Tous les régimes qui ont eu en charge la destinée du Mali ont fait de la lutte contre la corruption leur principale arme pour la bonne gouvernance. Mais apparemment le phénomène ne semble pas baisser en intensité par la faute du citoyen. Il suffit de dénoncer le train de vie inhabituel d’un serviteur du pays pour s’attirer les foudres de ceux qui émargent chez lui. Le dénonciateur est victime de tous les diminutifs.
Sous le régime du premier Président de la République du Mali, l’atmosphère de corruption a gagné tellement en intensité au point qu’il fallait agir. Le père de l’indépendance qui portait le Mali dans son cœur déclencha l’opération taxi : plusieurs cadres du parti ont vu leurs taxis saisis. Ce qui a heurté le président Modibo Keita à l’époque, c’est surtout l’implication de certains dirigeants de l’US- RDA. Un haut responsable pour ne pas subir les foudres du président de la République et s’attirer la vindicte populaire s’est donné la mort pour avoir détourné la somme de 8000 francs maliens.
Quand les bidasses sont venus au pouvoir après le putsch du 19 novembre 1968, ils avaient fait de la lutte contre la corruption une préoccupation nationale. Pour se dédouaner du coup de force contre le régime de l’US-RDA, ils avaient usé de ce délit comme argument. Mais rapidement des divergences apparaissent entre les tombeurs du président Modibo. A l’époque, le capitaine Djiby Sylas Diarra qui n’avait pas compris les mobiles de la prise du pouvoir par les treillis a eu une chaude discussion avec le Lieutenant Moussa Traoré. S’adressant à ce dernier, il lui a lancé ces mots : « mais monsieur le président, vous dites que vous êtes venu pour redresser le pays, parmi vous est ce qu’il y’a un économiste, un sociologue, un géographe, un planificateur ? ». Le lieutenant Moussa Traoré, face aux propos du Capitaine Diarra, a observé un silence de cimetière. D’ailleurs c’est cette prise de position inattendue de Diarra qui lui coûtera le bagne de Taoudenni. Quelques mois après, les militaires ont commencé à porter atteinte aux derniers publics par une gestion affairiste. Eux et leurs proches voyageaient dans les compagnies de transport sans débourser un kopeck. Les entreprises d’état étaient devenues le lieu idéal pour les militaires de caser les proches. Face à cette corruption gangrenée qui a gagné en intensité, le Général-Président Moussa Traoré décide de frapper un grand coup dans sa propre famille politique, le Comité Militaire de Libération National (CMLN). D’aucuns attribueront ce nettoyage de l’écurie d’Augias à un règlement de compte politique entre Moussa et la bande des quatre qui sont Kissima Doukara, Karim Dembélé, Tiekoro Bagayoko, Charles Samba Sissoko. Ils seront arrêtés pour s’être enrichis sur la vente illégale des dons destinés aux sinistrés de la sécheresse de 1973, d’où le fameux terme ‘’villas de la sécheresse’’. Une fois cette menace écartée, l’épouse de Moussa Traoré sera soupçonnée de plusieurs cas de corruption. Elle sera à tord ou à raison impliquée dans l’affaire de l’or à bord de la compagnie belge SABENA. L’appareil sera immobilisé pendant quelques heures sur le tarmac de l’aéroport international Bamako Senou par le Ministre des Finances de l’époque Zoumana Sacko. Peu après, ce dernier donnera sa démission. Certains diront que c’est cette affaire d’or qui avait précipité son départ de l’hôtel des finances. Mais face à la misère généralisée liée aux retards des salaires, Moussa Traoré accusé du détournement de plus de 600 milliards est chassé du pouvoir par un soulèvement populaire avec la complicité de la France qui l’accuse d’être opposé au multipartisme intégral. Mais la corruption prend de l’ascenseur avec l’instauration de la démocratie. Et pour la première fois apparait le terme de ‘’fonctionnaires milliardaires’’. Si sous le régime militaire, les détournements se chiffraient en millions, la démocratie a largement dépassé ces chiffres faramineux. Le président Moussa Traoré avait dit en son temps que qui bouffe 10 millions est passible de la peine de mort. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Un journal de la place en son temps avait parlé de 21 milliardaires, faisant allusion aux 21 Ministres du président Konaré. C’est avec la démocratie que beaucoup ont connu les yachts de plaisance. Les détournements se font à la pelle. D’ailleurs le Malien lambda est habitué au terme caution car pour un détournement de plus du milliard, il suffit de payer 25 millions pour retrouver la liberté. Des immeubles appartenant à des commis de l’Etat se dressent arrogamment à la cité du Niger et dans les quartiers Hamdallaye ACI et Baco-Djicoroni ACI. Les scandales financiers sont devenus une tradition au Mali. Les postes les plus appétissants sont confiés à ceux qui se sont fait connaitre par les détournements en série. Gare à toi si tu dis, même dans une simple causerie, que tel immeuble appartient à tel fonctionnaire ! Tu seras traité de « Niengo », c’est-à-dire d’égoïste. Monseigneur Jean Zerbo, lors de la présentation de vœux au Président ATT, avait donné l’alerte. Son éminence n’a-t-il pas dit que l’honnêteté est devenue un délit au Mali ?
Badou S. Koba
Source: CARREFOUR