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Justice africaine a l’épreuve : Innovation sur fond de récurrence

Lundi dernier, s’est ouvert à Dakar le procès d’Hissène Habré, ancien président tchadien, mis en accusation devant des chambres africaines formant une juridiction exceptionnelle. Une grande première. Mais, à contrario, ce qui ne l’est pas et qui est devenu récurrent depuis quelques années sur le continent, c’est le viol des constitutions nationales auquel se livrent allègrement et sadiquement certains présidents qui veulent continuer à infliger leur présence à leur peuple de plus en plus martyrisé et traumatisé.

 

Pour la première fois dans l’histoire  africaine, un ancien chef d’Etat  du continent est jugé dans un autre pays que le sien. Depuis lundi dernier, en effet, s’est ouvert à Dakar le procès d’Hissène Habré, qui a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, et  qui a été renversé par l’actuel président tchadien, Idriss Deby, avant de se réfugier au Sénégal. Il est poursuivi pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et tortures. 1445 présumées victimes rescapées de ses geôles se sont constituées parties civiles. Plusieurs associations de défense des droits de l’homme se sont mobilisées pour qu’Hissène Habré réponde devant la justice de la disparition ou de la mort de plus de 400 000 personnes. Après donc près de quinze ans de poursuites, l’ancien Chef d’Etat tchadien comparait donc devant une Cour présidée par le Burkinabé Gustave Kam tandis que le ministère public est représenté par le Sénégalais Mbacké Fall. Depuis lundi, M. Habré aurait pu essuyer la batterie de feu d’une flopée d’avocats représentant la partie civile s’il n’avait pas, lui-même, refusé toute assistance juridique, ayant conseillé à ses propres avocats de rester hors du prétoire. Conséquence : la justice sénégalaise a commis d’office trois avocats pour sa défense et le procès a été ajourné au 7 septembre.

Un procès historique ?

Ce procès que l’on présente historique, d’abord parce qu’il se tient hors du Tchad, pays de l’accusé, ensuite parce qu’il intervient plusieurs années après le début des poursuites, suscite plusieurs interrogations. Outre le fait qu’il a été rendu possible parce que le Sénégal a modifié son Code pénal, il intervient à un moment où le ministère de la justice est dirigé par un certain Sidiki Kaba. Celui-là même qui, pendant des années, alors qu’il dirigeait la fédération internationale des ligues de droits de l’homme, s’est distingué dans les poursuites contre Hissène Habré. Certains ont parlé d’acharnement et de harcèlement.

Par ailleurs, on se demande pourquoi les autorités sénégalaises ont attendu tout ce temps pour modifier leur législation afin de permettre le procès de l’ancien président tchadien. Renversé en 1990, ce dernier s’est enfui de son pays avec des centaines de valises et malles emplies d’argent et de trésors divers. Est-ce parce que ce magot a été entièrement dépensé qu’Hissène Habré aujourd’hui comparait devant la justice du Sénégalais dont certains dirigeants auraient largement bénéficié des largesses du fugitif ? N’est-ce pas aussi une manière de confondre ces anciens dirigeants qui ne sont plus au pouvoir mais qui rêvent de reprendre les rênes du pays ? Les autorités sénégalaises tiennent beaucoup à ce que M. Habré parle, et l’ont trainé de force devant le tribunal.

Où sont les autres poissons ?

D’autres dirigeants, tchadiens, ceux-là, ont glissé à travers les mailles du filet. Pourtant, le procureur général s’est beaucoup félicité de la collaboration du gouvernement tchadien, qui aurait mis à la disposition des enquêteurs des archives de la police politique de Habré, la DDS. Dans ce cas, pourquoi certains gros poissons, poursuivis dans la même affaire, n’ont pas été pris dans les filets de la justice internationale ? Il est évident que même le tortionnaire le plus impitoyable ne peut pas tuer des dizaines voire des centaines de milliers de personnes sans une organisation bien huilée, un système parfaitement opérationnel. Où sont les rouages de ce système ? Seraient-ils sous la protection d’Idriss Deby, actuel président tchadien mais ancien chef d’état-major d’Hissène Habré ?

Mais Idriss Deby est depuis quelques temps le chouchou de la France, comme Hissène Habré l’était dans les années 80, quand Français et Américains avaient besoin de lui pour combattre Mouammar Kadhafi, le guide libyen qui ne cachait pas son mépris pour l’Occident. La France ne va pas donc pleurer la condamnation à perpète d’un ancien dirigeant, même à l’issue d’un procès au cours duquel les droits de la défense seraient bafoués. Pour preuve, le premier jour même du procès à Dakar, la chaine de télévision TV5 Monde –parrainée essentiellement par la France et la Belgique, deux pays qui financent également ce procès inédit– titrait dans son magazine 64’ « Hissène Habré face à ses crimes ». Pourtant, ces deux pays donneurs de leçons, notamment la France qui se targue d’être le berceau des droits de l’homme, savent que jusque la décision finale de la Cour, l’accusé est présumé innocent.

Violeurs constitutionnels

Par ce procès, les dirigeants africains espèrent justifier leur hostilité envers la Cour pénale internationale et prouver que leurs juridictions peuvent juger même un ancien chef d’Etat africain, qu’ils peuvent lutter contre l’impunité. Mais vingt-quatre heures après le début de ce procès, contre vents extérieurs et marées intérieures, le président burundais, Pierre Nkurunziza, a maintenu la tenue de l’élection présidentielle. Après dix ans passés à la tête du pays, il n’était pas censé briguer un troisième mandat. Mais si le peuple burundais n’a pas pu l’empêcher de se représenter, il s’est largement abstenu d’aller donner sa caution à une mascarade électorale. Et l’opposition et les journalistes, qui ont subi toutes sortes de tortures physiques ou morales, continueront encore à se manifester tout en sachant ce qui les attend. Cependant, pour rendre justice à Nkurunziza, il n’est pas le seul président à vouloir coûte que coûte infliger sa présence à son peuple. Si Blaise Compaoré du Burkina Faso, plusieurs années après le Nigérien Mahamadou Tandja, a été chassé du pouvoir pour la même raison, dans les deux Congo et au Cameroun, pour ne citer que ces deux pays francophones, les textes fondamentaux subiront le châtiment suprême du viol collectif. Violateurs et violeurs des constitutions et tueurs des libertés et des espoirs du peuple n’ont-ils pas leur place à la barre de la CPI ?

Cheick TANDINA

source : Le Prétoire

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