Pour appliquer la convention relative aux droits des enfants, le gouvernement a entrepris d’adapter la législation nationale, mais des réalités comme la faible scolarisation ou encore le mariage précoce viennent rappeler l’étendue des progrès attendus
Notre pays, à l’instar de la communauté internationale, célèbre ce vendredi le 26e anniversaire de la convention relative aux droits de l’enfant. Cette année le Mali a retenu comme thème : « Un système de protection renforcé pour zéro tolérance aux violences faites aux enfants ». Le choix de ce thème se justifie par le fait que les enfants, victimes de violence, sont dans leur immense majorité abandonnés sans protection, ni soins. Les violences qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles, émanant de membres de la famille ou institutionnelles, sont une atteinte grave à leurs droits, à leur dignité et à leur intégrité physique et psychique.
Il y a donc 26 ans que le monde entier a fait une promesse aux enfants de faire tout ce qui est possible pour affirmer, protéger et promouvoir leurs droits de survivre, de grandir, d’apprendre, de s’épanouir, de faire entendre leurs voix et d’atteindre leur plein potentiel. Le 20 novembre est donc un jour particulier pour les enfants car c’est non seulement la Journée internationale des droits de l’enfant mais aussi la date anniversaire de la signature de la Convention relative aux droits des enfants (CDE). A l’occasion de la célébration cette journée, le ministère en charge de l’enfant et les partenaires intervenant dans le domaine de l’enfance travaillent à sensibiliser pour prévenir les violences faites aux enfants.
Après 26 ans de mise en œuvre de la CDE quelle est la situation des enfants maliens ? Malgré les politiques volontaristes des dernières années, la situation des enfants au Mali reste difficile pour une majorité qui continue à faire face aux défis de la santé, de la scolarisation… Malgré l’adoption de textes législatifs et réglementaires, la discrimination persiste pour certaines catégories d’enfants : moindre scolarisation des filles, faible accès des enfants de moins de 6 ans aux structures de développement de la petite enfance, aux services sociaux essentiels. Il faut également noter la persistance d’us, coutumes et traditions néfastes, notamment l’excision, le mariage forcé et précoce qui font obstacle à la pleine réalisation des droits et libertés fondamentaux des enfants.
Le rapport d’évaluation (2008) du plan d’action 2002-2006 présente une situation mitigée en ce qui concerne les progrès accomplis en matière de promotion des droits de l’enfant au Mali. Ainsi, dans le domaine de la survie, avec les activités de consultations prénatales (CPN) et les accouchements assistés, le constat est que les indicateurs de santé sont en nette croissance. Mais d’une région à une autre, la situation présente des contrastes.
Dans le domaine du développement, les principaux indicateurs de l’éducation ont connu une évolution positive entre 2002 et 2006, mais l’écart entre garçons et filles continue de persister. En ce qui concerne le domaine de la protection, le rapport précise que les enfants nécessitant des mesures spéciales de protection ne sont pas dans une situation des plus attrayantes au regard de certaines pratiques : travail des enfants, mendicité des enfants, etc.
S’agissant enfin du domaine de la participation, le rapport d’évaluation relève que la participation de l’enfant est structurée dans des institutions comme le Parlement des enfants, les Gouvernements d’enfants dans les écoles, etc. Mais, en dehors de ces cadres organisés, la participation des enfants reste problématique.
FACTEURS DE VULNERABILITE. Le tableau des violations des droits de l’enfant a été un peu plus assombri par la crise institutionnelle et sécuritaire de 2012. Les progrès effectués dans la promotion des droits de l’enfant ont été sérieusement entamés par la multiplication des cas de violation, mais surtout par l’avènement de nouvelles formes de vulnérabilités. Même si les données actuelles disponibles ne permettent pas d’analyser de façon précise et efficace les facteurs de vulnérabilité de l’enfant. Il s’y ajoute que la problématique de l’enregistrement à la naissance reste entière. Ainsi, 51% des enfants de moins de 5 ans sont officiellement enregistrés, mais ce taux varie de 41% pour les enfants des ménages pauvres à 71% pour ceux des ménages riches. Les principales raisons tiennent à l’insuffisance des services d’état-civil (notamment en zones rurales) et à la non-application des procédures légales et de la gratuité de l’acte de naissance.
Ce constat alarmant a suscité des efforts remarquables de notre pays au plan institutionnel, juridique, social et culturel pour promouvoir et faire respecter les droits de l’enfant. Il faut, à cet effet, citer l’adoption des textes réglementaires et juridiques, la création des institutions d’accueil, d’hébergement et d’écoute pour enfants, les écoles maternelles et primaires sans parler de nombreux programmes en faveur des enfants.
Ayouba N’Goulalé, conseiller technique chargé de l’enfant au ministère de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille, explique que la ratification de la CDE marquait la volonté de notre pays à faire de la promotion de l’enfant un axe prioritaire du développement du pays. Cela se réaffirmera avec l’adoption en 1992 du Plan d’action pour la survie, le développement et la protection des enfants, la ratification du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants et le Protocole sur l’implication d’enfants dans les conflits armés.
Notre interlocuteur attire aussi l’attention sur le fait que la législation nationale a été améliorée avec de nouvelles lois, telles que celle portant sur la minorité pénale et l’institution de juridictions pour mineurs qui a intégré les principes directeurs de l’administration de la justice pour mineurs. « Au plan institutionnel, des actions ont été menées. Ces actions ont concerné l’adoption de politiques et programmes et la création et le renforcement des structures publiques de promotion et de protection des enfants », a souligné Ayouba N’Goualé.
Toujours dans le cadre de l’application de la CDE, au cours de la période 2006-2012, des mesures et actions ont été entreprises tant sur le plan juridique que politique. Il faut souligner que le cadre juridique de la promotion et de la protection des droits de l’enfant a connu une amélioration avec l’adoption en décembre 2011 du Code des personnes et de la famille. Ce code reprend pour l’essentiel les principes énoncés dans les autres textes de promotion et de protection de l’enfant adoptés ou ratifiés par le Mali. Il comporte, selon notre interlocuteur, des dispositions visant à protéger l’enfant dans son intégrité physique.
Dans le cadre de la justice pour mineur, la loi n° 2011-037 du 15 juillet 2011 portant organisation judiciaire du Mali, en créant 53 tribunaux pour enfants, répond à un souci du gouvernement de se conformer aux conventions internationales auxquelles il a souscrit en matière de justice pour mineurs, notamment la création de juridictions spécialisées pour mineurs. Le défi réside à ce niveau dans l’effectivité de cette loi, notamment la fonctionnalité des juridictions prévues.
Sur le plan économique, Ayouba N’Goualé souligne la création d’un compte d’affectation spécial baptisé Fonds d’appui à l’autonomisation de la femme et à l’épanouissement de l’enfant (FAFE), alimenté par une subvention de l’Etat, la contribution des collectivités territoriales et des partenaires techniques et financiers, les intérêts des prêts consentis aux femmes, les dons, legs et ressources diverses.
OBSTACLES. Aux plans sous-régional et international, le Mali a souscrit à d’autres textes, visant à promouvoir les droits des enfants. Dans le domaine politique, la période 2006-2012 a enregistré l’adoption de plusieurs mesures politiques et programmes visant la promotion et la protection des enfants au Mali. Document de référence national, le Cadre stratégique pour la croissance et la réduction de la pauvreté (2012-2017) prend en compte la promotion et la protection de l’enfant en accélérant la mise en œuvre des OMD à travers un développement inclusif basé sur la réduction de la pauvreté et des inégalités.
Cependant, l’examen du dispositif juridique interne révèle de nombreuses contraintes qui font obstacle à l’effectivité des lois et règlements régissant la protection de l’enfant. Pour les enfants vulnérables, les contraintes d’ordre juridique sont accentuées par des considérations culturelles et une perception sociale négative des phénomènes. Sur le relèvement et l’uniformisation de l’âge du mariage dans le Code des personnes et de la famille, les attentes n’ont pas été comblées. Ce texte, dans son article 282, dispose que « l’âge minimum pour contracter un mariage est fixé à dix-huit ans pour l’homme et seize ans pour la femme ». En plus, beaucoup de conventions, déclarations et autres principes directeurs internationaux adoptés par le Mali, n’ont pas encore été convenablement transcrits dans la législation nationale.
Des concepts comme l’excision, la prostitution, le tourisme sexuel, la traite des enfants à des fins sexuelles, l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales ne font pas encore l’objet de dispositions spécifiques dans le Code pénal. Il faut aussi déplorer que malgré leur rôle essentiel dans l’adoption et la mise en œuvre des mesures spéciales de protection des enfants, les parts des ministères en charge de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille, du Travail et de l’Action humanitaire dans le budget national demeurent faibles avec respectivement 0,30% et 1,20%, soit un total de 1,50% pour les deux départements.
Il s’y ajoute une insuffisante participation du secteur privé dans la promotion et la protection des enfants. La Responsabilité sociale des entreprises (RSE) doit amener celles-ci à promouvoir les droits de l’enfant.
La Politique nationale de promotion et de protection de l’enfant (PNPPE), adoptée par notre pays en juillet 2014 pour la période de 2015-2019, ambitionne de contribuer à créer un environnement (juridique, institutionnel) favorable à la promotion et à la protection de l’enfant en bâtissant un consensus national au profit du développement intégré de l’enfant.
Ce document de référence rectifie ainsi le tir en matière de la protection des enfants en situation de mobilité. La mobilité des enfants a été longtemps confondue avec la migration. Elle était exclusivement abordée à travers la dimension traite, alors que celle-ci n’est qu’un aspect de la mobilité. Selon le directeur national de la Promotion de l’enfant et de la famille notre pays peut désormais apporter des solutions adéquates au traitement de ce phénomène.
Le constat établit que les progrès se poursuivent dans les domaines de la survie et de la scolarisation des enfants. Cependant, il faut aussi noter avec regret que les mêmes défis reviennent, notamment dans la lutte contre les violences faites aux enfants.
La crise de 2012 au Mali a non seulement accentué les pratiques de violences, mais également montré les limites de la capacité technique et organisationnelle du gouvernement et de ses partenaires à faire face aux situations d’urgence. Les réflexions et actions, actuellement en cours, s’attèlent à tirer les leçons de ces insuffisances qui font partie des défis à relever.
Le gouvernement est persuadé que le bien–être des enfants passe nécessairement par l’application effective des dispositions de la CDE. Les politiques et programmes nationaux de développement en cours s’inscrivent dans cette vision.
M. A. TRAORE
Source : Essor