Le dirigeant politique réclame 68,6 millions d’euros pour « erreur judiciaire » et pour les « dommages » infligés à ses biens pendant ses dix années de détention provisoire.
Jean-Pierre Bemba a présenté une note pour le moins salée à la Cour pénale internationale (CPI) : 68,6 millions d’euros, soit presque la moitié du budget annuel de l’institution. Acquitté en appel en juin 2018 pour les « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » commis en Centrafrique en 2002, le président du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) réclame 26,2 millions d’euros pour ses dix années de détention préventive, auquel s’ajoutent 42,4 millions d’euros pour « dommages » infligés aux propriétés de l’homme d’affaires.
Quelques jours après son arrestation en Belgique, en mai 2008, la CPI avait émis plusieurs ordonnances requérant le gel ou la saisie de ses avoirs, en Belgique, au Portugal, au Cap-Vert et en République démocratique du Congo (RDC). Mais ses avocats dénoncent aujourd’hui les « négligences » de la Cour et son échec « à gérer » correctement les biens en question. Fils de l’ancien patron des patrons du Congo, un épicier qui avait fait fortune sous le règne du président Mobutu Sese Seko, Jean-Pierre Bemba possède notamment une compagnie aérienne privée, dont la flotte a rouillé lorsque, détenu, il s’essayait à la peinture pour passer le temps derrière les barreaux de la prison de Scheveningen, à La Haye (Pays-Bas).
Sept avions, quatre propriétés de luxe…
Les biens gelés ou saisis à la demande de la Cour comprennent sept avions, trois propriétés de luxe dans la région de Faro (Portugal), une propriété à Bruxelles, au moins un bateau au Portugal, plusieurs voitures, des parcelles de terres en RDC et plusieurs comptes en banque. Saisi à la demande du procureur, le Boeing 727-100, avec lequel il s’était envolé vers le Portugal lors des violences qui avaient suivi son échec à l’élection présidentielle de novembre 2006 face à Joseph Kabila, est toujours sur l’aéroport de Faro. Mais les notes de parking n’ont pas été honorées, les taxes sont restées impayées et la maintenance n’a pas été assurée. « L’avion n’est maintenant que ferraille », écrivent les avocats dans leur requête.
Suite à son transfèrement à La Haye, le greffe de la CPI avait ordonné à Jean-Pierre Bemba de s’acquitter des honoraires de ses avocats, une note de quelque 36 000 euros par mois, plus une enveloppe de 100 000 euros pour les enquêtes. A plusieurs reprises, au cours du procès, le détenu avait suggéré à la Cour de louer, voire de vendre, son avion pour générer des rentrées d’argent. Mais le procureur avait refusé de remettre les clés et les papiers du Boeing ont été « perdus » jusqu’à l’acquittement prononcé en juin 2018.
Si Jean-Pierre Bemba avait fini par régler une partie des honoraires – 4,2 millions d’euros – dont il demande aujourd’hui le remboursement, un responsable du greffe avait à l’époque expliqué au Monde les difficultés à traquer la fortune du détenu : « Il y a des montages financiers dans lesquels les sociétés apparaissent et disparaissent, et on ne va pas assez vite. Nous sommes très lents et nous n’avons pas les pouvoirs d’un Etat. » A en croire les avocats, la CPI n’est pas plus parvenue à gérer le patrimoine éparpillé dans trois Etats, auxquels s’ajoute la Mission des Nations unies en RDC (Monusco), sollicitée elle aussi par la Cour et qui avait alors parqué six avions à l’aéroport de N’Djili à Kinshasa. « La maison où il réside aujourd’hui en Belgique avec sa famille est toujours gelée », a encore expliqué son avocat, Peter Haynes, lors d’une conférence de presse à La Haye lundi matin 11 mars.
Multiples vices de procédure
Pour l’instant, ses demandes à la Belgique ont essuyé une fin de non-recevoir et un retour à l’envoyeur, la CPI, responsable juridiquement de la situation, puisque c’est elle qui a émis les ordres de saisies, estiment les avocats. Depuis l’acquittement, les juges auraient refusé de lever leurs ordonnances. Interrogé sur ce point, le service de presse n’a pas répondu à nos questions. Ces ordonnances avaient été émises à la demande du procureur, et au nom des victimes des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis en Centrafrique en 2002 et 2003, pour lesquels était accusé Jean-Pierre Bemba.
Si le fond chargé des réparations pour les victimes avait « pris le contrôle du portefeuille de M. Bemba après sa condamnation, il aurait hérité d’une dette » de 42,4 millions d’euros, précisent encore les avocats, qui s’appuient sur une évaluation réalisée par un cabinet d’Amsterdam. Rien dans les textes de la CPI ne prévoit une telle situation. Me Haynes et Me Gibson estiment néanmoins qu’elle ne peut pas se prévaloir de son immunité dans cette affaire qui relève du droit privé et suggère, si la Cour refuse de s’acquitter de la facture, un arbitrage international pour régler la question.
Pour l’autre volet de la facture, les 26,2 millions réclamés pour « erreur judiciaire », une procédure est cette fois prévue par le code de procédure de la CPI. En plaidant leur demande, les avocats dénoncent la conduite du procès, dont la majorité des audiences s’était déroulée à huis clos. Ils révèlent aussi de multiples vices de procédure dans cette affaire, jusqu’ici ignorés du public. Grand prince, Jean-Pierre Bemba, empêché de se présenter à la présidentielle congolaise de décembre 2018 en raison d’une condamnation annexe de la Cour pour subornation de témoins, serait prêt à remettre cette somme aux victimes de la guerre en Centrafrique.