« Un dirigeant est à l’image de sa société »
A l’occasion du mois de la solidarité célébré chaque année en octobre au Mali, à travers de grandes actions de générosité par l’ONG Islamique Al-Farouk, son directeur général, Ibrahim Kontao, nous a accordé, le 24 octobre 2019, une interview exclusive. Dans cet entretien de plus de 30 minutes, réalisé en langue nationale bambara le patron de Al-Farouk, en plus des actions humanitaires de son organisation à l’endroit des personnes en situation difficile en ce mois de solidarité, revient en détail sur son enlèvement survenu le 4 septembre 2018 par des bandits. Lisez plutôt.
Ziré-Hebdo : monsieur le directeur général, présentez-vous à nos chers lecteurs ?
Ibrahim Kontao : je m’appelle Ibrahim Kontao, je suis le directeur général de l’ONG Al-Farouk. Une ONG dont l’objectif est d’aider les personnes qui sont dans les besoins d’assistance humanitaire.
Nous sommes au mois de la solidarité ; qu’est-ce que cela signifie pour l’ONG Al Farouk ?
Dieu merci ! Le mois d’octobre est un mois d’entraide et de solidarité ici au Mali. Ces actions font partie de la vie quotidienne dans notre pays et cela depuis toujours. Cependant, que le gouvernement de notre pays désigne le mois d’octobre comme le mois de la solidarité au Mali est une bonne initiative qui mérite d’être saluée, car ceci permet non seulement de rappeler aux Maliens à quel point il est important de sauvegarder cette valeur humaine, mais aussi d’accentuer les actions de solidarité, de lutte contre la pauvreté et de l’exclusion pour une meilleure cohésion sociale. Donc, c’est dans cette même dynamique que l’ONG Al Farouk a été créée et elle évolue dans l’humanitaire afin d’aider au mieux les Maliens et Maliennes qui sont dans les besoins réels d’assistance humanitaire.
Est-ce qu’il en est ainsi, selon vous, chez les autres organisations humanitaires et le gouvernement ?
Sans nul doute, puisque la raison fondamentale d’existence ou de création d’une ONG est d’assister les personnes et surtout de venir en aide là où le besoin se fait le plus sentir. A un moment de la vie, il a été constaté qu’il y a beaucoup d’insuffisance dans la gestion des affaires publiques. De même, l’État, ne pouvant pas tout faire seul, les ONG ont été créées pour combler ce vide. C’est pour dire que chaque ONG se doit d’exercer dans ce cadre. Mais dire que c’est réellement le cas chez tout le monde, ce serait peut-être trop exagéré. Il est quand même difficile de répondre à la place des autres puisque chaque personne a sa façon de faire. Même si les ressources sont là, l’engagement et la capacité des uns et des autres diffèrent également. Mais, nous espérons que cela soit le cas pour toutes les autres ONG présentes au Mali.
Il en est le même pour l’Etat qui n’est autre que tout un chacun avec ses défauts et ses valeurs et il faut comprendre que l’honnêteté d’une société relève de la droiture de ses enfants. Cette notion doit être ancrée dans la tête de chacun de nous. Mais dire que tout le monde répond au critère de création d’ONG, cela n’est pas évident. Certes, l’homme a été conçu, sinon créé pour faire du bien, mais il y en a qui font le contraire et cela existe dans tous les secteurs. On peut apprécier les faits, mais il est difficile d’apprécier les idées.
Parlant du gouvernement surtout et de son engagement, je pense que cela dépend aussi de l’engagement des citoyens. Je veux dire qu’un dirigeant est à l’image de sa société, mais aussi des citoyens qu’il dirige. Changeons et nos dirigeants changeront avec nous.
Monsieur le directeur général, dites-nous depuis quand l’ONG Al Farouk s’est inscrite dans cette dynamique de solidarité à l’endroit des personnes en situation difficile ?
Nous sommes dans cette dynamique depuis 1994, date de l’acquisition de notre récépissé qui nous autorise à intervenir ici au Mali dans l’humanitaire. Les principaux domaines dans lesquels nous intervenons sont l’éducation, la santé, l’eau, l’orphelinat et les affaires sociales. Nous avons été autorisés à intervenir dans ces domaines suite à notre demande et depuis la création de notre ONG. Certes, nombreux sont les domaines où il vaudrait intervenir, mais comme on le dit chez nous ‘’vouloir tout faire, c’est vouloir tout gâcher’’, donc l’ONG Al Farouk s’est basée essentiellement sur ces principaux points qui lui sont prioritaires sans être les seules priorités.
Mais, cela ne veut pas pour autant dire que nos domaines d’intervention sont les seules priorités, non ! Loin de là, mais simplement l’ONG a jugé nécessaire que c’est dans ces différents domaines qu’il faudrait se concentrer et c’est là où elle pourrait également mieux aider les personnes en situation difficile.
Quelles sont vos grandes actions, sinon vos grandes réalisations jusqu’ici ?
Comme je l’ai dit, je ne pourrai pas certainement tout vous dire, mais sur ces quatre domaines, nous avons réalisé des choses. Concernant l’éducation par exemple, nos grandes réalisons ont été, entre autres, la formation de maîtres et d’autres personnes afin qu’ils puissent mieux jouer leurs rôles d’enseignement. Pour moi, l’école est le fondement même de toute nation. Voilà pourquoi nous avons fait de l’éducation notre base en venant en aide à nos enseignants. Qui connaît l’histoire de ce pays, sait comment les gens ont étudié. Il y en a qui ont étudié sous des arbres, d’autres ont étudié sous des hangars, d’autres dans des maisons en banco, ainsi de suite. Mais, il y a toujours quelque chose à améliorer, c’est en ce sens que nous avons décidé d’intervenir dans le secteur de l’éducation. Nous avons organisé des formations continues à l’endroit des maîtres afin d’améliorer leur niveau. Aussi, avons-nous construit des écoles dans les localités où le besoin s’est fait sentir.
Cela dit, nous avons également construit nos propres écoles avec nos idées. Parce qu’une chose est de former les gens, une autre est d’avoir ces propres projets et initiatives, car nous sommes une ONG islamique et la plupart de nos membres ont étudié l’arabe. Donc à un moment, il faut aussi penser à cela. Donc, nous sommes venus en aide à des personnes qui avaient fait leurs études en arabe et qui sont cependant restés avec leurs connaissances à ne rien faire après leurs études, puisque tout simplement la langue officielle de notre pays est le français. On a fait beaucoup de formation en langue arabe et en informatique. Nous avons aussi ouvert plusieurs écoles et des centres de formation dont le nombre se lève aujourd’hui à plus de quinze établissements.
Maintenant la santé !
Comme l’éducation, la santé aussi fait partie de nos priorités. Dans ce secteur, nous avons orienté nos actions principales vers les villages où nous avons constaté certaines situations qui dépassent notre imagination. Nous nous sommes rendus compte que nombreux sont encore des villages qui n’ont aucun centre de santé aussi petit soit-il. Les femmes ont beaucoup de problèmes lors des accouchements parce que souvent il faut parcourir des dizaines de kilomètres pour trouver un centre de santé, or les moyens de déplacement font généralement défaut dans ces zones-là. Donc, nous avons travaillé à rapprocher ces services sociaux de base des populations locales. Une des innovations dans ce cadre est l’acquisition de motos ambulance qui sont très mobiles et qui ne coûtent pas grand-chose en termes de carburant. Ça consomme de la même manière que les motos ordinaires et tout le monde peut la conduire. Donc, cela a beaucoup aidé les gens dans les milieux ruraux et nous continuons toujours sur cette même lancée dans d’autres localités du pays.
Par ailleurs, nous organisons également des journées de campagnes de santé sur certaines maladies qui sont négligées, mais qui fatiguent les populations. Il s’agit notamment des problèmes de vision. Si je ne me trompe, nous sommes les premiers à avoir organisé ce genre de campagne dans le cadre des soins ophtalmologique. Depuis très longtemps, nous avons organisé de grandes campagnes de soins pour aider les gens parce que ce n’était pas une maladie compliquée, mais seulement les populations ne savaient pas quelle prévention il fallait.
Au départ, ces campagnes étaient menées à Bamako et ne concernaient que 150 à 200 personnes par campagne. Mais ces dernières années, elles se déroulent sur l’ensemble du territoire national et plus de 2 000 personnes bénéficient désormais de nos soins ophtalmologiques. Parce qu’il faut aller soigner tous ceux qui n’ont pas le moyen de se déplacer jusqu’à Bamako. Chaque année, nous partons un peu partout au Mali, surtout dans les campagnes et grâce à nos partenaires qui mettent des médecins à notre disposition. Toujours dans le cadre de la santé, nous avons un nouveau projet de campagne pour l’opération des personnes souffrant du cœur et dont le coût s’élève à plus de 5.000.000 de francs CFA dans notre pays. C’est une grosse somme que peut-être même 1% de la population ne peut pas supporter. Cette campagne est en cours de préparation et nous y reviendrons au moment opportun. Nous aidons aussi les hôpitaux qui sont souvent confrontés à des problèmes d’eau.
Sur ce point, nous avons doté plusieurs hôpitaux du Mali d’eau potable. Nous avons réalisé des puits et des forages dans les villages qui étaient dans le réel besoin et aujourd’hui, nous sommes à plus de 1000 puits à travers le pays.
L’orphelinat !
Parmi toutes nos actions, celle adressée aux orphelins nous tient à cœur. Vous savez que partout au monde, les orphelins tout comme les personnes vivant avec handicap ont fortement besoin d’Assistance humanitaire. C’est l’une des recommandations de l’islam d’ailleurs. Voilà pourquoi nous multiplions nos actions en faveur de ces personnes.
De nos jours, ils sont plus de 2 500 orphelins qui bénéficient de notre aide grâce à nos partenaires. En tout, nous dépensons dans ce cadre plus d’un milliard de francs CFA chaque année. Ces chiffres sont vérifiables, car nous avons ouvert un compte bancaire au nom de chacun de ces orphelins. Nos partenaires versent l’argent tous les quatre mois. Pour ces orphelins, nous avons trois ONG à l’étranger qui nous soutiennent. L’ONG Al Farouk ne s’occupe pas seulement des orphelins en leur donnant de l’argent, mais nous les prenons en charge pour qu’ils puissent non seulement réaliser leurs rêves, mais également qu’ils puissent mettre en pratique leurs capacités et savoir-faire pour le développement du Mali. Rien que le mois de carême dernier, nous avons dépensé plus de 7 00 millions pour nos orphelins.
Parlant de l’école, vous avez seize écoles à travers le Mali et nous avons constaté la construction d’une grande université au sein de l’ONG Al-Farouk. Quel est le but recherché ?
Comme je l’ai dit, c’est pour aller vers nos idéaux en termes de formation. Nous avons plusieurs filières au sein de cette université. Nous avons l’informatique dont les cours sont dispensés en français. Il y a aussi une filière langue et l’étude islamique dont les cours se font forcément en arabe. Nous avons également ouvert une faculté de droits et de gestions dont les cours sont dispensés en langue mixte, avec 80% de français. Nous acceptons tout le monde en son sein, c’est-à-dire le francophone comme l’arabisant.
Qui sont vos partenaires pour toutes ces activités ?
Nos partenaires viennent de l’étranger, notamment des pays du Golfe. Il s’agit de la Turquie, des Emirats Arabes, du Kowet, du Qatar, du Barein, de l’Indonésie et de l’Angleterre.
Dans ses actions, l’ONG bénéficie-t-elle du soutien du gouvernement ?
Comme vous le savez, il y a deux sortes de soutien, à savoir : soutien financier et matériel. Pour l’instant, l’ONG Al Farouk n’a pas encore bénéficié d’aide financière du gouvernement malien, même si nous espérons l’avoir un jour. Mais, ce qu’il faut comprendre, c’est que nous ne payons ni impôts ni taxes pour nos matériels qui viennent de l’extérieur. De ce coté, il nous aide.
Toutefois, nous avons mis en place une nouvelle forme de parrainage des orphelins qui consiste à soutenir un orphelin en le prenant en charge sur place, soit en lui donnant chaque mois 25 000 F CFA ou alors celui qui peut construire une classe, une mosquée, ou même creuser un puits, nous avons fixés des prix à cet effet. C’est une initiative personnelle, car il faut que chaque Malien comprenne que chacun a son rôle à jouer dans le cadre de la solidarité à l’endroit de son prochain, comme on a l’habitude de dire chez nous : « Des fois, un franc vaut plus que cinq mille francs».
Par ailleurs dans le cadre des projets à mains libres, nous avons d’autres grands projets en tête comme la construction de grands hôpitaux ou encore des salles de dialyses, car l’idée de me dire qu’il n’y a qu’une salle de dialyse pour tout le Mali est incompréhensible. Donc ici, nous lançons un appel à tous les Maliens de faire ce qu’ils peuvent pour que cette situation change. Peut-être qu’il y a des gens qui veulent aider ces personnes en situation difficile, mais il est aussi du rôle des ONG et des leaders de la société d’inviter et d’inciter les bailleurs vers ce secteur.
Monsieur le directeur général, vous avez été enlevé le 4 septembre 2018, puis relâché et des enquêtes ont été ouvertes. Où en sommes-nous avec le dossier aujourd’hui ?
C’est une chose dont je me suis réservé de parler. Mais si vous insistez, je serai obligé d’effleurer le sujet. Moi personnellement, j’ai mis mon enlèvement sur le coup du destin. Vous savez, Dieu teste souvent le degré de la foi et de la croyance de chaque individu. Peut-être, c’est Dieu qui l’a voulu ainsi et je tiens à le remercier de m’avoir permis de sortir sain et sauf de cette situation, car j’aurais pu y perdre la vie. Mais si cela ne s’est pas produit, c’est tout simplement parce qu’il ne l’a pas voulu. Donc, moi je ne peux que lui remercier, car je ne suis qu’un simple humain mortel qui cherche à être meilleur de jour en jour.
Si à chaque effet il y a une cause, pour ma part, je ne connais pas la cause de mon enlèvement, encore moins les personnes qui en sont responsables. Mais, ils ont été arrêtés, le responsable et quatre complices. Parmi ces quatre complices, deux ont été relâchés puisque l’enquête a révélé qu’ils n’étaient pas impliqués dans le coup.
J’en profite donc pour dire un grand remerciement à tous les Maliens qui, de près ou de loin, ont fait de bénédictions pour moi, car ce fut un moment où je me suis senti apprécié et soutenu par le monde entier.
Votre mot de la fin !
Que chacun fasse du bien, rien que du bien !
Interview réalisée par Amadou Basso et Fatoumata Dicko Diako
Source : Ziré