Les justices française et burkinabè sont sur la piste du président du parlement ivoirien, l’ex-rebelle Guillaume Soro. Dernier soubresaut d’une relation agitée entre voisins.
Désormais il parle peu et n’apparaît presque plus en public. Depuis trois mois, Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale ivoirienne, vit des moments mouvementés. Sur sa tête pend un mandat d’amener de la justice française et un mandat d’arrêt international de la justice militaire du Burkina Faso. On lui reproche notamment d’avoir soutenu en sous-main la tentative de putsch du général Gilbert Diendéré et des tenants de l’ex-président Blaise Compaoré, lui-même réfugié en Côte d’Ivoire.
Cette imbrication entre voisins d’Afrique de l’Ouest est une constante depuis le début du millénaire. Seul changement: le revirement de la France. Car durant la décennie de rébellion ivoirienne (2002-2011), Guillaume Soro est autant le «chouchou» de la France que du Burkina Faso. Lorsqu’en septembre 2002, à la tête d’une armée composée en partie d’anciens éléments de l’armée régulière, l’ancien leader étudiant tente de renverser le président ivoirien Laurent Gbagbo, Ouagadougou sert de base arrière aux déserteurs. La France, elle, au mieux, ferme les yeux sur les agissements des ex-rebelles.
Des accords de paix le propulsent au poste de premier ministre, mais le conflit avec le chef de l’Etat ne se calme pas. Aux élections controversées d’octobre 2010, alors que la victoire est revendiquée par les deux camps (Laurent Gbagbo et son challenger Alassane Ouattara), Guillaume Soro et Paris choisissent celui de l’ancien dirigeant du Fonds monétaire international (FMI) et actuel président.
Lâché par Paris?
La chute définitive de Laurent Gbagbo, en avril 2011, porte M. Soro au perchoir de l’Assemblée nationale. Depuis, il n’a jamais caché des ambitions supérieures pour 2020.
Elles semblent aujourd’hui contrariées par ceux qui étaient hier encore ses soutiens. C’est en visite privée en France, début décembre 2015, que Guillaume Soro apprend qu’un mandat d’amener a été délivré par la juge française Sabine Khéris. La justice française souhaite l’entendre dans le cadre d’une plainte déposée par le fils de l’ancien président Laurent Gbagbo. Qui affirme avoir été enlevé et séquestré pendant plusieurs mois après son arrestation, en 2011, en même temps que son père.
Coincé dans un hôtel parisien, Guillaume Soro a dû attendre la délivrance d’un ordre de mission pour se sortir de l’engrenage. Le président ivoirien Alassane Ouattara a ensuite dépêché un avion privé afin de le ramener au pays.
Ce feuilleton, Abidjan ne l’a que difficilement digéré. Le gouvernement ivoirien a d’ailleurs exprimé sa colère à l’encontre de Paris, à travers une note à l’ambassadeur de France. Puis, face aux députés, le président de l’Assemblée s’en est pris à la juge, dans un discours empreint d’ironie. «Une juge française, avec une stupéfiante brutalité, a voulu m’enlever, me séquestrer, et m’arracher ainsi à votre si douce
affection», affirma-t-il depuis le perchoir.
Ouaga enfonce le clou
Mais cette sortie n’a pas eu le temps de dissiper les inquiétudes de ses partisans que l’inattendu se produisait: la délivrance d’un mandat d’arrêt international par la justice militaire du Burkina Faso. Les faits reprochés à Guillaume Soro sont «association de malfaiteurs, complicité d’atteinte à la sûreté de l’Etat, complicité de trahison».
Ces faits remontent au putsch manqué au Burkina Faso, en septembre 2015. L’ancien rebelle aurait alors proposé une aide financière et technique à Djibril Bassolé, ancien ministre de la diplomatie burkinabè pour réussir son coup d’Etat. Un enregistrement sonore de seize minutes est présenté comme preuve des échanges entre les deux hommes.
Appel à la conciliation
Si le camp Soro qualifie le document de «montage», deux hautes autorités du Burkina, notamment le premier ministre de la Transition, Isaac Zida, et le président du parlement de la Transition, Salif Diallo, confirment son authenticité.
A Abidjan, où s’est réfugié l’ancien président du Burkina (également sous le coup d’un mandat d’arrêt international), l’attitude de Ouaga n’est guère appréciée. Et face au mandat d’arrêt, on souhaite un règlement à l’amiable. «Ce mandat a été délivré au mépris des règles des us et coutumes en la matière (…). La Côte d’Ivoire, tient à réaffirmer sa ferme volonté de régler cette question par la voie diplomatique», a réagi le gouvernement d’Alassane Ouattara.
Quelques heures seulement après ce communiqué, deux nouveaux enregistrements étaient pourtant diffusés. Dans le premier, le chef d’état-major de l’armée ivoirienne, Soumaila Bakayoko, demande au général Gilbert Diendéré de ne pas lâcher prise pendant le putsch. Le deuxième enregistrement, lui, se déroule entre Zakaria Koné, un ex-chef de guerre de la rébellion ivoirienne aujourd’hui officier de l’armée, et l’épouse du général Diendéré. Bakayoko et Koné sont deux proches de Guillaume Soro et désormais visés par des mandats d’arrêt.
«Tout cela fait un peu trop pour le régime d’Abidjan», estime Marcellin Tanon, politologue ivoirien. «Le président Ouattara ne lâchera pas M. Soro pour que ce dernier réponde de ses actes. Mais c’est surtout une mauvaise posture pour le pouvoir, à qui il est déjà reproché une justice à deux vitesses», assure M. Tanon.
L’analyste croit que cette affaire judiciaire entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso pourrait avoir des conséquences économiques entre les deux pays D’autant plus que deux millions de ressortissants burkinabè vivent et travaillent en terre ivoirienne, notamment dans les plantations de cacao.