Il n’existe pas d’antécédents historiques à la décision politique mondiale ayant conduit à stopper brutalement l’ensemble des activités « non vitales », en réponse à la pandémie du Covid-19. Il n’existe pas non plus d’antécédents, pour les décideurs politiques, sur les conditions du succès de la reprise, après un choc de cette ampleur. Pourtant, très clairement, les gouvernements doivent maintenant prendre la main, car les ressorts de marché ont disparu ou se sont fortement contractés, et le secteur public est la seule bouée de sauvetage pour des millions de gens et d’entreprises en péril.
Les pays à revenu élevé comme les économies en développement ont besoin d’urgence de mesures contra-cycliques pour maintenir l’activité économique et les emplois. Et les banques de développement pourraient bien être l’un des instruments majeurs à la main de la plupart des gouvernements comme de la communauté internationale. Ces institutions, en effet, peuvent avoir un effet de levier significatif sur les ressources publiques pour minimiser la récession qui s’annonce, soutenir la reprise, et financer les transformations structurelles les plus souhaitables.
Les banques de développement, qu’elles soient actives dans un périmètre local, national, régional ou international, sont le plus souvent négligées par les spécialistes de la finance.
Elles sont pourtant plus de 400 et le total de leurs actifs atteint 11 trillion USD, selon une base de donnée de l’Agence Française de développement (AFD), un montant équivalent à 70% de l’ensemble des actifs du secteur bancaire des Etats-Unis. Capitalisées par les Etats, mais organisant leurs financements en mixage avec le secteur privé, les banques de développement engagent chaque année 2 trillion USD, soit environ 10% de la Formation Brute de Capital Fixe mondiale.
Ces institutions vont du plus global (Banque Mondiale) au plus local, de la plus grande (China Development Bank, avec 2.4 trillion USD d’actifs) à des établissements de toute petite taille. Mais elles sont toutes unies par une même stratégie, et sont à même de lancer les fondations d’un modèle de financement différent, fondé sur d’autres critères que purement financiers, soucieux d’un développement qui soit aussi juste et préservant le climat.
Cela est d’autant plus vrai que la « raison d’être » des banques de développement est de suppléer aux insuffisances des marchés, tout comme de financer les transformations structurelles qui amèneront une économie plus équitable et durable. Elles ciblent le plus souvent leurs opérations là où le marché est inefficace ou simplement absent, comme le financement des petites entreprises, la promotion de l’innovation, la construction d’infrastructures, la fourniture d’habitat pour les plus pauvres et bien sûr la lutte contre le dérèglement climatique. Et elles le font en finançant à long terme des projets ou des secteurs très concrets.
Les banques de développement ont des mandats qui les distinguent très clairement des banques commerciales. Elles sont un peu « la main visible » que les gouvernements peuvent activer pour limiter les effets économiques dévastateurs faisant suite au covid-19. Quant aux banques de développement internationales, qui ont pour mandat de financer des opérations au bénéfice des pays pauvres, elles peuvent canaliser les financements à long terme auxquels elles ont accès vers ces économies qui en ont grand besoin. Cela est vrai non seulement pour les banques de développement multilatérales, régionales ou bilatérales, mais aussi des institutions qui financent le secteur privé dans les économies en développement. C’est le cas par exemple des membres de l’Association Européenne des Institutions Financières de Développement, comme le FMO aux Pays-Bas, la DEG en Allemagne ou la Proparco en France. Ces institutions peuvent mobiliser rapidement des prêts à long terme pour des banques commerciales locales, que ces dernières peuvent en suivant prêter aux petites entreprises de leur pays.
Si les Banques de développement, sur l’ensemble de la planète, augmentent leur activité de seulement 20%, ce sont 400 Milliards USD qui seront mobilisés d’ici la fin de l’année. Et comme ces banques, en plus de leurs propres fonds, catalyse une part de la finance privée, le montant disponible pour la relance économique peut aisément doubler, et atteindre 800 milliard de nouveaux financements cette année.
Plusieurs banques de développement ont déjà annoncé des initiatives majeures, dont la KfW allemande, qui prévoit d’augmenter ses financements de 100 milliards EUR (108 milliards USD), ainsi que les banques publiques brésiliennes, qui se préparent à booster leurs financements de l’équivalent de 4% du PIB du pays. La Bancoldex de Colombie et l’AFD française préparent également des plans d’envergure. Pour être efficaces, ces initiatives doivent être opérationnelles rapidement, et d’autres pays sont en train d’entreprendre des actions similaires à très court terme.
Pour les gouvernements qui souhaiteront mobiliser leurs banques de développement de cette manière, le succès reposera principalement sur trois conditions. En premier lieu, ces banques devront combiner une gouvernance transparente et professionnelle, avec des comptes à rendre, en contrepartie de leur autonomie de décision. Elles doivent en deuxième lieu passer à l’échelle et augmenter le montant des financements, ce qui peut justifier un renforcement de leurs fonds propres. Et enfin, elles doivent mettre en place de nouveaux outils de financement mieux adaptés à la mobilisation de financements privés, en parallèle à leurs propres fonds, comme moyen d’atteindre les objectifs visés.
Le COVID-19 a plongé le monde dans une crise économique sans précédent. Mais en augmentant de façon significative leurs financements, les banques de développement peuvent participer au retour à l’équilibre, mais aussi contribuer à la préparation d’un futur plus équitable et plus durable.
Stephany Griffith-Jones, Professeur honoraire à l’Institut d’études du développement de l’Université du Sussex et Directrice des marchés financiers à l’Initiative de dialogue sur les politiques à Columbia University. Régis Marodon, Conseiller spécial sur la finance durable à l’Agence française de développement (AFD). José Antonio Ocampo, Professeur à l’Université de Columbia, ancien ministre des Finances de Colombie et ancien Sous-secrétaire général des Nations Unies aux Affaires économiques et sociales.
LEJECOM