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Les faux comptes Facebook de l’armée française au Mali au cœur d’une guerre d’influence entre France et Russie

En décembre 2020, Facebook annonce avoir supprimé 150 comptes liés à l’armée française et à des intérêts Russes, actifs au Sahel et en Centrafrique. Ils révèlent l’existence d’une nouvelle “guerre froide” en ligne, entre la France qui souhaite maintenir ses positions et la Russie qui cherche à étendre son influence.

Il y a une multitude de pays pour lesquels on a orienté la fabrique du consentement, menée par des comptes Facebook liés à l’armée française.” Dans une vidéo postée sur YouTube en décembre 2020, Elijah de Bla, rédacteur en chef de RP Médias (un site qui analyse depuis Paris l’actualité de l’Afrique pour la diaspora), commente la suppression par Facebook de 150 faux comptes, dont 84 seraient liés à l’armée française, le reste l’étant à des intérêts russes. Pendant deux ans, en effet, en parallèle des actions sur le terrain au Sahel, une véritable guerre informationnelle s’est jouée sur les réseaux sociaux.

La Russie cherche à étendre son influence

À travers ces faux comptes, des pro-Français et des pro-Russes ont cherché à salir la réputation et la crédibilité de l’autre aux yeux des populations locales, cachés derrière de fausses identités. Le cabinet américain Graphika, associé à l’université de Stanford, a analysé les publications de chacun de ces protagonistes. Fausses informations, caricatures : les comptes russes dénoncent le comportement néocolonial des Français, qu’ils comparent à des hyènes. “Il y a toujours une volonté d’affaiblir la présence française sur zone, analyse Damien Liccia, vice-président de l’Observatoire stratégique de l’informationEt notamment de mettre en avant les supposées ‘exactions’ que l’armée française aurait commises sur place.” De leur côté, les trolls français répliquent avec des messages ou dessins de la même teneur, comme cet ours voleur de diamants, affublé d’une chapka à étoile rouge, symbole de la période soviétique :

Image de propagande postée sur un compte Facebook lié à l’armée française, depuis supprimé. / Capture Facebook

En apparence anecdotique, cette guerre d’influence numérique est révélatrice d’une évolution géopolitique. Dans une logique de conquête de la partie francophone du continent africain, les Russes essaient d’étendre leur influence avec les moyens qui sont les leurs. “La Russie est dans une rivalité de puissances et veut apparaître comme un acteur mondial, explique Céline Marangé, chercheuse au service historique de la Défense, et co-autrice du livre Les guerres de l’information à l’ère numérique (PUF, 2021). Pour cela, elle s’appuie sur l’usage des mercenaires, notamment ceux de la société privée Wagner, dirigée par Evgueni Prigojine, un proche de Vladimir Poutine, qui dirige aussi une ferme à trolls à Saint-Pétersbourg. Les mercenaires offrent protection aux dirigeants locaux africains, ce qui permet à la Russie de se présenter en pourvoyeur de sécurité.” Mais aux côtés de ces “offres de service” se déroule aussi une bataille numérique.

Qui se cache derrière les faux comptes Facebook ?

Les faux comptes français sont “une réaction française par rapport aux actions de déstabilisation des Russes“, explique à la cellule investigation de Radio France le général François Chauvancy, spécialiste de la guerre informationnelle. “J’ai eu le sentiment, qu’on testait des outils pour voir ce qu’on était capable de faire. Et on cherchait peut-être en même temps à contrer les Russes qui se croyaient en terrain conquis. C’est un apprentissage de l’utilisation des réseaux sociaux en opération sous une forme noire face à quelqu’un qui nous agresse.

Officiellement cependant, on ne sait pas qui se cache derrière ces avatars. Facebook évoque des comptes liés à l’armée française. Celle-ci ne confirme pas, mais ne dément pas non plus. Pour Damien Liccia, ces publications ont pu être sous-traités localement : “Dans le cas des élections américaines de 2020, une ferme à trolls a été mise au jour au Ghana, qui avait visiblement vocation à interférer dans les élections. On peut supposer qu’il y a des logiques de déportation des campagnes d’influence et de manipulation de l’opinion publique grâce à l’activation d’acteurs locaux.

Un faux compte avec la tête du vrai Mohamed Ali

Les faux comptes Facebook français semblent en effet avoir été conçus sans une logistique très élaborée, voire de façon amateure, avec des photos de profil issues d’agences de presse ou glanées sur Instagram. Un de ces faux comptes a même utilisé la vraie photo du champion de boxe Mohamed Ali lorsqu’il était jeune. “Pour faire de l’influence il faut être professionnel et penser l’action par le contenu, être capable de porter ces messages avec du sens, fulmine le général Chauvancy. Faire des erreurs de débutant comme ça, alors qu’on sait qu’en face de nous, ils ne sont pas plus idiots que nous et qu’ils vont vite le découvrir, je pense que c’est une erreur tactique, sinon stratégique.

Ce compté supprimé par Facebook utilisait une photo de Mohamed Ali comme photo de profil. / Capture Graphika / Université de Stanford

Logiquement, Facebook eu des soupçons. “À partir de là, ils ont dû demander aux propriétaires des comptes de confirmer leur identité par tout un tas de critères, explique Romain Mielcarek, journaliste et spécialiste des questions d’influence. Pièce d’identité, numéro de téléphone, email, etc. Ils se sont rendu compte qu’il y avait un lien entre une plusieurs dizaines de comptes, et donc une campagne [d’influence].

Résultat : Facebook repère et ferme 84 faux comptes. Dans la foulée, YouTube ferme deux chaines, Twitter identifie une vingtaine de faux profils, et d’autres forums fantoches sont épinglés. Il semble que cette offensive ait conduit d’autres profils douteux à se saborder : des comptes favorables à l’armée française se sont supprimés d’eux-mêmes au moment de ce grand ménage.

La réputation de l’armée mise à mal

Cette opération nettoyage sur les réseaux sociaux a, selon certains experts, nui à la réputation de l’armée française au Sahel. “Cela a été très mal vécu par les autorités françaises, car cela a été compris comme une opération anti-française [de la part de Facebook]”, nous a-t-on dit. Ce sentiment d’injustice est d’autant plus fort que les militaires français ont l’impression d’être des enfants de cœur à côté des Russes. Contrairement à ces derniers, La France n’achète pas de faux likes (“j’aime”) sur le darknet, et ne cherche pas à influencer le résultat d’élections en utilisant des moyens numériques, alors que les Russes ont été soupçonnés de le faire à plusieurs reprises ces dernières années.

En Ukraine, “l’armée russe aurait réussi à collecter et à neutraliser les numéros de téléphone de soldats ukrainiens qui combattaient dans le Donbass, et à envoyer aux membres de leur famille des SMS leur indiquant qu’ils étaient morts, raconte la chercheuse Céline Marangé. Ces familles ont tout de suite essayé de les joindre, ce qui a permis aux Russes de géolocaliser les soldats et éventuellement, de les neutraliser.” Autant de méthodes que se défend d’utiliser l’armée française.

L’influence : une méthode vieille comme le monde

Les armées mènent la guerre informationnelle sur les théâtres extérieurs.” En juillet 2020, dans une interview au Monde (article réservé aux abonnés), le général Lecointre, chef d’état-major des armées, assume la participation de la France à ce qu’on appelle désormais la guerre informationnelle. Pour cela, la France s’est dotée ces dernières années de deux centres opérationnels. À Rennes se trouve le commandement cyber. Inauguré en 2019, c’est le centre d’attaque numérique de l’armée française, chargé de pirater ou de paralyser l’adversaire. À Lyon, le CIAE (Centre interarmées des actions sur l’environnement) envoie lui sur le terrain des techniciens dans un but de contre-propagande. Il a recours à des messages par haut-parleurs, des tracts, des affiches, mais aussi des publications sur les réseaux sociaux.

Ces opérations militaires de lutte informationnelle, étaient auparavant appelées “opérations psychologiques” ou d’”influence”. Leur objectif, c’est de conditionner les populations auprès desquelles on intervient, afin de “préparer les esprits”. “Ces spécialistes font en sorte que les opérations militaires – frappes aériennes, constitution de prisonniers, etc. – se passent bien, explique la journaliste du Monde Nathalie Guibert. Ils organisent des opérations humanitaires qui sont uniquement là pour faire accepter la force dans le pays en question, auprès des villages que va traverser l’armée française, sur le thème ‘ce que l’on fait est bien pour vous’.

“Barkhane garde un œil sur vous.” Tract attribué à l’opération française Barkhane, largué le 28 décembre 2020 au Mali. / Capture Twitter

C’est-ce que réalise l’armée française au Mali pour l’opération Barkane. Mais on adresse aussi aux groupes djihadistes des messages plus menaçants. “Il y a des opérations de largage aérien de tracts, qui représentent par exemple un drone qui observe un homme, et qui portent en différentes langues la mention ‘Barkhane vous surveille’, relate le journaliste en poste au Mali Matteo Maillard. Cela peut aussi signifier ‘Barkhane est là, Barkhane vous surveille’.

Les méthodes se sont modernisées, mais des opérations d’influence ont déjà été pratiquées par le passé en Algérie, et plus récemment en Afghanistan et en Irak.

Des faux comptes bientôt indétectables ?

La technologie évoluant, les faux comptes devraient être de plus en plus crédibles. “On peut déjà fabriquer de ‘vraies’ photos de gens qui n’existent pas à partir d’algorithmes et de logiciels qui sont capables de générer des visages inédits, qui sont du coup plus difficile à détecter, explique le journaliste Romain Mielcarek. De la même manière, les logiciels pour tenter de repérer le vrai du faux s’améliorent et sont en train de se démocratiser.

Grâce aux algorithmes, ces vrais faux profils devraient bientôt pouvoir être multipliés et contrôlés à grande échelle. “Au lieu d’avoir un opérateur militaire qui contrôle quelques dizaines de faux comptes, on aurait un logiciel qui piloterait des milliers voire des millions de comptes capables de simuler une activité cohérente et crédible, d’avoir des hobbies, des passions, des goûts, des sujets d’intérêt, parfois sur la durée“, prédit Romain Mielcarek.

Pour créer cette photo de profil, plusieurs visages ont été superposés, rendant plus difficile la détection de ce faux compte Facebook. / Capture rapport Graphika / Université de Stanford

Des méthodes inefficaces ?

Se pose cependant la question de l’efficacité de telles méthodes. Certaines ONG considèrent que la propagande auprès des villageois ou des chefs de villages malien est sans effet auprès des populations. “On voit que ça n’a servi à rien puisqu’il y a eu deux coups de force militaires depuis l’intervention française au Mali, puis dans la région, estime Rony Brauman, président honoraire de Médecins sans frontières. Ce ne sont pas les efforts de propagande, fussent-ils arrimés aux technologies les plus actuelles, qui peuvent changer cette réalité de la corruption, de la misère, du fait que des groupes djihadistes sont aussi des groupes protestataires qui tirent leur légitimité de la mal gouvernance des régimes en place, qui distribuent de l’argent, qui donc peuvent aussi recruter et payer des jeunes pour cela. Donc je crois qu’il n’y a absolument aucun effet à attendre de cette propagande.

 

Source: franceinter

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