La gouvernance des États démocratiques modernes semble être difficile entre les mains de ses détenteurs. Chacun est responsable de cette situation. Chaque citoyen, pris individuellement, attend que l’État fasse son bonheur. Incapable de cela, aucun régime ne reçoit pratiquement plus d’honneur auprès des citoyens. Les cris augmentent d’année en année. Ce problème relève du fait que l’homme soit un être de remords.
Le remords est ce qui caractérise la vie de l’homme, cet être du passé, du présent et du futur. Toute l’instabilité de l’homme relève de ce problème qui consiste à toujours vouloir ce qu’il a déjà perdu ou ce qu’il n’a pas encore. Le plus grand malheur de l’homme, c’est d’avoir perdu ce qu’il possédait, mais qu’il considérait comme mauvais ou insuffisant. Son malheur est aussi de toujours vouloir ce qu’il n’a pas encore. Notons que c’est cette même attitude qui est à l’origine de l’hypocrisie ou de l’égoïsme de cet être, rendant ainsi la vie en société plus difficile. Poser la question du bonheur de l’homme, voire du bonheur de nos États, c’est oublier cette énigme : heureux, il est malheureux ; malheureux, il est heureux. Dans le présent, il regrette le passé ; dans le passé, il aspire au présent. Cette admiration au nouveau, cette volonté de saut dans l’inconnu, constitue le vrai malheur de l’homme, voire de nos sociétés.
Voilà trouvé l’un des problèmes majeurs dont souffrent la plupart des sociétés modernes et notamment démocratiques. Cette énigme que comportent les citoyens ne peut jamais permettre l’instauration d’un climat de stabilité totale dans nos États. Tout ce que nous pouvons entreprendre dans ces circonstances comme solution devient un nouveau problème. Nous nous retrouvons ainsi dans ce que Renée Bouveresse appelle chez Karl Popper, un intellectuel anglais du 20e siècle, la « dialectique des problèmes » où la résolution de chaque problème donné aboutit à un autre plus complexe. Cette attitude nous fait balancer également dans cette théorie politique d’Étienne Tassin, à savoir « l’énigme de la politique » ou encore l’ « imprévisibilité de la politique ». Chaque loi, chaque décision prise dans nos États comme solution à des problèmes bien précis au sein de nos démocraties est appelée à être source de remous, lesquels sont résolus par des lois ou des décisions qui se voient également remises en cause. Cette procédure n’a pas de fin, elle se poursuit in infinitum.
L’histoire du Mali peut servir dans ce cadre à tous les esprits avertis comme exemple. De l’indépendance à nos jours, tant de présidents se sont succédé à la tête de l’État. Les citoyens ont eu à se plaindre sous le règne de chacun d’eux en réclamant la venue d’un autre homme en qui ils plaçaient leur bonheur. De déception en déception ; d’espoir en espoir ; nous nous sommes retrouvés là où nous sommes aujourd’hui. Malheureusement, la même attitude continue à s’emparer d’eux. Ils sont toujours victimes de cette énigme.
Il est temps qu’ils arrivent à la compréhension que l’État providence n’est pas susceptible d’arranger la situation. Jacques Rancière, intellectuel français, ne nous a-t-il pas appris à la suite de Karl Popper que le bonheur collectif est inaccessible dans la mesure où tous les citoyens ne placent pas leur bonheur dans les mêmes objets ? C’est dû à cette difficulté d’ailleurs que Popper recommandait de jouer à cette politique mécanique consistant à agir au « coup par coup », c’est-à-dire agir sur les maux réels de la société « Social engineering ». Ces conceptions doivent être consommées par les dirigeants ainsi que par les citoyens des pays démocratiques. La stabilité tant recherchée dans nos États ne sera pas un acquis tant que nous n’arrivions pas à la compréhension qu’un seul et unique homme (dirigeant) n’est pas susceptible de faire le bonheur d’une multitude d’hommes (citoyens). Alors, que chacun remplisse son devoir et garde confiance en ceux que la « volonté générale » a fait porter au pouvoir. Cela pourrait nous permettre de canaliser nos remords qui constituent nos malheurs, ceux de nos États.
Fousseni TOGOLA
Source: Le Pays