Premier partenaire commercial de l’Afrique et premier émetteur mondial de CO2, la Chine est-elle un partenaire sur lequel les pays africains peuvent compter dans la crise climatique ? À l’heure de la COP27 à Charm el-Cheikh en Egypte, décryptage avec l’économiste Jean-Joseph Boillot, spécialiste des économies émergentes, chercheur à Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Entretien.
Entretien avec Jean-Joseph Boillot, spécialiste des économies émergentes, chercheur à l’IRIS, “Utopies made in monde : Le sage et l’économiste”, avril 2021 et de “Chinindiafrique : la Chine, l’Inde et l’Afrique feront le monde de demain “, 2013, (avec Stanislas Dembinski), parus chez Odile Jacob.
TV5MONDE : Le président Xi Jinping n’est pas à la COP27 organisée en Afrique, à Charm el-Cheikh en Egypte. Est-ce significatif de la position de la Chine sur les questions climatiques ?
Jean-Joseph Boillot, économiste : De mon point de vue, c’est assez clair. Il faut bien comprendre que le vrai architecte de la solution climatique est le G20. Le sommet de Bali (les 15-16 novembre) est de ce point de vue un rendez-vous beaucoup plus important sur le plan politique.
Du coup, la Chine défend une position que je qualifierais de malicieuse : elle laisse l’Afrique au poste de commande de la COP27. L’Afrique s’est extrêmement bien préparée, elle tient l’essentiel des clés de cette conférence. Avec l’absence de Xi Jinping et d’une délégation chinoise de haut niveau, la Chine va laisser les pays africains jouer sur leur registre sachant qu’ils sont à 80% sur la même longueur d’onde.
Grâce à l’Afrique, le débat s’est déplacé sur le fameux thème des “pertes et préjudices” pour savoir qui doit payer les conséquences désastreuses du changement climatique.
Jean-Joseph Boillot, économiste.
TV5MONDE : En quoi les pays africains et la Chine sont sur la même longueur d’onde ?
Jean-Joseph Boillot : Le premier point est l’inversion des priorités qui ont été jusqu’à présent fixées par les pays développés. Ces derniers avaient mis l’accent sur l’atténuation, à savoir la réduction des émissions de CO2. Dans un second temps, sous la pression des pays émergents, la priorité a été l’adaptation aux changements climatiques.
Finalement, essentiellement grâce à l’Afrique, le débat s’est déplacé sur le fameux thème des “pertes et préjudices” pour savoir qui doit payer les conséquences désastreuses du changement climatique. C’est exactement la position chinoise depuis la première COP de 1995. C’est en ce sens que la Chine et les pays africains sont sur la même longueur d’onde.
Depuis le début, la Chine souligne qu’il y a une responsabilité différenciée dans les émissions de CO2Jean-Joseph Boillot, économiste.
Depuis le début, la Chine souligne qu’il y a une responsabilité différenciée dans les émissions de CO2. Donc, les pays développés doivent les premiers faire l’effort de réduction des émissions de CO2.
Deuxièmement, pour la Chine comme pour les pays africains, il faut que non seulement l’atténuation, mais aussi les dégâts liés à l’accumulation de gaz à effet de serre soient soit pris en charge financièrement par les pays développés de façon beaucoup plus sérieuse.
Enfin, un troisième point de convergence fort est la question de l’utilisation des réserves d’hydrocarbures et notamment de gaz comme énergie de transition. Sur ce point l’Afrique, et notamment le président sénégalais et tournant de l’Union Africaine Macky Sall a décidé d’insister à Charm el-Cheikh pour que l’Afrique puisse continuer à exploiter ses ressources en hydrocarbures. Le faisceau de convergences sino-africain est donc assez grand.
TV5MONDE : Mais les pays africains ne sont pas au même stade de développement et d’industrialisation que la Chine, comment peuvent-ils partager des intérêts communs sur les changements climatiques ?
Jean-Joseph Boillot : En tant que premier émetteur de gaz à effet de serre (GES) dans le monde, la Chine aurait pu apparaitre comme l’accusé numéro un. En réalité, elle a décidé depuis une dizaine d’années de faire un effort considérable de transition énergétique. La Chine a commencé à balayer devant sa porte.
Aujourd’hui, les énergies renouvelables, dont l’éolien ou le solaire sont parmi les grandes priorités du gouvernement chinois. Elle apparait donc vis-à-vis des pays africains comme faisant de son côté les efforts nécessaires alors même que son poids dans les émissions historiques de CO2 sont moitié moindre que celui des Etats-Unis (12,7% contre 25% et 22% pour les Européens).
TV5MONDE : La Chine a promis de ne plus exploiter de mine de charbon à l’étranger, mais elle continue à extraire du charbon en grande quantité sur son territoire ce qui a un impact sur ses émissions de CO2. Est-ce que malgré ses efforts, il n’y a quand même pas une responsabilité de la Chine en tant que premier émetteur mondial ?
Jean-Joseph Boillot : C’est en ce sens que la mise en retrait de la Chine lors de la conférence de Charm el-Cheikh est importante, elle reconnait de facto sa responsabilité considérable dans les émissions de CO2. En même temps, elle a entrepris depuis quelques années une transition vers les énergies renouvelables dont elle est de très loin numéro un dans le monde. Les énergies renouvelables représentent plus du quart de la capacité installée de la production d’électricité en Chine.
En termes de marché – et c’est précisément ce sur quoi elle table -, cela va lui permettre de répondre aux demandes de transition post-carbone partout dans le monde. Les derniers projets de coopération de la Chine sur l’Afrique portent à la fois sur des barrages hydroélectriques mais aussi sur l’éolien et le solaire.
Il y a une sorte de malice du côté chinois pour, en fin de compte, tenter d’apparaître comme l’artisan de la transition énergétique dans les pays pauvres alors même que c’est bien le premier émetteur de GES et qu’elle va le rester longtemps.
Par ailleurs, elle débloque de l’argent au titre des pertes et préjudices. Avec l’Arabie Saoudite, Pékin vient ainsi d’annoncer 14 milliards de dollars pour aider le Pakistan à régler cette crise terrible liée aux inondations. La Chine est elle-même en train de mettre en place un ensemble de financements face aux dégâts causés par les changements climatiques, mais sur un plan bilatéral et à chaque fois pour ses propres entreprises.
Une démarche typique de la Chine qui refuse de passer par les organismes multilatéraux comme la Banque Mondiale et le FMI. Là encore, la Chine apparait à l’Afrique comme un pays qui assume ses responsabilités en débloquant des fonds.
TV5MONDE : Au-delà du cas du Pakistan, la Chine a-t-elle déjà débloqué des fonds pour l’Afrique pour les dégâts causés par les changements climatiques ?
Jean-Joseph Boillot : Sur ce que l’on appelle “les pertes et préjudices”, en dehors du Pakistan, je n’ai pas vu d’autres financements chinois majeurs. Mais on observe qu’à chaque fois qu’il y a une crise en Afrique, c’était le cas du Congo par exemple, la Chine met des financements sur la table, envoie ses équipes de secours, etc.
En fait, la posture des pays africains est exactement celle de la Chine lors de la première COP en 1995Jean-Joseph Boillot, économiste.
Il y a une sorte d’imbrication entre l’agenda des pays africains et la façon dont la Chine se repositionne sur les marchés africains. Durant les années 2000-2020, la priorité était les ports, les mines et les réserves d’hydrocarbures. Depuis 4-5 ans, il y a un glissement progressif sur des thèmes de la transition carbone. Par exemple, la Chine représente maintenant environ 80% du financement ferroviaire en Afrique.
À travers cela, elle veut montrer que cela contribue à la transition énergétique, même si, comme en Ethiopie, les mines de charbon sont la source d’électricité pour ces chemins de fer. Mais par ailleurs, l’hydroélectricité est un secteur extrêmement important en Afrique et la Chine est présente à peu près partout sur ces chantiers.
TV5MONDE : Les pays africains revendiquent le droit d’exploiter leurs mines et ressources fossiles en particulier de gaz pour se développer ? La Chine est-elle légitime à tenir ce même discours ?
Jean-Joseph Boillot : Aujourd’hui non, la Chine étant plus développée que les pays africains. En fait, la posture des pays africains est exactement celle de la Chine lors de la première COP en 1995. A cette époque, elle affirmait très nettement que le développement économique était sa priorité. Elle attendait des pays développés qu’ils fassent l’effort nécessaire en raison de ce que l’on appelle la responsabilité différenciée.
Mais la Chine n’est plus du tout à ce stade de développement, elle est dans une phase très nette de ralentissement de sa croissance. Donc elle soutient la position des pays africains comme étant la sienne il y a vingt ans en arrière. Elle se présente comme un pays intermédiaire mais qui partage avec l’Afrique le même point de vue sur une responsabilité écrasante des pays développés sur les changements climatiques.