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Dr Aly Tounkara, socio-anthropologue : «Tant que la culture et la religion domineront, l’émancipation des femmes prendra encore du temps»

Après des décennies de combat, les conditions de la femme ont un peu changé. Au Mali, le poids de la culture et de la religion constitue la principale contrainte, a affirmé Dr Aly Tounkara, Socio-anthropologue de son état, au cours d’une interview réalisée le vendredi 8 mars. Pour faire bouger les lignes, il propose à cet effet une autre lecture des deux pesanteurs (la culture et la religion).  Interview !

Azalaï-Express: Comment vous évaluez  le combat de la femme malienne pour son émancipation ?

Dr Aly Tounkara : Le combat de l’émancipation de la femme dans le contexte malien n’est pas fameux. Je ne dirai pas mitigé, mais pluriel, dans la mesure où il faut saluer certaines avancées observables çà et là, notamment sur le plan politique et l’ouverture de certains postes de responsabilité aux femmes. De plus en plus, on a des femmes officiers dans l’armée, on a des femmes ministres, des députées. Malgré ces différentes avancées dans divers champs, il faut reconnaître et rappeler que la femme malienne, en particulier, et la femme africaine, de façon générale, est butée à des difficultés d’ordre culturel, d’ordre religieux.  Quand on prend une famille, au Mali, on s’aperçoit quand même dans l’imaginaire collectif vis-à-vis de l’être féminin, il conçoit la femme comme étant un être soumis, un être inabouti.  Ce sont ces perceptions qui rythment l’éducation que les différentes familles proposent  à l’être féminin. Alors, naturellement, parler d’une quelconque équité dans une société où la pesanteur culturelle est aussi dominante, il va de soi que l’être féminin continue de souffrir de celles-ci.

Que dire alors des autres pesanteurs comme la religion ?

On a du mal à faire un maillage entre ce qui est du culturel, du religieux et du moderne. Ainsi, si on regarde le droit positif, les deux religions dominantes (l’Islam et le Christianisme), et les pratiques culturelles, on peine à établir les ponts. Dans la constitution malienne, l’égalité est établie entre les sexes. Idem pour les conventions ratifiées par le Mali. Ces avancées sont tout à fait notoires. Mais entre ce qui est signé et ce que des religieux commentent, il y a de grandes contradictions. On se demande si on est dans le même pays.

La contradiction est à quel niveau ?

Beaucoup de religieux maliens, notamment musulmans, seraient dans la lecture textuelle du statut de la femme. Pour ces derniers, une femme est un être soumis selon le référent musulman, un être sensé obéir à son mari. En faisant une grille de lecture textuelle et rigoureuse du Coran, on finira par légitimer le statut inférieur de la femme et les questions d’inégalité dont on parle entre les hommes et les femmes. Or, il y a une lecture nuancée ; même si elle reste marginale dans le contexte malien qu’on pourrait qualifier de lecture réformiste qui gagne de plus en plus le monde musulman, de façon générale. Laquelle lecture appelle à plus de prudence. Elle demande à bien contextualiser, à la limite même de tenir compte des circonstances dans lesquelles les différents versets ont été révélés. De ce fait, on s’aperçoit que les Oulémas seraient un peu enclins à s’intéresser à  cette forme de lecture appelée lecture réformiste. Ce qui fait que le droit positif et le référentiel musulman sont contradictoires parce que les Oulémas sont dans la textualité de la lecture.

En plus de cet aspect, il y a également la difficulté de concilier le droit et les pratiques culturelles. Le législateur malien peine à faire en sorte que le droit positif malien puisse avoir un ancrage dans le référentiel culturel. Je pense que ce travail n’a pas été sérieusement accompli par l’Assemblée nationale. Tous les débats qui ont eu lieu entre 2009 et 2010 constituent des témoignages éloquents que le législateur serait en déphasage avec les attentes normatives des sociétés notamment rurales. Il me paraît important que le culturel et l’institutionnel doivent pouvoir s’accommoder.  En derrière instance, je pense que dans une nation, c’est l’institutionnel qui doit avoir la prééminence non seulement sur le religieux, mais également sur le culturel. Or, dans le cas précis du Mali, on s’aperçoit que la religion et le culturel ont une prééminence sur l’institutionnel. Et ce dernier a été fragilisé par les deux autres univers. C’est toute la difficulté pour saisir réellement le statut de la femme.  Tant que la culture et la religion domineront, l’émancipation des femmes prendra encore du temps.

Est-ce que dans le contexte où l’institutionnel a été fragilisé par d’autres univers, comme vous venez de déclarer, peut-on s’attendre à une émancipation réelle de la femme ?

Ça va être compliqué parce que l’environnemental a une incidence sur l’institutionnel. A un moment donné, il faut avoir le courage de comprendre que des cultures ont des choses en elles, qui sont négatives. Lorsque les cultures sont perçues comme toute faite, bonne en soi ; il va de soi qu’on va être buté à toute initiative de changement. Ce qui est important dans le contexte malien, c’est que les cultures sont des construits humains. Par contre, les Maliens perçoivent les cultures comme des choses naturelles, des choses immuables. Or, les cultures sont appelées à être changées avec la possibilité de s’adapter et d’abandon. Cela est loin d’être consenti au Mali. Fondamentalement, pour qu’il y ait un changement, il faut qu’on comprenne déjà qu’une culture est construite et est une œuvre humaine.

Par ailleurs, ce combat demande un courage politique. On ne peut être dans les logiques électoralistes ou dans les logiques d’économistes et vouloir porter atteinte à des pratiques chères.  On ne peut s’attaquer réellement à ces pratiques culturelles que lorsque l’on arrive à faire comprendre qu’elles constituent des construits humains et de faire comprendre que l’islam ou le texte sacré ne connaît pas une seule lecture, mais il y a plusieurs lectures.

Contrairement à ce que vous dites, il y a pourtant plusieurs acteurs qui soutiennent que la femme malienne avait plus de droits autrefois que maintenant. Les défenseurs de cette thèse font référence à la charte de Kurukanfugan. Que répondez-vous ?

Les gens sont dans la nostalgie de l’histoire. Ce n’est pas du réel. C’est vrai quand on parcourt la charte de Kurukanfugan, il y a des chapitres entiers qui sont consacrés à la dimension féminine. Ça prouve combien le Manding était en avance sur ces sujets-là. Mais quand on questionne la vie réelle, on s’aperçoit  qu’on est plus dans la nostalgie que dans la réalité. Si on prend le champ décisionnel, j’imagine que depuis les Soundiata, la manière dont les hommes avaient accès à la décision n’était pas pareille chez les femmes. Dans le domaine religieux, on n’a pas le même statut vis-à-vis du sacré. C’est pour dire qu’il ne faut pas trop succomber au charme du simplisme et dire que le Mali d’antan avait accordé plus de places à la femme. En faisant référence à cette époque, les femmes ont toujours eu des difficultés ou des soucis pour s’émanciper quelles que soient les périodes et quelles que soient les époques.

Et maintenant, on ne peut nier les avancées enregistrées çà et là en faveur de l’émancipation des femmes. Depuis 1990, on assiste à une émergence d’associations d’obéissance féminine un peu partout au Mali. Ces structures continuent fort heureusement à faire bouger des lignes.  Elles font des actes qui sont parfois très salutaires en faveur de l’être féminin. Alors, on ne peut pas tout résumer à la charte de Kurukanfugan. Franchement, dans le Mali d’aujourd’hui et d’hier, il faut se rendre compte qu’il y a toujours des difficultés. Je ne pense pas si au Manding les femmes avaient voix au chapitre de la même manière que les hommes. De la même manière quand on questionne les avoirs économiques, les écarts sont importants entre les femmes de ces deux époques. C’est pour dire qu’on doit faire attention parce que chaque époque a ses réalités. Le pouvoir économique de la femme prouve suffisamment combien les femmes sont sur la touche pour la plupart des cas. Toujours est-il qu’il faut travailler sur les clichés et les préjugés.

Depuis quelque temps, on est dans la mondialisation du combat d’émancipation de la femme de façon générale. Est-ce qu’on peut s’attendre que la femme malienne ait peut-être le même droit que la femme française par exemple ? C’est l’une des inquiétudes de certains hommes maliens.  

Il ne faut pas s’inscrire dans les dynamiques comparatives parce que les sociétés ont des réalités différentes. Quand vous prenez le contexte français, ça va beaucoup surprendre l’Africain, tous les trois jours, une Française meurt sous le coup de son mari ou de son compagnon. C’est dire à combien la France elle-même n’est pas exemplaire en matière d’équité entre les deux sexes.  Je pense que beaucoup d’Africains l’ignorent ; la France est le pays le plus critiqué en matière de violences faites aux femmes. Or, on pense que tout est rose chez eux. Mais, dans d’autres domaines, les Françaises ont plus de choix de s’orienter. Et l’administration française est plus féminine que masculine. Ce sont des avancées réelles en France. Mais l’autre revers de la médaille constitue les violences dont les femmes font l’objet. Lorsqu’on prend la condition des femmes, reconnaissons d’emblée qu’elle n’a pas de frontière. L’émancipation n’est pas qu’un problème occidental, ce n’est pas qu’un problème américain. Elle n’est pas qu’un problème français. C’est un problème partageable à l’ensemble de la planète sinon que chaque pays a ses particularités en parlant de l’émancipation.  En dépit de la particularité, il y a un dénominateur commun qui consistera à dire que partout, l’être féminin est considéré comme un être soumis, qu’on soit à Bamako, qu’on soit à Pékin, qu’on soit à Djakarta ou qu’on soit à Koulikoro. Cela est un fait.

Par ailleurs, pour ceux qui suivent l’actualité et le monde arabe, il y a 6 jours, le grand recteur de l’université d’Al-Azhar a dit que la question de la polygamie est à relativiser. Il trouve que la polygamie pourrait être une gêne pour la femme et ses enfants. Al-Azhar est l’une des institutions sunnites  les plus légitimes en matière de jurisprudence musulmane. C’est dire que même dans les pays arables, le problème est sérieusement posé. De la même manière également, dans la zone arabique de plus en plus les femmes sont autorisées à conduire, les femmes votes. Bientôt, elles seront candidates. Donc, le problème n’est pas que malien, français, saoudien ou iranien.

Cependant, il est injuste que le combat de l’émancipation soit un complot de l’Occident. Je reconnais que cette lutte a commencé ailleurs et cela ne veut pas dire que ce ne sont pas nos réalités.

L’actualité au plan international c’est aussi le débat de féminiser certains mots. Est-ce que ce changement est à même d’évoluer le combat de l’émancipation de la femme ?

Le problème ne réside pas dans l’appellation grammaticale. Ça me parait marginal dans ce combat. Le fait de dire la ministre ou la députée ne changera pas grande chose. Le plus important, c’est de travailler sur le sociologique. Pour faire bouger les lignes, il faut s’attaquer aux origines du phénomène qu’aux conséquences. Et les origines du phénomène sont, entre autres, le familial, le culturel, le religieux mal compris, le politique populiste.

Par Sikou BAH

Source: Azalaï Express

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