Dans cet entretien, Mamadou Ismaël Konaté s’exprime sur la grève illimitée des magistrats dont les conséquences se font sentir sur le fonctionnement normal de l’appareil judiciaire.
Le Garde des Sceaux assure que le gouvernement est ouvert au dialogue pour que tout puisse rentrer dans l’ordre dans les palais de justice où des
dossiers attendent d’être traités. Interview exclusive
Aujourd’hui, les magistrats sont en grève illimitée. Est-ce à dire que le gouvernement ne veut pas entendre leurs doléances?
Mamadou Ismaël Konaté : Depuis le 9 janvier, les magistrats ont décidé de cesser le travail, dans un premier temps, pour une durée de 7 jours. Au terme de cette durée, ils ont convoqué une assemblée générale extraordinaire à l’issue de laquelle ils ont décidé de poursuivre leur mouvement pour une durée indéterminée. Cette grève est la deuxième depuis que je suis ministre dans ce département. J’ai pris fonction au mois de juillet et j’ai trouvé que les magistrats avaient déjà déposé un préavis de grève qui leur a permis d’arrêter le travail pendant une semaine.
Au cours de la première semaine de la grève, j’ai entamé quelques échanges avec les deux syndicats des magistrats. A l’époque, il y avait en même temps le syndicat des greffiers, celui des surveillants de prison et des travailleurs sociaux. J’ai proposé à l’ensemble de ces professionnels qu’au lieu d’aller en grève, il serait mieux que l’on se retrouve pour discuter et examiner les différentes doléances. Je vous rappelle qu’à l’époque, on avait deux syndicats des magistrats qui revendiquaient de façon distincte les mêmes choses. Quand un syndicat voulait que X soit amélioré, l’autre syndicat voulait plutôt que ça soit Y. Il était bienséant pour nous de réunir toutes ces demandes. C’est pour cela que je me suis fait autoriser par le gouvernement dans le cadre d’une communication verbale qui lui a permis de m’entendre sur mon appréciation de la grève et d’envisager des perspectives, à savoir l’installation d’un dialogue national pour une justice de qualité.
Nous avons ainsi pris contact avec un certain nombre de personnalités en dehors du ministère de la Justice. Il s’agit d’un fonctionnaire du ministère des Finances à la retraite, d’un avocat du barreau malien et de trois magistrats de l’ordre judiciaire. Ces cinq personnalités se sont réunies dans le cadre d’un comité de médiateurs et qui ont installé le dialogue national. Nous avons pris une décision en bonne et due forme en exécution de l’autorisation du Conseil des ministres pour désigner ces cinq personnes au sein du comité de médiateurs et nous leur avons spécifié les missions qui devraient être les leurs, à savoir prendre contact avec l’ensemble des syndicats du monde de la justice qui avaient des revendications, entamer des discussions avec ces syndicats pour réunir l’ensemble des revendications, harmoniser et chiffrer les points de revendications et enfin trouver de bases qui permettent au gouvernement de discuter.
Je rappelle qu’à cette époque, grâce à l’assistance des médiateurs, les syndicats sont arrivés dans une démarche commune pour ramener leurs doléances de 55 points initiaux en 7 points. Les 55 points étaient chiffrés à 110 milliards de Fcfa. En les ramenant à 7 points, ça représentait 31 milliards de Fcfa. C’était encore des bases relativement élevées qui ne pouvaient pas permettre de discuter véritablement.
Compte tenu de l’intransigeance des syndicats, le comité de médiateurs a bien voulu transmettre ses conclusions. Je tiens à préciser que le comité de médiateurs n’était investi d’aucun pouvoir de décision. Même le ministre de la Justice que je suis n’avait pas le mandat du gouvernement de prendre une décision parce que n’étant pas l’ordonnateur des dépenses publiques. En la matière, c’est le ministre des Finances qui intervient et à ses côtés le ministre en charge de la Fonction publique. Il y a eu des discussions qui nous ont permis d’harmoniser les points et d’arriver à des demandes qui étaient celles exprimées par les syndicats des magistrats.
Quelles sont les doléances des magistrats?
Mamadou Ismaël Konaté : Les demandes sont essentiellement liées à l’augmentation des salaires, des primes et indemnités d’une part et à la création des primes et nouvelles indemnités d’autre part. Par exemple, les magistrats demandent 5 millions d’augmentation de salaire pour le premier président de la Cour suprême, 5 millions pour le procureur général près la Cour suprême. Ce qui fait une augmentation de près de 650%. Ils demandent en même temps 4,5 millions pour les conseillers et les avocats généraux au niveau de la Cour suprême, 4 millions pour les magistrats de grade exceptionnel, 3,5 millions pour les magistrats de premier grade et 3 millions pour les magistrats de deuxième grade. L’incidence de ces doléances sur le budget national représente par mois environ 2,8 milliards de Fcfa. Au total, elle est d’environ 34 milliards de Fcfa par an.
Quelle est la position du gouvernement par rapport à ces doléances?
Mamadou Ismaël Konaté : Face à un syndicat, aucune demande n’est de trop. Simplement un gouvernement, comme celui de la République du Mali, est pris dans une situation où des exigences s’imposent à lui. La première exigence est d’évaluer la demande des magistrats au regard de leur situation stricto sensu. Deuxièmement, c’est de prendre en compte la situation des magistrats au regard de leur demande par rapport à la situation générale des autres personnels de la fonction publique. Troisièmement, nous avons des exigences, des limites et des obligations budgétaires qui ne nous permettent pas aujourd’hui de prendre en charge une demande aussi importante que celle exprimée par les magistrats. Pour autant, le gouvernement a indiqué qu’il n’était aucunement pas fermé au dialogue. Et d’ailleurs, c’est dans le cadre du dialogue que les magistrats ont déposé le préavis de grève et ont décidé de faire perdurer leur mouvement.
Aujourd’hui, combien le gouvernement est prêt à mettre sur la table pour que les grévistes puissent arrêter leur mouvement?
Mamadou Ismaël Konaté : Aujourd’hui, aucune offre n’est possible si on ne se réunit pas. Aucune offre n’est possible si les bases ne sont pas objectives. Les syndicats des magistrats réclament 650% d’augmentation de salaires, 400% d’augmentation d’indemnités et 300% d’augmentation de primes. Avec une telle incidence sur le budget national, il faut simplement qu’au delà, d’autres fonctionnaires peuvent demander la même chose. La responsabilité de l’Etat est quand même de tenir le cordon de la bourse et d’être juste vis-à-vis de l’ensemble de catégories de personnels y compris les magistrats. Je ne cesse de dire que l’augmentation aujourd’hui de salaires des magistrats est une demande légitime. Quand on prend en compte aujourd’hui l’indice de base du magistrat qui est de 485, son salaire de base est de 145.000 Fcfa. Bien évidemment, à côté de ce salaire de base, il y a des primes de responsabilité dont le montant représente le double de celui du salaire. Je comprends la demande des magistrats que le niveau de leur salaire soit deux fois plus bas que celui des indemnités, mais rien de tout cela n’est possible que dans le cadre de la discussion.
C’est pour ça qu’aujourd’hui lorsque les magistrats se contentent d’exprimer des demandes globales qui ne sont corroborées par aucun élément précis y compris les éléments de référence aux salaires qui sont payés dans les pays voisins comme le Niger, le Burkina Faso que je connais très bien, ces demandes ne peuvent être satisfaites en un seul coup. Ces pays là n’ont jamais augmenté le salaire de leurs magistrats à 650%. Les demandes de ces juges ont fait l’objet d’évaluation, d’échange et de prise en compte en fonction de leurs besoins, au regard des réalités économiques de leurs pays et au regard des exigences budgétaires. J’en appelle aux magistrats que leurs demandes ont besoin d’être discutées, évaluées, appréciées objectivement. Ce n’est pas en restant loin des juridictions, des palais de justice que l’on pourrait le faire. Les magistrats ont décidé d’aller en grève illimitée mais le gouvernement n’a jamais voulu rompre le dialogue. Je remercie encore une fois le Syndicat autonome de la magistrature par l’entremise de son président qui a reconnu mon engagement à dialoguer. Le gouvernement n’exclut aucun dialogue. Il ne ferme aucune porte. Au contraire, il reste ouvert à la discussion.
Au cas où la grève illimitée perdure, quelle va être la réaction du gouvernement?
Mamadou Ismaël Konaté : Je refuse à aller dans ce sens. Je m’implique pour que cette grève s’arrête. Je m’implique pour que le mot d’ordre de grève illimitée soit levé et pour que les syndicats des magistrats acceptent le dialogue. Je n’ai rien d’autre à leur vendre que le dialogue.
Quelles sont les conséquences d’une grève illimitée des magistrats sur le fonctionnement de l’Etat?
Mamadou Ismaël Konaté : Elles sont très graves. Je vous donne un exemple, le malheureux attentat de Gao a fait l’objet d’une ouverture d’enquête judiciaire, mais aucune poursuite n’est possible aujourd’hui parce qu’il n’y a pas de juge, pas de procureur. Par ailleurs, les prisons reçoivent aujourd’hui un peu plus de personnes en détention préventive qui ne connaissent pas de suite judiciaire. Les commissariats de police et les brigades de gendarmerie sont remplis de monde aujourd’hui parce que tout simplement les garde-à-vues sont prolongés. Aujourd’hui, on est en rupture d’Etat de droit, on est en absence de justice. Pour cela, personne ne peut rester sans réagir. Ni l’Etat, ni les syndicats des magistrats.
Avez-vous un appel à lancer ?
Mamadou Ismaël Konaté : L’appel que j’ai à lancer aux syndicats des magistrats, c’est de penser au Mali, c’est de prendre conscience de la situation de la crise dans laquelle nous sommes, c’est d’exprimer les besoins de justice et de droit dans notre pays. Tout ceci ne peut être mis en œuvre qu’avec les magistrats. Le premier défi que nos magistrats sont appelés à relever est d’arriver à changer l’opinion des gens quant à eux, quant à leur statut et leurs demandes. La grève n’a de sens lorsqu’on est capable aujourd’hui d’aller à la captation de l’opinion. Le deuxième défi que les magistrats doivent relever est de construire un Etat de droit. Pour ces deux défis majeurs, ils ne peuvent pas rester longtemps loin de leurs juridictions.
Propos recueillis
par M. KEITA
Source: essor