L’Agence du bassin du fleuve Niger (ABFN) a effectué du 11 au 13 mai une mission dans le Niger Supérieur (Kangaba, Bamako, Koulikoro). Cette mission entendait constater les phénomènes et les activités dégradant l’environnement du fleuve, discuter avec les riverains et les usagers de leurs attentes vis-à-vis du cours d’eau. Les visiteurs ont aussi entrepris de s’entretenir avec les institutions de la République et les autorités communales pour comprendre des préoccupations actuelles sur le fleuve Niger, les actions nationales et communales en cours pour sa sauvegarde et les perspectives ainsi ouvertes. La mission était dirigée par le directeur général de l’ABFN, Abdourahamane Oumarou Touré, qui avait à ses côtés Opéry Berthé, chef du département étude et surveillance des milieux, Amadou Dicko, chef service communication de l’ABFN, Mme Antoinette Akplogan, agent au département étude et surveillance des milieux.
Ceux qui ont vu le fleuve Niger, il y a longtemps, ne retrouvent plus le charme qui fut le sien, a regretté le directeur général de l’agence. Un certain nombre d’activités économiques et de comportements environnementaux inappropriés dans notre pays soumettent à un grave risque de disparition « la tête amont de l’axe hydrologique majeur du Sahel et de toute l’Afrique de l’Ouest ». De Koulikoro à Kangaba en passant par Bamako, le mal existe. S’il change de visage selon les localités, a noté Abdourahamane Oumarou Touré, les effets restent globalement les mêmes : risque de disparition du fleuve Niger avec l’ensemble des espèces animales et végétales et risque que le cours d’eau soit d’une inutilité absolue du fait du niveau de pollution « physico-chimique » à laquelle il est soumis par des hommes conscients des conséquences de leurs actes.
Il s’agit essentiellement pour Koulikoro de l’extraction de gravier et de sable du fleuve et le déversement des déchets de toutes sortes dans le lit du fleuve. A Kangaba, précisément à Balanzan commune rurale de Kagnogo ainsi qu’à Safola, l’orpaillage impliquant l’utilisation des produits chimiques comme le cyanure, l’exploitation de gravier et de sable ou même l’inhumation sur la berge du fleuve d’orpailleurs morts par noyade constituent un ensemble de nuisances altérant le fleuve.
A Bamako, les maux s’appellent « la course au foncier » qui se prolonge jusque dans le lit du fleuve en violation du code domanial. Il y a aussi l’extraction de sable et de gravier, le déversement de déchets. Pour le directeur général de l’ABFN, Abdourahamane Oumarou Touré, « parler avec les acteurs de ces activités, avec les institutions de la République et les autorités coutumières accroit les chances de réussite dans la lutte contre ces phénomènes ». Il estime que les solutions techniques, à elles seules, ne suffiront pas et qu’il est nécessaire d’impliquer tous les acteurs.
Abdourahamane Oumarou Touré s’est efforcé d’obtenir l’implication de ses interlocuteurs lors des entretiens avec les autorités des différents sites visités. Il leur a annoncé l’imminence d’une étude sur la pollution dans le bassin supérieur du fleuve Niger. Pour le député Mahamadou Keïta, « si le fleuve est pollué à Kangaba, il n’y aura pas de fleuve à Bamako. Au Mali, le Niger prend sa source à Kangaba. En ce qui concerne la pollution physico-chimique du fleuve à Kangaba, c’est un phénomène très dangereux. Nous avons l’impression que les services de l’assainissement ici se focalisent plutôt sur l’argent que sur la protection du fleuve. Pour eux, faire gagner de l’argent au service est prioritaire sur la protection du fleuve. Or s’il n’y pas le Niger, il n’y a pas le Mali ». Le parlementaire a aussi critiqué les constructions dans le lit du fleuve à Bamako.
Le maire N’zié Sinayoko s’inquiète, lui aussi, de la pollution du fleuve par les activités d’orpaillage, jugeant « suicidaire de consommer le poisson du fleuve car il y a de fort risque de consommer du cyanure ». Pourtant, les orpailleurs soutiennent qu’ils paient des taxes à la mairie et aux impôts. A-t-on donc le droit de polluer le fleuve Niger lorsque l’on paie des taxes ? « Je reconnais que je cause du tort au fleuve, aux riverains, même aux poissons. Mais c’est mon boulot. J’ai fait des études et obtenu des diplômes. Au lieu de faire du thé devant la porte, je préfère venir faire ce travail, se justifie Cheickna Sy, orpailleur exerçant à Safola. Il ajoute : « nous payons nos impôts, des taxes aux mairies et aux autorités locales. Nous considérons donc que le travail que nous faisons ici n’est pas une activité illégale ».
Ces arguments ont été avancés à maintes reprises devant les agents de l’ABFN durant leurs rencontres avec les exploitants de gravier et de sable ou avec des orpailleurs (regroupés au sein d’associations). Les cotisations de certaines associations d’exploitants de gravier et de sable s’élèvent à des montants très importants. Ces associations sont pour les mairies et les impôts une sorte de « vache laitière ». « A chaque voyage du camion benne, la mairie gagne 500 Fcfa », révèle Ali Maïga, le président d’une association d’exploitants de gravier et de sable à Koulikoro, appelée « Hèrèton ». En plus de cela, ajoute-t-il, nous versons chaque année des taxes à la mairie et aux impôts.
En vertu de quelle loi, les impôts, les mairies et même les autorités coutumières perçoivent-ils de l’argent venant de ces acteurs ? Cet argent est-il employé pour la protection du fleuve Niger ? A ces questions posées par le directeur général de l’ABFN, Abdourahamane Oumarou Touré, une enquête doit fournir des réponses.
La mission de l’ABFN a aussi fait le constat de l’apparition de 18 îles dans le fleuve Niger entre Kangaba et Bamako. Selon le directeur général de l’ABFN, « en amont du pont Fahd vers la primature, ce sont quasiment des forêts dans le fleuve ». L’économie du pays, a-t-il rappelé, repose sur l’agriculture qui en est le moteur. Mais « tout moteur a besoin de carburant et de lubrifiant, le fleuve Niger représente justement le carburant et le lubrifiant de l’économie nationale ».
K. DIAKITE
Source : L’ Essor