Qui est, réellement, Moussa Traoré ? Comment est-il arrivé au pouvoir ? Comment a-t-il exercé le pouvoir ? Comment a-t-il quitté le pouvoir ? Quel héritage a-t-il laissé aux Maliens ? Dans le but de répondre à ces cinq questions, Dr Choguel Kokalla Maïga et Pr Issiaka Ahmadou Singaré dans leur énième coproduction ont mis sur le marché un livre de trois cent pages, intitulé ‘’Hommage au Général d’armée Moussa Traoré’’, dont le lancement a eu lieu samedi à la Maison de la Presse. Nous vous livrons dans la présente parution la partie consacrée au parcours de Moussa Traoré de sa naissance à son accession au pouvoir.
Les coauteurs de ce nouveau livre dans les librairies ont indiqué que l’objectif de sa rédaction constitue pour eux en tant qu’anciens militants de l’UDPM d’inviter à jeter un autre regard sur un homme et sur son œuvre. Avec l’intention d’apporter leur contribution au débat d’idées sur l’histoire contemporaine du Mali, ils ont choisi d’écrire, de témoigner, afin que les mensonges d’aujourd’hui ne deviennent les vérités de demain. « La sagesse bamanan enseigne : le mensonge qui s’exprime finit par l’emporter sur la vérité qui se tait » soutiennent-ils, avant de s’interroger si réellement tous les faits relatés sur GMT et son régime sont-ils des vérités. Focus sur le parcours du Général d’armée Moussa Traoré (1ère partie).
- Le parcours, du 25 septembre 1936 au 19 novembre 1968
Moussa Traoré est natif de Sébétou, village situé à une quinzaine de kilomètres de Kayes. Il a vu le jour le 25 septembre 1936. Son père, Kaba, est un ancien combattant des deux guerres mondiales. En octobre 1944, il est inscrit à l’école régionale de Kayes où il obtient, en 1950, le certificat d’études primaires élémentaires. Son père l’a destiné au métier des armes. Aussi, plutôt que de s’engager pour des études secondaires, il se présente, avec succès, major du Soudan Français, au concours d’entrée à l’Ecole des enfants de troupes de Kati. Il en sort, major de sa promotion.
Avec le grade de sergent-chef, il connaît différentes affectations en Guinée, au Sénégal, en Mauritanie et à Fréjus, souvent comme instructeur. A Fréjus, il se présente au concours d’entrée à l’Ecole de Formation des Officiers Ressortissants des Territoires d’Outre-Mer (EFORTOM). L’établissement recrute à partir des colonies françaises d’Afrique. Moussa Traoré se classe major, aussi bien au concours d’entrée qu’à l’examen de fin d’études.
Survient le 22 septembre 1960, l’indépendance de la République du Mali. Il est mandaté par ses sept compatriotes fréquentant l’établisse pour rédiger la motion de félicitation et de soutien adressée aux congressistes. Das la foulée, ayant à choisir entre continuer à servir sous le drapeau français et l’intégration dans la jeune armée malienne, il choisit la seconde option et retourne au pays natal en même temps que neuf camarades ayant suivi une formation d’officiers en France, sept à Fréjus, deux, à Strasbourg. A leur intention, le général de brigade Abdoulaye Soumaré, Chef d’état-major général (CEMG) de l’armée ouvre un camp d’application à Kati où ils s’exercent sur toutes les armes. L’application terminée, les jeunes sous-officiers, à l’exception de Moussa Traoré, sont répartis entre des commandos autonomes de combat et déployés sur différents camps militaires. Le CEMG aynt pris connaissance des états de service de Moussa Traoré l’affecte à l’Ecole Militaire Interarmes (EMIA) de Kati comme instructeur.
Juin 1962 : en compagnie du capitaine Amara Danfagha, il reçoit l’instruction de se rendre à Conakry y réceptionner des caisses censées contenir des explosifs. Il s’acquitte de la mission et, à sa grande surprise comme à la surprise du capitaine Danfagha, il découvre, à la suite de l’ouverture malencontreuse de quelques caisses, qu’il est, à son insu, convoyeur de billets de banque. En effet, le Mali, ayant décidé de créer sa propre monnaie, venait de faire imprimer des billets de banque en Tchécoslovaquie et le gouvernement s’est proposé de les introduire sur le territoire national dans le plus grand secret en attendant de les mettre en circulation le 1er juillet 1962.
Mai 1963 : l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) est créée à Addis Abeba. A l’époque, les Etats africains sont partagés entre deux blocs : celui de Monrovia, favorable à un rapprochement avec l’Occident et celui de Casablanca favorable à un rapprochement avec les pays de l’Est. En marge d’une session de l’assemblée générale de l’organisation, les chefs d’Etat du second groupe se retrouvent en conclave et décident d’apporter un appui en armes et en formation aux combattants d’Afrique centrale et d’Afrique australe.
Le lieutenant Moussa Traoré est désigné pour la mise en œuvre de la décision. En compagnie du lieutenant Ousmane Coulibaly, bravant les dangers inhérents aux incessants bombardements des camps des nationalistes du Congo-Léopoldville, il réussit à rencontrer les forces lumumbistes pour leur remettre des armes et des munitions. Par la suite, un camp d’entraînement est ouvert au Tanganyika. De nouveau, le lieutenant Moussa Traoré est désigné comme instructeur pour initier au maniement des armes les nationales angolais, mozambicains, namibiens et sud-africains.
De retour de mission, il rejoint l’EMIA, à Kati, d’où le mardi 19 novembre 1968, il descendra sur Bamako pour prendre le pouvoir.
- L’accession au pouvoir
Donc, l’accession au pouvoir s’est effectuée à la suite d’un coup d’Etat. Cet événement possède des causes, connaît une préparation suivie d’une exécution.
- Les causes du coup d’Etat
Dans le second semestre de l’année 1968, Moussa Traoré est frappé par un fait et ne manque pas de se poser la question : comment se fait-il, alors qu’aucune sécheresse n’ait été déplorée, qu’aucune famine n’ait été déclarée, les Maliens soient soumis au rationnement des céréales ? Ce constat, ajouté à d’autres dysfonctionnements le décide à renverser le pouvoir pour opérer le changement.
Les causes du coup d’Etat sont au nombre de cinq : les dissensions au sein de l’US-RDA, le culte de la personnalité, les difficultés économiques, les restrictions apportées aux libertés individuelles, les frustrations dans l’armée.
De sa création en octobre 1946 à août 1967, l’US-RDA a été constamment été secouée par des dissensions. Celles-ci sont dues aux divergences entre responsables favorables au Président Mamadou Konaté et responsables favorables au Secrétaire général Modibo Keïta. La seconde tendance finit par l’emporter. Modibo Keïta dissout le Bureau Politique National (BPN). Les députés sont sommés de se démettre. Des structures non prévues par les textes fondamentaux sont créées. Ce sont : le Comité National de Défense de la Révolution (CNDR), la Délégation Législative. S’appuyant sur des jeunes, la plupart dans base, Modibo Keïta déclenche la Révolution active. A l’exception des élus du Nord, tous les responsables de la première heure sont écartés de la gestion politique du pays.
Une telle situation favorise le développement du culte de la personnalité. Pionniers et écoliers doivent chanter : « La voix de Modibo a sonné le salut. » Modibo Keïta est surnommé le Président Jigisémé. Il est sacré Guide unique.
Cette situation est née du coup de barre à gauche vigoureusement imprimée à la gestion des affaires publiques. En effet, si la proclamation de l’indépendance de la République du Mali s’est faite dans l’euphorie, celle-ci est vite tombée.
Dès 1962, les difficultés économiques commencent à se manifester. Des Sociétés et Entreprises d’Etat sont créées. Elles font la fierté du peuple. Mais elles sont loin d’être rentables à l’exception de quelques-unes. Dès mars 1963, Modibo Keïta conclut à leur faillite et à la nécessité d’en supprimer certaines pour restructurer d’autres.
Une monnaie nationale est mise en circulation le 1er juillet 1962. Cinq années plus tard, il faut se résoudre à l’abandonner. Des négociations sont entreprises avec la France. Elles aboutissent à la signature des accords monétaires franco-maliens en février 1967. La France garantit le franc malien, le Mali s’engage à prendre les dispositions pour réintégrer l’UEMOA et la zone franc. Modibo Keîta vient de donner satisfaction à l’aile modérée de son parti. Les radicaux ruent dans les brancards. Pour leur donner satisfaction, il déclenche la Révolution active.
Le malaise créé par les difficultés économiques est aggravé par les restrictions imposées aux libertés publiques : obligation de participer aux réunions du parti, obligation de prendre la carte du parti, obligation d’obtenir l’autorisation de sa section pour se rendre à l’étranger, obligation d’être détenteur d’un avis de mouvement pour faire circuler les céréales quelle que soit la distance à parcourir, obligation pout tous les Bamakois de s’acquitter de la prière du vendredi à la Grande Mosquée de Bagadadji, obligation pour certains musulmans de se cacher pour pratiquer leur culte…
Enfin, les frustrations au sein de l’armée constituent la dernière cause du coup d’Etat. Modibo Keïta, avec l’assistance du colonel Pinana Drabo et du général Abdoulaye Soumaré a créé l’armée nationale pour s’en écarter à parti de 1964. Pour quelles raisons ? On ne le sait pas exactement. Ce que l’on sait est que le désamour avec l’armée nationale s’accompagne d’un intérêt manifeste pour la Milice du parti, dite Milice populaire, mieux entretenue, mieux équipée que l’armée. Cette situation sera déterminante pour expliquer le ralliement du camp des commandos parachutistes de Djikoroni à la cause du coup d’Etat.
- La préparation du coup d’Etat
Le coup d’Etat du 19 novembre est l’œuvre de huit lieutenants avec l’appui d’un adjudant-chef. L’idée de renverser le régime a d’abord germé dans l’esprit de trois lieutenants : Moussa Traoré, Youssouf Traoré, Kissima Doukara. Ils s’en ouvrent à quelques capitaines : Charles samba Sissoko, Yoro Diakité, Abdourahmane Diallo… Les capitaines commencent par hésiter pour finir par se déclarer non partants.
C’est alors que, sur recommandation de Moussa Traoré qui, déjà, fait figure de chef, les trois lieutenants se tournent du côté des sous-officiers. Kissima Doukara prend contact avec l’adjudant-chef Soungalo Samaké, adjoint du commandant du camp des parachutistes de Djikoroni, le capitaine Amara Danfagha. L’adjudant-chef exige la présence du chef pour traiter avec lui. Moussa Traoré fait le déplacement. Soungalo Samaké pose ses conditions, elles sont acceptées. Il se déclare prêt à agir dès qu’instruction lui sera donnée.
Cette étape franchie, Moussa Traoré constitue l’équipe qui sera à la manœuvre le jour J qui n’est pas encore fixé. Ses choix se portent sur certains officiers de la première promotion qu’il a eu à forer à l’EMIA. Ils sont : Filifing Sissoko, Amadou Baba Diarra, Tiékoro Bagayogo, Joseph Mara, Missa Koné.
- L’exécution du coup d’Etat
Le lieutenant Moussa Traoré a gardé secret le jour du coup d’Etat. Dans la soirée du lundi 18 mars, aux environs de 18 heures, assis dans son salon, à Kati, il convoque, un à un, les membres de l’équipe qu’il a constituée, les reçoit avec la même phrase : « C’est ce soir, va te préparer : »A minuit, il fait sonner l’alerte. La troupe accourt au lieu de rassemblement. Il lui tient l’allocution suivante : « Ce soir, nous allons prendre le pouvoir, pas pour nous-mêmes, mais pour le bonheur de notre peuple. Etes-vous prêt à me suivre ? » « Mon lieutenant », lui fut-il répondu, « si c’est vous qui êtes à la tête de l’action, nous vous suivront jusqu’au bout. » De joie, un soldat vide son chargeur sur un tronc d’arbre. Les magasins sont ouverts, la troupe s’équipe, s’ébranle vers Bamako pour en occuper les points stratégiques.
Aux membres de l’équipe, il présice ce que chacun doit faire. Les lieutenants Youssouf Traoré et Kissima Doukara sont chargés de mettre hors d’usage les centraux téléphoniques du Dibida et du Point G. Tiékoro Bagayogo et Soungalo Samaké sont chargés de neutraliser les membres de l’état-major de la Milice. Ensuite, Samaké procédera à l’arrestation du ministre délégue chargé de la Défense, Mamadou Diakité, et Filifing Sissoko, à celle du chef d’état-major, le colonel Sékou Traoré. Amadou Baba Diarra est chargé de la supervision du déploiement des blindés dans Bamako.
Tout est exécuté à la lettre, en dépit de quelques anicroches. Les opérations ont débuté à minuit à Kiti, à 2 heures, à Bamako. A 4 heures, tout était terminé sans que la moindre résistance soit observée. A 8 heures, Moussa Traoré donne instruction à Soungalo Samaké de se faire accompagner par Amadou Baba Diarra et Tiékoro Bagayogorendre pour se rendre à Koulikoro où Modibo Keïta, de retour de Mopti, doit débarquer dans le courant de la matinée et l’arrêter avant qu’il ne descende de bateau.
Sur le trajet Koulikoro-Bamako, Soungalo Samaké modifie l’instruction donnée. Arrêter Modibo Keïta à Koulikoro comporte des risques. Aussi, est-ce à Kayo que l’arrestation aura lieu. De cet instant à l’arrivée à la Permanence du Part (aujourd’hui siège du Haut Conseil des Collectivités Territoriales), Modibo Keïta est resté silencieux, tête baissée, dans le BTR où il avait pris place. Une fois arrivé à destination, il s’est trouvé en face de Moussa Traoré. Contrairement à une idée répandue, il n’y a eu nulle négociation entre les deux hommes.
Moussa Traoré s’est limité à donner à Modibo Keïta les raisons du coup d’Etat et à l’informer que des élections seront organisées auxquelles il pourrait, s’il le voulait, participer. Modibo Keïta s’est dit non intéressé par des élections ; ayant vu le jour dans une case, il est prêt à y retourner passer le reste de ses jours. Là prirent fin la rencontre et la la Ière République. Aux environs de 13 heures, Moussa Traoré annonce sur les antennes de Radio Mali : « L’heure de la liberté a sonné. L’Armée a pris le pouvoir de l’Etat. » L’annonce provoque dans un premier temps, le scepticisme, tant l’US-RDA était fortement implantée dans le pays. Mais, vite, le scepticisme est dissipé pour céder la place à une formidable explosion de joie que relate, dans les moindres détails, l’historienne Bintou Sanankoua dans son livre La Chute de Modibo Keïta. Toutefois, des tentatives de résistance, du fait très isolées, sont notées à Kidal, Koro, Ségou, Bamako, Kayes. Elles sont vite circonscrites avec le concours des populations et des forces de défense et de sécurité ; toutes, sauf celle de Kidal qui aura un dénouement tragique plus que déplorable.
A suivre
Karamoko Diaoulen Diarra