Il y a six mois, deux hommes armés prenaient d’assaut l’un des plus luxueux hôtels de Bamako. Aujourd’hui, le client se fait encore rare, mais l’établissement est le plus sécurisé de la capitale.
Les véhicules passent, mais ne peuvent plus s’arrêter devant le Radisson Blu de Bamako. La rue qui longe l’établissement, situé en plein centre de la capitale malienne, a été bouclée – « privatisée », résume en soupirant un chauffeur de taxi. Deux immenses portails blindés, offerts par l’État malien, ont été installés à chaque extrémité de la rue. C’est par là qu’il y a tout juste six mois, le 20 novembre 2015, deux hommes sont arrivés puis ont pénétré dans l’hôtel avant d’ouvrir le feu. Vingt personnes avaient été tuées.
Dispositif de sécurité de pointe
Aujourd’hui, deux agents armés de fusils mitrailleurs montent la garde devant chacun de ces portails, filtrant les accès. Clients ou membres du personnel, tous doivent ensuite passer par le sas de sécurité. Le passage au détecteur de métaux est obligatoire. Des scanners à rayons X décèlent la moindre particule d’explosif. Le matériel, tout neuf, ultra-sophistiqué, est arrivé par avion du Canada. Les sacs sont vérifiés plusieurs fois s’il le faut, entièrement vidés si le moindre doute subsiste. « On n’est jamais à l’abri de rien », explique un agent de sécurité.
Selon Eric Boni, le Radisson Blu est aujourd’hui « l’établissement touristique le plus sécurisé du Mali »
De fait, l’attaque du 20 novembre est encore dans les esprits. « Tout cela nous a fait beaucoup de mal, confirme le directeur financier de l’hôtel, Eric Boni. La fréquentation a chuté de près de 90 % par rapport à 2015, et, en nuitées cumulées, nous atteignons à peine 16 % d’occupation. » À l’en croire, toutefois, les clients commencent doucement à revenir.
« En janvier, nous en étions à 10 % de fréquentation, continue-t-il. Quatre mois plus tard, nous en sommes déjà à plus de 25 %. Nos clients savent que nous avons mis le paquet sur la sécurité, et cela les rassure. »
Selon Eric Boni, le Radisson Blu est aujourd’hui « l’établissement touristique le plus sécurisé du Mali ». Une quinzaine de gardes et de gendarmes surveillent jour et nuit les alentours. Dans l’enceinte de l’hôtel, la surveillance a été confiée à l’entreprise Securicom, déjà chargée de la sécurité de l’aéroport de Bamako. Une quinzaine de ses agents patrouillent à l’intérieur du bâtiment.
« Nous avons choisi l’entreprise qui payait le mieux ses employés pour éviter les complicités avec les terroristes », précise Eric Boni. Chaque matin, un responsable désigné par la direction de l’hôtel fait le point sur les éventuelles faiblesses du dispositif. « Nous voulons effacer définitivement la psychose », conclut-il.
Mais cela prendra du temps. Tamba Diarra le sait, lui qui était aux premières loges il y a six mois. Maître d’hôtel, il était de service lorsque les assaillants ont fait irruption dans le hall du Radisson Blu. Il était aux environs de 7 heures. Sarah, l’hôtesse d’accueil, et lui recevaient les premiers clients pour le petit déjeuner. « On a entendu un gros bruit, raconte-t-il. On a cru qu’un serveur avait fait tomber un plat, et Sarah est allée voir. Elle est revenue en criant qu’on était en train de nous attaquer. »
Le réceptionniste héros
Tamba Diarra, 43 ans, est un homme simple, toujours tiré à quatre épingles. Souriant, poli, ce père de cinq enfants est devenu, ce jour-là, un héros malgré lui. Son sang-froid et son courage ont permis d’éviter que le bilan ne soit encore plus lourd. Dès les premiers coups de feu, il rassemble des clients pour les mettre à l’abri.
« À un moment, se souvient-il encore, un homme est sorti de la salle de sport, des écouteurs sur les oreilles. Il ne savait pas qu’une attaque était en cours et se dirigeait vers la piscine. Je l’ai appelé, j’ai fait des grands gestes, et il a fini par nous rejoindre. »
J’entendais les balles siffler autour de moi, mais je connais le moindre recoin de cet endroit et j’ai réussi à le semer dans les couloirs.
Tamba Diarra conduit le petit groupe jusqu’aux issues de secours, appelle la police une fois dehors, puis retourne à l’intérieur pour aider d’autres clients à sortir. Sarah, l’hôtesse, ne l’a pas suivi. Comme d’autres, elle a tenté de fuir en empruntant l’ascenseur, mais celui-ci est trop chargé, et ses portes refusent de se fermer. Les terroristes mitraillent ses occupants. Huit personnes décèdent sur le coup, les autres se cachent sous les cadavres. Sarah s’en sortira avec une légère blessure au cou.
Revenu dans l’hôtel, Tamba Diarra tombe nez à nez avec les assaillants. « J’ai vu leurs visages, et l’un d’eux m’a poursuivi. J’entendais les balles siffler autour de moi, mais je connais le moindre recoin de cet endroit et j’ai réussi à le semer dans les couloirs. » Plus tard, il guidera les forces de sécurité maliennes. « Nous avons encerclé les assaillants et réussi à les repousser dans une salle sans issue. Une fois qu’ils étaient au fond, ils étaient coincés ! » Les forces spéciales américaines et le GIGN français viendront finir le travail.
Entre-temps, Tamba Diarra a appelé tous les clients dans leurs chambres pour leur dire d’y rester en attendant les secours. « Les militaires frappaient aux portes et criaient mon nom. C’était le mot de passe pour qu’ils ouvrent la porte. »
Chaque moment compte
Six mois plus tard, Tamba Diarra est toujours là, dans la salle du restaurant, qui a été entièrement rénovée. Les impacts de balle ont disparu. Sarah est là aussi, qui raconte les crises d’angoisse et les souvenirs qui affluent. Pour les remercier, Wolfgang M. Neumann, le directeur général du groupe Carlson Rezidor Hotel, les a invités trois jours à un séminaire organisé dans le premier grand hôtel Radisson, construit à Copenhague (Danemark) en 1960.
Mais ce que Tamba Diarra voudrait, lui, c’est changer de poste, partir en Europe peut-être, oublier aussi qu’il a perdu trois de ses amis – leurs noms ont été gravés sur une plaque commémorative, accrochée sur un mur du sous-sol, tout près de la cuisine. À son poignet, le petit bracelet en cuir que lui a offert le directeur du groupe porte cette inscription : « Every moment matters », « chaque moment compte ».
ET BIENTÔT, LE SOMMET AFRIQUE-FRANCE
C’est une bonne nouvelle que la direction du Radisson Blu ne se prive pas de partager : le comité d’organisation du sommet Afrique-France, qui se déroulera en janvier prochain à Bamako, a confirmé la réservation de plusieurs chambres et suites VIP. Le Sheraton Bamako est en revanche hors jeu puisqu’il ne sera pas terminé à temps !
Le retard pris est en partie imputable aux événements du 20 novembre 2015 : les ingénieurs turcs de l’entreprise Kenza Yapi ont quitté le Mali au lendemain de l’attaque, et les travaux ont été interrompus pendant plus de trois mois. Les ingénieurs sont depuis revenus, « mais on ne sera pas prêt », reconnaît Cessé Komé, le patron du groupe Hôtel Investment, également propriétaire des Radisson de Bamako et d’Abidjan.
François-Xavier Freland
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Source: Jeune Afrique