dirigeants de Gao et les dignitaires de Tombouctou qui avait à leur tète Mahamane Alassane Haïdara. C’était obligatoire qu’on réorganise le territoire. Dans les détails, on peut commettre des erreurs, mais de nos jours il est plus que nécessaire de réfléchir à réorganiser cet immense territoire du Mali. Il n’y a pas autre voie et solution pour stabiliser ce pays. Par exemple, au nord, entre Tombouctou et Taoudéni, il y a pratiquement 800 km. Comment voulez-vous que cette zone soit bien administrée de la sorte. Or, c’est une région qui a de l’avenir. On parle de pétrole et de beaucoup d’autres choses. Il fallait que l’Etat soit là-bas pour que les gens y restent. En plus du point de vue stratégique, Taoudéni fait frontière avec l’Algérie et la Mauritanie. De toutes les façons, un pouvoir doit chercher à occuper tous les espaces de son territoire pour mieux l’organiser et l’administrer pour le bien-être de tout le monde. C’est à ce seul prix que l’Etat pourrait exprimer sa présence dans ces zones. Cependant, dans cette affaire, certainement, il y a des gens qui ont des agendas personnels ou des objectifs politiques qu’il faut défendre à tout prix et par tous les moyens. Nous sommes en politique, c’est leur droit. Mais en réalité, le Mali a besoin de cette réorganisation administrative de son territoire pour assurer sa survie et sa raison d’être. L’une des causes récurrentes des rebellions au nord, c’est le manque de cette reforme administrative et politique. Cette partie du Mali est occupée par des bandits et des hors-la-loi. Je soutiens que le territoire malien soit réorganisé.
Etes-vous d’avis de ceux-là qui estiment que ce projet porte les germes de la partition et de la dislocation du Mali ?
Au-delà de tout ce qui se dit, la grande majorité des populations du nord sont très attachés à la République du Mali. C’est une vérité qui ne plait pas à tous. Mais c’est cela la réalité des choses. Ceux qui sont ici et qui parlent n’importe comment ne connaissent rien du problème. Ce n’est pas parce que quelques brebis galeuses ont pris des armes qu’il faut dire que les gens du nord veulent se soustraire du Mali. Je ne crois pas que ceux qui ont même pris les armes sont réellement décidés à sortir de la République du Mali. Pour renforcer l’unité nationale, il faut rapprocher l’Etat de ses administrés. A mon avis, le Gouvernement prendra le soin d’accompagner ce projet afin qu’il soit un facteur de plus pour la consolidation de la paix entre les différentes communautés du nord et aussi entre celles des autres régions. Le Gouvernement n’a aucun intérêt qu’il y ait un problème à ce sujet. Je ne crois pas qu’il a un leader sérieux au Mali qui pense à la partition du territoire. Les idées de création de l’Etat de l’Azawad n’étaient que des réactions face à une suite donnée. Il faut reconnaitre que de l’indépendance jusqu’en 1991, le nord du Mali a été mal géré. Les gens n’ont pas suivi Modibo Keïta dans la logique de la devise de notre pays. Cette devise voudrait « Un Peuple-Un But-Une Foi ». Donc, un Mali en construction. Cela a été mal compris et on continue de croire que cela est déjà un acquis. Alors que cette quête est perpétuelle. C’est pourquoi, il est dangereux de faire passer les dirigeants actuels comme des gens pratiquement inconscients. On peut faire sa politique tout en respectant l’autre aussi. Il ne faut pas partir de suppositions pour contribuer à une situation incertaine et difficile pour les Maliens.
Entretien réalisé par Jean Goïta
Source: La Lettre du Peuple