Pierre Boilley, professeur d’histoire d’Afrique contemporaine à l’université Panthéon-Sorbonne, revient sur les deux premières années d’Ibrahim Boubacar Keïta à la présidence et sur le relatif apaisement sécuritaire suite aux derniers accords de paix signés entre les groupes rebelles et les autorités de Bamako.
Quel premier bilan faites-vous des accords de paix, dits «accords d’Alger», signés en mai et juin dernier ?
On peut parler d’un bilan contrasté. Dans le Sud, les choses ne bougent pas beaucoup. Cela fonctionne bon an mal an, mais on sent un mécontentement latent, qui ne s’exprime pas violemment. Il y a des rumeurs d’affaires. Par exemple, le Parena (Parti pour la renaissance nationale) a dénoncé un système de surfacturation à propos de l’histoire des «1 000 tracteurs» livrés par le pouvoir aux agriculteurs sur tout le territoire… Sans se prononcer sur cette affaire, on peut se demander ce qui s’est vraiment passé. Mais on ne peut qu’observer qu’en matière de lutte contre la corruption, les avancées sont minces.
Ce qui progresse en revanche, suite au fameux accord de paix signé les 15 mai et 20 juin 2015, même s’il a été largement critiqué, ce sont les initiatives qui tendent à apaiser la situation dans le Nord. La CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad) et la Plateforme [groupes armés proches du pouvoir malien, ndlr] se sont réunis, ont discuté, et sont convenus de cesser les hostilités. Cela peut permettre notamment d’apaiser les tensions intercommunautaires, et c’est fondamental. De fait, aujourd’hui, la situation est plus calme dans le Nord. On voit qu’un certain nombre de techniciens de l’administration malienne reviennent. Certaines écoles rouvrent. On n’est plus dans le «pic» de tension que nous avons connu il y a encore quatre ou cinq mois. On peut effectivement aujourd’hui parler d’un début de décrispation. Mais les changements prévus dans l’application des accords doivent se concrétiser rapidement, pour ne pas laisser penser que les promesses ne seront pas tenues, et il est nécessaire d’impliquer les populations locales sans qui rien ne sera possible. Enfin, la circulation et le commerce de drogue, toujours présents, continuent à gangrener le pays, et ce problème est loin d’être réglé.
Qu’attendre de la conférence des donateurs jeudi à Paris?
Comme beaucoup d’observateurs, je suis enclin à penser qu’il faudrait mieux réfléchir à ces «décaissements» des donateurs et surtout mieux les cibler. Il s’agit d’avoir une vision plus attentive des initiatives locales et des populations. Ce problème des décaissements n’est pas nouveau. On privilégie une approche sécuritaire et on délaisse l’approche plus développementale. Reste que ces aides s’accommodent assez facilement de pratiques politiques ou économiques qui sont souvent, par certains aspects, mafieuses. Je regrette le manque d’objectifs clairs envers les territoires et les populations, notamment sur la santé et l’éducation en zone rurale. De fait, hélas, cela renforce les mauvaises pratiques et donne l’impression de déjà-vu, de coups d’épée dans l’eau, car le manque de connaissance réelle du terrain conduit bien souvent les aides à l’échec.
Que pensez-vous de la présidence d’IBK, qui avait suscité de grands espoirs il y a deux ans mais qui semble aujourd’hui décevoir ?
Même si la fracture Nord-Sud est toujours présente, on a l’impression qu’un fil a été renoué. C’est sensible dans les expressions et le vocabulaire employés. Quant à l’ambiance, je parle de l’opinion de Bamako, elle me semble plus tranquillisée. On peut parler d’une avancée. Ce sont des frémissements qui vont dans le sens d’un dialogue renoué. Mais le pouvoir malien doit faire preuve d’audace et d’imagination dans les circonstances actuelles. Il a des cartes à jouer. Il pourrait profiter de cette situation pour reformer le système de l’Etat et introduire plus de gestion autonome. Et je ne parle pas uniquement du Nord. Il y a là un moyen d’apparaître comme un exemple pour les pays de la sous région. C’est une occasion à saisir.