Le guitariste et chanteur vient de mettre Kharifa sur le marché discographique, un nouvel album profondément ancré dans les valeurs maliennes. Ses créations ne ressemblent à rien d’autre. Ils sont propres à lui et sont le fruit de recherches approfondies sur les musiques des différentes ethnies du Mali
Après des prestations réussies le mois de novembre au Bengladesh, Habib Koité et son groupe se produisent le 8 février prochain dans le cadre d’un festival international à New Dehli, en Inde. C’est la première fois qu’un artiste malien se produit dans ces deux pays d’Asie. Habituellement, nos artistes se produisent en Afrique, en Europe et en Amérique. Quelques fois, les plus célèbres d’entre eux vont en Australie, au Japon, et même en Chine. Voilà que Habib ouvre un nouvel horizon. Le guitariste et chanteur doit ce succès au formidable accueil qu’ont eu ses précédentes productions.
Sans nul doute, le nouvel album intitulé Kharifa qu’il vient de mettre sur le marché discographique ne manquera pas de séduire les mélomanes. Sorti officiellement en décembre, ce nouvel opus comporte douze titres. L’artiste ne déroge pas à ses habitudes de composition et de mélodies. Il utilise les rythmes du dansa du Khasso (Région de Kayes) et de la musique des donsos (chasseurs en bambara) qu’il a nommé « Dansa-Donso ». Habib Koité reste fidèle aux sonorités qui ont fait le bonheur des mélomanes dès le départ de sa carrière. Il crée des textes sur des notes de mélange des rythmes maliens avec une ouverture sur la musique internationale. Cet éclectisme a fait la force de l’artiste aussi bien sur le plan national, africain qu’international.
En effet, les spécialistes de la musique sont unanimes : les morceaux d’Habib Koité ne ressemblent à rien d’autre. Ils sont propres à lui et sont le fruit de recherches approfondies sur les sonorités des différentes ethnies du Mali. Notre pays possède une tradition musicale riche et diversifiée, qui varie beaucoup, selon les régions et les cultures locales.
RECONNAISSANCE- Rappelons que les musiques de ce pays sont pour la plupart heptatoniques et pentatoniques. Ce qui leur donne une profondeur recherchée par les mélomanes. En effet, trois ethnies dont celle d’Habib Koité, les Khassonkés, les Malinkés et les Soninkés font de la musique à huit tons. Par contre, les Bambara, les Songhoï, les Peuls, les Sénoufos, les Bobos, les ressortissants du Wassolo et les tamasheq jouent sur le pentatonique, c’est-à-dire un rythme composé de 5 tons.
Habib Koité accorde son instrument sur la gamme pentatonique et joue sur des cordes ouvertes comme il le ferait sur un kamalen n’goni, un instrument à cordes traditionnel malien.
À d’autre moment, la musique d’Habib Koité sonne plus proche du blues ou du flamenco, deux styles qu’il a appris avec Khalilou Traoré, un vétéran du légendaire groupe Afro-Cubain « Las Maravillas de Mali ».
L’esprit de cet album, c’est Kharifa, qui signifie littéralement « se confier ». Chez nous, le mot a une signification particulière. Se confier, est d’ailleurs considéré comme un acte sacré. Quand tu te confies à quelqu’un, la personne est prête à tout pour te protéger. Habib a choisi Kharifa, comme titre d’un morceau et aussi comme l’intitulé de l’album. « Nous traversons une période de notre évolution tellement délicate que nous devons rappeler certaines valeurs qui ont fait la force de notre société », indique-t-il. Notre pays nous est confié, nous devons en prendre soin, pour que rien de mal ne lui arrive. Car, nous avons le devoir de transmettre ou de confier à notre tour ce Mali en bon état à nos enfants, poursuit-il.
À travers Kharifa, Habib Koité entend faire également un devoir de reconnaissance et de remerciement à la famille Lah à Kayes. C’est la famille à laquelle son père a confié lui et ses 17 frères et sœurs. Durant de longues années, ces « diatigui » se sont occupés de la famille Koité. L’artiste doublé du griot estime que le moment est venu de faire ce remerciement. Il demeure très attaché à ce rôle de djéli ou griot. Pour lui, le djéli c’est quelqu’un qui s’occupe « de tisser les liens au sein de la société, il met fin aux querelles, aux différends et aux disputes ». Faire en sorte que les gens s’entendent, qu’il y ait la paix est extrêmement important.
L’artiste rend hommage à l’une des anciennes gloires de notre pays en la personne de Fanta Damba, à travers son morceau fétiche « Djadjiri ». Ce titre a eu un grand succès dans les années 1980, et passait en boucle sur les radios et les télévisions du Mali et de la sous-région. Il a été repris par un nombre incalculable d’artistes interprètes du Mali et d’ailleurs. Cette reprise de Habib Koité est assez exceptionnelle, car il est composé en instrumental. C’est aussi l’occasion pour lui de dire à la jeune génération de ne pas oublier notre identité culturelle.
Le titre N’tolognon est une reprise de «Je chanterai pour toi» de Boubacar Traoré dit Karkar. Habib Koité a repris le refrain et il l’a chanté en sa façon, tout en ajoutant d’autres paroles. Dans cette chanson, il magnifie beaucoup les valeurs de la camaraderie, qui lui sont très chères.
1500 CONCERTS- Chose rare, Habib chante en dogon dans ce nouvel album. Dans le morceau intitulé « Mandé », l’artiste du Khasso tente une reprise de «Sôo», qui était déjà dans son album sorti en 2013. Cette fois-ci, dans Kharifa, il y ajoute des sonorités dogons, un clin d’œil aux conflits intercommunautaires entre peuls et dogons, dans la Région de Mopti.
Et l’histoire raconte que le peuple dogon qui vit dans cette partie du Mali, sur les falaises de Bandiagara, viendrait du Mandé. Les deux populations se sont brassées à travers le temps. Selon Habib Koité, c’est incroyable que ces deux ethnies puissent s’entretuer. En tout cas lui, n’y croit pas et si cela arrivait, c’est qu’il y aurait anguille sous roche. Il estime qu’il doit y avoir un bras manipulateur qui crée la zizanie.
Dans « Forever », un morceau chanté en anglais, il veut s’adresser à ses fans de par le monde, pour les remercier et rendre grâce à Dieu pour leur présence et leur accompagnement de toujours, depuis 26 ans.
Habib Koité nous transporte dans un voyage à travers le patrimoine musical malien et son objectif est de valoriser toutes ces traditions en les intégrant dans sa musique. Avec un pied solidement ancré dans le passé et l’autre résolument prêt à évoluer dans le monde actuel, il est l’artiste d’une génération qui a été témoin de la chute des barrières culturelles.
En même temps qu’il chérit et respecte la musique de ses ancêtres, Habib Koité envisage et espère aussi un jour où les chefs de villages communiqueront avec le monde à partir de leurs huttes en chaume par Internet via des ordinateurs.
La musique d’Habib Koité prouve que nous ne pouvons abandonner le passé dans le dessein de se développer, et que pour assurer ses bienfaits, le monde moderne a besoin de garder ses liens avec le folklore, ainsi qu’avec sa mythologie et son histoire.
Habib Koité est l’un des musiciens les plus populaires et reconnus d’Afrique. Il a su concilier tradition mandingue et virtuosité acoustique. «Il conjugue à merveille mélodies envoûtantes, racines folk et rythmiques chamarrées. Il laisse entendre des sons d’orfèvre acoustique, et une voix de ténor, chaude et veloutée», écrivait le magazine français Télérama.
Véritable globe-trotteur, il a donné plus de 1 500 concerts depuis 1994, apparaissant sur les scènes les plus prestigieuses du monde. Friand de toutes les influences et de tous les répertoires traditionnels de son pays, il propose une approche pan-malienne inédite de la musique, à laquelle il intègre les sonorités du rock et du folk. Le toucher de guitare d’Habib Koité est un modèle de fluidité virtuose et délicate, et n’a décidément rien à envier à celui des grands guitaristes qui ont marqué l’histoire du Mali. Habib Koité a appris à jouer sur une guitare acoustique en reprenant des titres de Jimmy Hendrix ou James Brown. Il rassemble différents styles musicaux traditionnels qui reflètent son ouverture d’esprit, son intérêt pour tous les genres de musique, rapportait récemment le magazine français Télérama.
UN PARCOURS UNIQUE
Né en 1958, Habib Koité provient d’une lignée noble de griots Khassonké, une ethnie de l’Ouest du Mali (région de Kayes).
Il hérita de sa passion pour la musique de son grand-père paternel qui jouait du « kamalé n’goni », un instrument traditionnel à quatre cordes associé aux chasseurs de la région de Wassolou.
Il développa son jeu particulier à la guitare en accompagnant sa mère, elle même « griotte » qui chantait aux cérémonies traditionnelles de la vie malienne : naissance, mariage, décès.
Habib était destiné à une carrière d’ingénieur, mais grâce à l’insistance de son oncle qui avait repéré très tôt son talent musical et qui a convaincu ses parents, il s’inscrivit à l’Institut national des arts (INA) à Bamako. Il y étudia la musique pendant quatre ans, et a terminé son cursus au sommet de sa promotion en 1982. Faisant l’unanimité parmi ses promotionnaires, en 1978 (après seulement six mois de cours), il est nommé chef d’orchestre de l’INA Star, le prestigieux band des élèves de l’école. Après sa graduation, l’INA l’engagea directement comme professeur de guitare. Il a rempli cette fonction jusqu’en 1998.
En 1999, Kélétigui Diabaté a rejoint Habib et est maintenant membre à part entière de son groupe.
Il avait déjà formé en 1988, avec des amis d’enfance, son groupe Bamada (surnom donné aux résidents de Bamako se traduisant littéralement par « dans la bouche du crocodile »).
Dès ce moment, il écume avec son « band » les scènes de Bamako, comme le Bozo, l’Escale, entre autres, et du Mali en peaufinant ainsi sa force musicale et sa cohésion scénique, une des qualités aujourd’hui unanimement appréciée.
En 1991, Habib se rend à Perpignan (France) et gagne le premier prix du Festival Voxpole, ce qui lui permit de financer la production de deux chansons enregistrées aussitôt. Il s’agit de « Cigarette A Bana » (la Cigarette est Finie) » a été un gros succès à travers toute l’Afrique de l’Ouest.
Après la sortie d’un autre single aussi couronné de succès et intitulé « Nanalé (l’Hirondelle) », Habib reçut le prestigieux prix « Découverte 1993 » de Radio France Internationale (RFI). Cette récompense et sa rencontre à l’initiative de Souleymane Koly, le directeur de l’Ensemble Kotèba, avec Michel De Bock, le fondateur de l’agence artistique « Contre-Jour », ont permis à Habib et aux Bamada d’entreprendre et d’organiser leur première tournée hors d’Afrique pendant l’été 1994.
En 1995, Habib & Bamada enregistrent leur premier album « Muso Ko ». Son producteur se hâte de terminer le CD pour pouvoir le présenter aux professionnels présents au Marché du Spectacle et des Arts d’Abidjan lors de la prestation d’Habib et du Bamada. Ce concert restera dans les mémoires comme un des grands moments de la seconde édition de ce MASA.
À partir de ce moment, Habib devint une référence du circuit européen des festivals, ce qui contribua à promouvoir sa musique envoûtante et ses spectacles très énergiques autour du monde.
Habib a joué dans la plupart des grands lieux et festivals européens parmi lesquels : le festival de Jazz de Montreux, le MAD et le Word Rots Festival, Couleur Café, Paléo Nyon.
Le deuxième album d’Habib « Ma Ya », est présenté en 1998 en Europe.
Il a été très chaleureusement accueilli et reconnu par la presse internationale. Il resta, fait sans précédent, trois mois à la première place du « Word Musical Chartes Europe » des programmateurs radio.
Les tournées et invitations aux plus grands festivals se sont succédé en témoignage de ce succès.
En janvier 1999, le producteur a cèdé la licence de « Ma Ya » pour l’Amérique du nord à PUTUMAYO World Music, ce qui contribua à installer définitivement Habib comme l’une des nouvelles figures les plus intéressantes de la World musique dans ce continent.
« Ma Ya » atteignit la position n°1 et passa 20 semaines dans le top 20 du US « CMJ New World Music Chart », et perça véritablement à la radio rock AAA, passant plusieurs mois en rotation régulière sur les ondes des radios commerciales du pays.
Au printemps 2000, il a participé, en tant qu’invité, à une tournée avec le légendaire groupe de free-jazz : « l’Art Ensemble de Chicago ».
À l’automne 2000, Habib partagea la scène avec Oumou Sangaré, un des artistes ouest-africains les plus populaires lors d’une tournée nord-américaine intitulée « Voice of Mali ». Cette tournée fut un succès considérable.
Y. D.
Source: Journal l’Essor-Mali