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L’avenir politique au Mali : Les acquis premiers

Dans le visage nouveau qu’ambitionne de se donner notre pays, des traits apparaissent déjà. Mais ce qui reste à faire est tout aussi difficile.

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L’exercice a très moyennement mobilisé hier les confrères et il confirme par là même le déclin qui le frappe depuis plusieurs années. Autrefois véritable baromètre de l’activité gouvernementale en début de législature, le bilan des cents premiers jours relève aujourd’hui du rituel. A moins que les gouvernants ne se mettent eux-mêmes la pression (comme l’a fait la nouvelle présidente du Chili) en calant un certain nombre d’actions dans un très symbolique délai et acceptent alors d’en affronter l’évaluation. La tradition journalistique des « cent jours », un moment très prisée, est sans aucun doute victime de l’explosion des supports médiatiques et du changement des méthodes de travail dans les rédactions. Sous l’effet de la concurrence effrénée entre les chaînes d’information en continu, des sondages proposés en rafale sur le moindre sujet d’importance, de la présence de plus en plus intrusive des faits relatés par les réseaux sociaux, de la mise en ligne des journaux de la presse écrite, le temps médiatique s’est considérablement contracté.

 

 

Il impose désormais aux journalistes l’analyse quasi instantanée, développée sans recul, quitte à professer 24 heures plus tard le contraire de ce qui avait été catégoriquement soutenu auparavant. La confection des grands dossiers qui autrefois obéissaient à une logique de calendrier, se pratique maintenant à chaque emballement notable de l’actualité. Conséquence de cet état de fait pour les hommes politiques obligés de suivre les nouvelles cadences, la reddition des comptes se fait de manière très souvent impromptue, sur interpellation insistante de la presse.

 

 

Tous ces phénomènes qui se sont installés de manière durable ont donc dessaisi les « cent premiers jours » d’une bonne part de leur substance. Même au Mali où l’univers médiatique n’a pas encore atteint le degré de sophistication prévalant dans les pays du Nord, les autorités n’ont pas manqué d’occasions de s’expliquer et de se « re-expliquer » sur les sujets d’importance que sont les questions relatives à la sécurité et à la reconstruction du Nord du pays, la mutinerie du 30 septembre ou encore l’interpellation du général Sanogo. Le président Ibrahim Boubacar Keita s’est incontestablement appuyé sur le traitement accordé à ces questions pour réussir sa récente tournée européenne et pour confirmer à nos partenaires aussi bien le visage que la stature que veut se donner le Mali nouveau.

 

 

LA PERPÉTUATION D’UN POUVOIR « FANTÔME ». Le premier acquis positif que s’est attribué notre pays aux yeux de l’opinion internationale est bien la mise au point salutaire sur la réalité de l’exercice du pouvoir au Mali. Mise au point accélérée par un évènement qui n’était ni prévisible, ni planifié et qui a produit un double effet spectaculaire : d’abord, la clarification évoquée plus haut et ensuite, la confirmation du retour de l’Etat de droit. Cet événement, c’est la mutinerie qui s’est produite le 30 septembre dernier. Elle a eu pour conséquence première de démantibuler le camp des ex-putschistes et de rendre entièrement à Kati sa vocation unique, celle d’être le camp militaire le plus important du pays.

 

 

La neutralisation des mutins aura eu comme effet collatéral d’annihiler l’influence qu’aurait pu prétendre garder le général Sanogo au cours du présent quinquennat présidentiel. Cette hypothèse de la perpétuation d’un pouvoir « fantôme » survivant à l’ombre de l’autorité officielle ne relevait pas de la pure politique fiction. Le président de l’ex-CNRDRE avait eu, durant la Transition, le loisir d’installer son cercle d’obligés et ses réseaux de partisans, de se « bunkériser » à Kati et surtout de laisser comprendre qu’il avait pris une part non négligeable dans l’élection du président de la République. En outre, comme l’ex putschiste avait écarté la possibilité d’un exil de convenance, il y avait de bonnes raisons de s’interroger sur le degré de visibilité qu’il comptait se préserver. Pour le neutraliser, il est fort probable que le scénario envisagé par les autorités était celui d’une restriction progressive de sa présence publique. Scénario parfaitement applicable, mais dont la mise en œuvre aurait été certainement lente et précautionneuse.

 

 

Les évènements du 30 septembre ont donc donné un coup d’accélérateur inattendu à la normalisation complète de la gouvernance dans notre pays. L’acquis est indiscutablement considérable. Car il constitue, en quelque sorte, la face non institutionnelle du rétablissement de la vie constitutionnelle en éliminant définitivement les compromissions et les cohabitations de fait acceptées pendant la Transition. Le 30 septembre a aussi amené malgré lui une revitalisation de l’Etat de droit dans notre pays grâce aux progrès enregistrés dans le dossier de la disparition des bérets rouges. Sans rien enlever au méritoire travail d’enquête abattu par les organisations internationales de défense des droits de l’homme, il n’est pas certain que le relevé des témoignages et le recoupement des faits auxquels elles ont procédé auraient suffit pour donner une suite conséquente aux plaintes déposées par les familles des disparus. Par contre, les aveux et les dénonciations des mutins à l’encontre de l’entourage du général Sanogo ont livré à la justice une abondante moisson de faits aussi précis qu’accablants. Ils ont ainsi permis que soient démontés les ressorts d’un épisode excessivement sombre et totalement inédit (par sa nature et dans ses dimensions) de notre histoire moderne. Le respect le plus élémentaire de la présomption d’innocence interdit la moindre supputation sur la chaine des responsabilités. Pour le moment, deux choses sont indispensables à faire. En premier lieu, saluer le courage et l’obstination du juge Karambé dans la conduite de l’instruction. Ensuite, souhaiter que pour notre opinion nationale la recherche de la vérité ne soit pas perçue comme une entreprise de revanche, mais comme la nécessité de comprendre le côté obscur de certains événements afin d’en éviter la réédition.

 

 

COMME UNE QUESTION DE CONFIANCE. Le deuxième point sur lequel le président Ibrahim B. Keita peut tirer satisfaction de sa tournée européenne est bien sûr les réponses données à l’évocation par lui de la question du Nord du Mali, et plus spécifiquement de la situation à Kidal. Depuis plusieurs semaines, le gouvernement avait singulièrement durci le ton sur la persistance de certaines ambigüités alors que l’assassinat de nos confrères de RFI avait à suffisance éclairé le double jeu de certains responsables du MNLA et la totale incapacité des mouvements armés à assurer la sécurité dans la capitale de la 8ème Région. L’aveu d’impuissance de la Minusma, incapable de sécuriser une visite du chef du gouvernement à Kidal, est venu en ajouter à la colère de l’opinion malienne qui avait l’impression que le gouvernement tergiversait interminablement sur le rétablissement de l’autorité de l’Etat en tout lieu de la République.

 

 

Dans trois interviews accordées respectivement aux chaines de télévision BFM TV et France 24 ainsi qu’au quotidien le Monde, le chef de l’Etat a donc choisi de poser abruptement à nos partenaires français ce qui pourrait être considéré comme une question de confiance. L’appui accordé de manière inconsidérée au MNLA ne relevant pas d’une doctrine défendue par le président Hollande, pourquoi persister dans une complaisance pénalisante pour le gouvernement malien et révoltante pour les citoyens de notre pays ? De fait, tout laisse penser que la mise faite sur les mouvements armés comme alliés des troupes françaises ne relevait pas d’un choix du politique, mais de la ligne tracée par certains services qui, mettant à profit l’absence de position officielle sur le sort à réserver au MNLA, avaient fait accepter la collaboration de ce dernier pour aussi bien guider les troupes sur le terrain que pour aider à la recherche des otages français. Cela avait été expliqué de manière excellente par notre confrère Vincent Hugeux de l’hebdomadaire l’Express et avait été partiellement corroboré par une interview d’un responsable du MNLA accordée il y a presque un mois au journal le Monde. Tout n’est pas à retenir dans les propos de matamore tenus par Moussa Ag Acharatoumane. Mais l’homme fournit quelques détails suffisamment crédibles pour qu’au moins 30% de ses allégations soient sérieusement analysées.

 

 

En réalité, l’erreur de certains analystes français n’a pas été de recommander le MNLA qui pouvait passer en janvier dernier pour relativement fréquentable si on l’opposait au MUJAO, à AQMI et à Ansar Dine. La faute a été d’avoir persisté dans leur appui alors que le Mouvement avait étalé sa faiblesse militaire, sa faible information sur la localisation des otages et sa versatilité dans les négociations politique. Mais si l’on en juge par les propos tenus par le président Hollande sur la chaine France 24, le temps des malentendus est bien révolu. En donnant explicitement raison à son homologue malien, le chef de l’Etat français incite le MNLA à déposer les armes et à intégrer le dialogue inclusif mis en place. L’invite agrée-t-elle le mouvement armé. On peut en douter. La prendra-t-il en compte ? Certainement à reculons. Mais d’ores et déjà, il nous faut accepter que le retour de Kidal aussi bien dans le giron de la République qu’à une existence normale sera une entreprise longue, laborieuse et complexe. Une entreprise dans laquelle rien ne sera donné à l’Etat entre les ultimes résistances des mouvements armés, la manipulation d’une partie de la population kidaloise et l’irrédentisme des terroristes. C’est ce qu’est venu rappeler l’attentat-suicide de samedi dernier.

 

 

TRANSCENDER L’ATMOSPHERE PASSIONNELLE. Tout aussi important et, à notre avis, tout aussi pressant pour le gouvernement se pose le traitement à donner au massacre de Aguel hoc. L’évènement a créé un profond traumatisme  national et le silence qui avait été gardé dans un premier temps sur sa survenue avant que circulent des vidéos insupportables constitue une faute qui sera difficilement pardonnée aux précédentes autorités. Aujourd’hui, la douleur et la colère provoquées par la froide exécution de nos soldats ne sont pas retombées, elles ont même gagné en sourde intensité. Chez nos compatriotes, la vérité sur la tuerie, l’identification des auteurs et les actions à engager contre eux sont explicitement posées comme préalables à tout processus de réconciliation nationale C’est l’évocation de Aguel hoc qui fait dénier par beaucoup aux élus issus du MNLA la légitimité de siéger à l’Assemblée. C’est elle aussi qui fait exiger par une majorité de nos concitoyens que la diligence déployée pour débusquer les éléments de l’escadron de la mort de Kati soit reconduite pour identifier les assassins des militaires désarmés.

 

 

La tâche d’établir les faits reviendra certainement à la future Commission Vérité, Justice, Réconciliation qui bientôt doit se substituer à l’actuelle Commission Dialogue et Réconciliation. Devant les députés européens, Ibrahim Boubacar Keïta avait indiqué que la nouvelle commission aura un mandat d’interpellation et des pouvoirs d’investigation afin de faire la lumière notamment sur l’ensemble des crimes commis dans le Nord du Mali. C’est donc une délicate, mais indispensable, tâche qui attend la future structure. Qui doit déjà savoir et accepter qu’une pression populaire exceptionnelle va s’exercer sur elle. Qui doit aussi transcender l’atmosphère passionnelle qui va entourer son action et trouver en elle la ressource de résoudre en toute responsabilité l’un des douloureux contentieux internes de notre nation.

G. DRABO

 

 

SOURCE: L’Essor

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