Sous la bannière du président du Haut Conseil Islamique(HCIM), Mahmoud Dicko, et du chérif de Nioro, Mohamed Ould Cheikhna dit Bouillé Haïdara, des dizaines de milliers de personnes ont battu le pavé à Bamako, le vendredi 5 Avril 2019, avec un mot d’ordre brandi comme une exigence : la démission du premier et de son gouvernement, après le massacre d’Ogossagou.
Interdit à la veille par le Gouverneur du District – qui avait dans un arrêté notifié aux organisateurs son désaccord quant à l’organisation de la marche en évoquant la recrudescence des actes de sabotage» , la marche s’est finalement transformée en rassemblement gigantesque massivement suivie dans les rangs de leaders politiques de la Cofop, du FSD et de l’ADP Maliba, d’associations de la société civile et de syndicats de travailleurs.
Adeptes et alliés politiques du duo Bouillé-Dicko ont affiché, par-delà de slogans unificateurs de «Peuls et Dogons, leur hostilité au Premier ministre, à la France et à la Minusma, ainsi que leur grande détermination à aller jusqu’au bout de leur objectif «dégagiste». Face à la foule massée et alignée à perte de vue de la Place de l’indépendance à l’horizon des voies attenantes, l’imam Mahmoud Dicko a déroulé une déclaration où il ne se contente pas d’appeler à l’arrêt de la belligérance et de la spirale de vengeance entre «frères peuls et dogons. Il a en outre martelé d’une voix ferme que le chef du Gouvernement, Soumeylou Boubèye Maiga, a échoué et doit rendre le tablier. «Je dis à mon ami et frère de nous écouter, de comprendre qu’on ne veut pas du mal pour ce pays, qu’on ne veut pas mettre du feu à ce pays», a-t-il lancé par la suite, tout en montant les enchères par un appel à manifester chaque vendredi jusqu’a l’obtention du départ pur et simple du Premier ministre et de son gouvernement. Et pour cause, à ses yeux l’équipe a atteint ses limites face à la situation sécuritaire et sociale du pays.
Le Premier ministre n’était pas la seule cible dans le viseur des manifestants, lesquels ont réclamé le départ de la Minusma ainsi que de la France et en s’en prenant notamment à l’accord militaire que le Mali a passé avec ce pays. « La communauté internationale est incapable de protéger les civils. Les forces militaires internationales, spécialement françaises, doivent quitter le Mali », s’est indigné un jeune manifestant à ce sujet en accusant le gouvernement de Boubeye de complicité.
Et, tandis que d’aucuns mettent en garde le président de la République sur sa deuxième tentative de réviser la constitution « pas de paix, pas de révision constitutionnelle », certains réclament son départ en même temps que son Premier ministre et d’autres mettent en avant le changement, la bonne gouvernance, plus de justice sociale par la satisfaction des revendications syndicales ainsi que la paix, la sécurité.
La manifestation aura été fortement marquée par la présence de leaders politiques de divers bords et aux motivations tout aussi diverses. À défaut d’être capables de mobilisation qui leur offre une tribune d’expression aussi porteuse, ils en ont profité comme des coucous pour véhiculer leurs messages sur l’espace public que leur a ravi le monde religieux, quitte à avaler des couleuvres d’hostilité à la présence occidentale qu’ils ne partagent pas.
Tiébilé Dramé, en lieu et place du chef de file de l’opposition, a assimilé la manif à un «mouvement populaire pour une nouvelle gouvernance contre les massacres horribles qui sont perpétrées au centre et au nord-sud et contre l’incompétence des autorités qui font face à ceux-là », tandis que Housseyni Amion Guindo de la Codem a levé toute équivoque en indiquant que la présence de son parti est plutôt motivée par un élan patriotique que par un soutien à une quelconque idéologie religieuse. «Nous sommes là pour dire qu’il n’y a pas de sécurité au Mali et que notre pays risque un conflit intercommunautaire», a-t-il martelé.
A l’instar de M. Guindo, Oumar Mariko du SADI a justifié également sa présence par une motivation patriotique sans calcul politicien, mais aux fins de démontrer à la face du monde que le peuple malien peut se mettre debout pour assurer sa sécurité, sa cohésion et son unité et sa souveraineté.
Question : IBK va-t-il capituler comme en 2017, face à la Plateforme An te Abana, qui avait également pris d’assaut les rues de Bamako pour s’opposer à son projet de loi dument voté par les députés à l’Assemblée Nationale ? Tout porte à croire qu’à défaut de n’a pas avoir le choix, ses marges de manœuvres sont considérablement réduite car en plus du COFOP, de la FSD et des religieux, la tête de son PM a été ouvertement réclamée par des caciques du RPM qui demandent son départ, ni plus ni moins. Ce faisant, il n’en demeure pas moins qu’en y allant par la même cadence que les autorités religieuses opposées au régime, une certaine classe politique – en plus de sa résignation devant la suprématie du confessionnel – semble n’avoir tiré aucun enseignement des connivences entre religieux et politiques. Il est pourtant évident qu’IBK, le président de la République, en fait vicieusement les frais pour avoir s’être servi de la rampe religieuse pour se hisser au pouvoir. Mais ses adversaires n’en ont cure et paraissent plus obnubilés par le même dessein de le déboulonner qui l’aveuglait naguère, lui aussi, lorsqu’il passait par les mêmes artifices pour accéder au trône.
Amidou Keita
Le Témoin