Après la signature du protocole d’accord entre le gouvernement et les syndicats signataires du 15 octobre 2016, le 18 mai 2019, et la reprise officielle des cours ce 20 mai 209, la question qui taraude actuellement les esprits, c’est surtout comment sauver l’année scolaire ?
Le ministre de l’Education nationale, Dr Témoré Tioulenta, après la signature de ce protocole d’accord, a affirmé avec assurance que toutes les dispositions sont déjà prises pour permettre la poursuite de l’année scolaire. Ce qui est sûr, le seul moyen pour aboutir à cela sans empiéter sur l’année scolaire à venir, c’est de sacrifier une bonne partie des vacances. Mais si ce mécanisme est possible à Bamako et peut-être dans les capitales régionales, dans le milieu rural, cela n’irait pas sans problème. Du côté du ministère de l’Education nationale, l’on apprend que les examens de fin d’année sont prévus fin juin pour le DEF et fin juillet pour le Baccalauréat et les autres épreuves.
Une chose est sure, dans la plupart des villages agricoles, l’école et le champ ne vont jamais ensemble. Dans ces différentes localités, l’école reste toujours relayée au second plan au profit du champ et cela dès la tombée des premières pluies annonçant le début de l’hivernage. C’est le cas dans le village de Kankarana, situé dans la commune rurale de Kofan, cercle de Sikasso. Dans ce village, l’activité principale est l’agriculture. Ainsi, à partir du 15 mai, les enfants sont obligés de déserter l’école au profit des champs, sous la pression de leurs parents.
Choisir entre l’école et le champ !
Nous avons pu joindre par téléphone le Secrétaire général du Comité de Gestion Scolaire (CGS) du village de Kankarana, Fousseny Diarra. A la question de savoir les préjudices sur les champs, si le gouvernement décidait de sacrifier une partie des vacances afin de sauver l’année scolaire, il a répondu sans ambages :« Ce sera très difficile et un coup dur pour les parents. Vous savez, ici il y a des familles dont les bras valides ne sont que des enfants, donc des élèves. Faut-il accepter de les garder à l’école pour le reste de l’année et ne rien cultiver au champ ? Je pense que ce serait une décision de trop. Parce que pour aller à l’école, il faut d’abord manger. Du coup, si les vacances doivent être sacrifiées dans le but de sauver l’année, je pense qu’à Kankarana comme dans beaucoup d’autres villages agricoles, les élèves et leurs parents vont devoir choisir entre l’école et le champ.»
Selon lui, le 15 mai déjà, certains élèves sont contraints de rejoindre leurs parents au champ. « Parce que vous trouverez que dans certaines familles, il n’y a que le papa et les enfants. Donc pour faire bouger les choses au champ, le papa est obligé de faire appel à ses enfants qui, aussitôt, tournent le dos au reste de l’année scolaire. Cette situation est récurrente dans des villages agricoles, car les rivalités entre les familles font qu’aucun chef de famille ne veut être le dernier du village », a-t-il ajouté.
Les enseignants boudés !
Selon le directeur de l’école fondamentale de Kankarana, Seydou Barry, que nous avons également joint par téléphone, dès que les premières pluies commencent à tomber, les élèves échappent au contrôle de leurs enseignants. « C’est une période où nous ne pouvons plus maîtriser nos élèves. Il arrive souvent que, depuis la direction, nous voyons les élèves traverser la cour de l’école pour aller dans les champs, sous l’ordre de leurs parents. À ce moment-là, nous ne pouvons rien faire. Parce que nous avons, à plusieurs reprises, discuté la question avec le Comité de Gestion Scolaire (CGS) et avec quelques parents d’élèves sans trouver de solution. La vérité, c’est qu’en cette période, les parents priorisent les champs, ils préfèrent que, pour cela, leurs enfants quittent l’école. Face à cette situation, nous ne pouvons que continuer à dispenser le reste du programme de l’année aux quelques uns qui vont continuer de venir suivre les cours. Là encore, il n’est pas évident d’avoir les mêmes élèves dans la même journée. Certains viennent le matin et le soir l’on ne les voit plus, mais plutôt d’autres qui ont fait deux ou trois jours sans venir. Mais, nous sommes obligés de faire avec, car c’est une période où la situation nous échappe complètement », a-t-il témoigné.
Relevant du Centre d’Animation Pédagogique (CAP) de N’Kourala, Académie de Sikasso, l’école fondamentale de Kankarana comprend aujourd’hui 249 élèves dont 94 garçons et 155 filles.
A Gesso dans la commune rurale de Diaramana, cercle de Bla, c’est le même constat. Nous avons eu par téléphone Madou Koné, professeur d’anglais à l’école fondamentale de Gesso. Il témoigne : « Prendre une partie des vacances pour sauver l’année scolaire est pratiquement impossible chez nous. Chaque année au mois de mai déjà, les parents obligent leurs enfants à quitter l’école pour les travaux champêtres. Ce qui est sûr, cette année, les enfants vont aussi abandonner les classes dès qu’il va commencer à pleuvoir. De même, la particularité est que beaucoup de chefs de familles sont toujours dans les mines d’or laissant leurs femmes seules au village. Donc, c’est pour vous dire que dès les premières pluies, les enfants seront contraints d’aller cultiver aux côtés de leurs mamans. Cette option ne peut être possible à Gesso que si l’Etat s’engage à apporter des vivres aux populations l’année prochaine. Parce que dans ces conditions, il n’y aura pas de travaux champêtres dans les familles dont les bras valides ne sont que des enfants.»
La détresse des parents d’élèves !
En attendant le début de l’hivernage et la décision finale du gouvernement visant à sauver l’année scolaire, les parents d’élèves se trouvent dans un moment de détresse. Nous avons pu également joindre Drissa Sogoba, chef de famille à Dossorosso, commune rurale de Samabogo dans le cercle de Bla. Il nous a confié que « maintenir les enfants à l’école jusqu’au mois de juillet ou août est une décision qui sera fatale aux paysans. Une chose est sûre, c’est que beaucoup de chefs de familles ne vont pas accepter de laisser leurs enfants à l’école pendant l’hivernage. Déjà ici à Dossorosso, certains chefs de familles ont commencé à montrer leurs positions tout en laissant entendre : ‘’la grève des enseignants a pris fin, bientôt ce sera celle des paysans’’. C’est-à-dire que si les enseignants ont finalement accepté de reprendre les cours, dès les premières pluies, ce sera le tour des paysans de dire non à l’école et d’envoyer leurs enfants aux champs. »
Au regard de ces différentes réactions, le sauvetage de l’année scolaire est toujours en doute dans le milieu rural fortement dominé par les travaux champêtres. Cela, malgré le retour des enseignants dans les classes.
Ousmane BALLO
Source: Ziré-Hebdo