Moctar Ousmane Sy : Notre pays connait l’une des plus graves crises de son existence et je reste fortement préoccupé par les récents évènements et leurs conséquences sur la stabilité du pays.
Ces événements, qui continuent de bouleverser le fonctionnement de nos institutions, résultent de la gestion décousue d’un cadre politique inopérant et inadapté à nos nouveaux besoins. Ce qui nous conduit dans une situation politique inédite faite d’incertitudes et d’appréhensions sur l’avenir même de notre nation sans compter les répercussions sur le contexte social et sécuritaire déjà fragiles.
La Transition que nous vivons a démarré avec les meilleures intentions malgré les réserves pertinentes exprimées par certains acteurs importants qui ont fini par abdiquer face à une majorité impatiente d’être aux responsabilités avec le risque de mal faire.
Ce coup d’arrêt de la Transition qui intervient à mi-parcours est la conséquence de tous les choix qui auraient dû être faits avec courage avant la mise en place des autorités de Transition mais qui ne l’ont pas été. Je pense que les protagonistes doivent nécessairement profiter de cette rectification pour réparer les erreurs, écarter les incompréhensions et se donner la chance de sortir de la Transition par le haut.
Je rappelle que malgré neuf mois d’exercice, les problèmes demeurent notamment la crise sécuritaire, qui s’intensifie, la trêve sociale en souffrance sans compter les échéances électorales qui seront difficiles à tenir dans cette situation complexe.
Deux coups d’Etat en 9 mois, c’est quand même grave dans un pays en crise ?
Cette autre situation même si elle est injustifiable s’explique par la faillite collective des acteurs et de nos instruments politiques. Après trois coups d’Etat en trois décennies, il urge, pour nous acteurs politiques, de nous ressaisir en cessant de reproduire les mêmes erreurs du passé pour en finir avec ce cycle funeste de coups d’Etat.
Que préconisez-vous afin qu’on ne se retrouve pas toujours en rupture de l’ordre constitutionnel ?
Si l’espoir est permis, le retour à un processus normal sera long et difficile suite aux nombreuses épreuves qui ont ébranlé nos convictions républicaines et affecté la confiance des populations en un Etat pratiquement en voie de disparition.
J’exhorte dans un premier temps que les dirigeants œuvrent autant que faire se peut au rétablissement de la légalité, car il nous serait impossible d’assurer le retour de la normalité des relations entre le Mali et la communauté internationale.
Ensuite, je pense que cela passera aussi forcément par la refondation de notre Etat, la restauration des valeurs et des principes fondateurs de notre République. Il nous faut impérativement éduquer nos jeunes et nos futures générations au respect strict de l’ordre constitutionnel établi.
Beaucoup imputent la situation politique à la faillite de la classe politique. Partagez-vous ce point de vue ?
De mon point de vue, il s’agit d’un échec imputable à l’ensemble des composantes du peuple malien même si je reconnais par-dessus tout la responsabilité active des acteurs politiques qui, de par des pratiques mortifères consensuelles, ont agi de sorte à installer une crise de confiance entre les gouvernants et les gouvernés. Ces derniers sont tout aussi responsables en raison de leur manque d’implication et d’engagement pour contrôler, évaluer et éventuellement sanctionner les acteurs politiques.
J’ai la certitude que l’écosystème politique malien connait des impératifs d’évolutions qui se traduisent d’une part, par la complexification des crises sécuritaire, politique, économique, sanitaire et sociale et d’autre part, par l’appel d’une majorité qui aspire à une nécessaire refondation du Mali par une génération de femmes et d’hommes capables dans le cadre d’une nouvelle offre de gouvernance, d’établir et de mettre en œuvre des politiques publiques porteuses d’un développement réel et durable du cadre économique et social malien.
A votre avis, le nouveau Mali “Mali Kura” doit ressembler à quoi ?
Notre Mali Koura, selon moi, doit être bâti par des réformes conduites dans un processus politique pensé et construit avec les Maliens dans une vision axée sur la solidarité et le rassemblement, respectueuse de nos traditions et au service d’un développement harmonieux.
Notre Mali Koura doit refléter notre vision et définir nos intentions à l’égard de nos compatriotes, il doit être dirigé et soutenu par des femmes et des hommes porteurs de valeurs morales et /ou éthiques, au service d’un engagement patriotique.
L’efficience de notre Mali Koura se mesurera dans sa capacité à contenir des solutions durables aux préoccupations des populations. Chacun d’entre nous devra être un citoyen exemplaire engagé au respect des principes suivants :
– L’intégrité ;
– L’attachement à la valeur du travail ;
– La confiance, le respect mutuel et le respect des engagements pris à l’égard des concitoyens ;
– La solidarité à l’endroit des concitoyens ;
– Le patriotisme et l’exemplarité par l’intérêt de la nation placée au-dessus des intérêts individuels.
Un conseil pour le nouveau Premier ministre ?
J’ai appris à travers les médias que le président de la Transition a proposé de confier le poste de Premier ministre au M5-RFP, c’est une bonne chose si ça se confirme, car cela montrerait à suffisance la volonté du président Assimi Goïta d’impliquer un des acteurs incontournables dans la gestion de la Transition.
Cependant, je constate une attitude méfiante du reste de la classe politique qu’il ne faudrait pas négliger au risque de répéter les erreurs commises au départ de la Transition. Il serait judicieux pour le Premier ministre de procéder immédiatement après sa nomination au rassemblement des Maliens de tous les bords pour qu’ensemble nous puissions relever les défis de la Transition.
Le fin mot de la fin ?
Je voudrais m’adresser à mes compatriotes en soutenant que je crois aux atouts du Mali et à la résilience de notre peuple, et c’est la raison pour laquelle je suis convaincu que cette crise que notre pays traverse est une opportunité de nous ressaisir pour faire face aux multiples défis de l’unité, de la paix, de la sécurité et du développement durable afin de redonner au Mali une place prépondérante dans le concert des nations et dans l’unité africaine.
Réalisée par Kassoum Théra
Source: Aujourd’hui-Mal