Question de foi
Il y a quelques jours une vidéo d’un homme se réclamant du mouvement kémite et qui proférait des propos jugés injurieux contre l’islam a provoqué un tollé au Mali.
Mais qu’est-ce qu’est le kémitisme ?
Vendredi 4 novembre, un acte jugé blasphématoire contre l’islam et posé un homme se réclamant du kémitisme a poussé plusieurs milliers de Maliens à manifester pour exprimer leur indignation. Mais qu’est-ce qu’est le kémistime ?
« Le kémitisme est un mouvement spiritualiste qui promeut le retour aux « sources », c’est-à-dire aux valeurs et croyances ancestrales comme seules conditions pour la renaissance de l’Afrique », explicite le professeur Bony Guiblehon, enseignant-chercheur au département d’anthropologie et de sociologie de l’université de Bouaké et spécialiste des religions.
Le mouvement kémite rejette les religions abrahamiques, qu’il estime importées. L’écrivain malien Doumbi Fakoly donne une idée de la pensée kémite dans son livre « Introduction à la prière Négro-africaine » (1). « Une prière inutile, dégradante et dangereuse est une prière que le Négro-Africain adresse à un Dieu qui n’a pas été révélé par ses Ancêtres, ainsi qu’à des Ancêtres et à des Génies tutélaires d’autres peuples, écrit-il dès le texte de présentation de cet ouvrage. Aussi le Négro-Africain et la Négro-Africaine, sectateurs des Religions juive, chrétienne ou musulmane, perdent-ils un temps précieux à prier à tort et à travers ».
Si les kémites rejettent les religions révélées « ils puisent paradoxalement leurs références autant dans la Bible que dans le Coran mais également aux divinités de l’Égypte antique ou encore aux rastafaris », fait remarquer le professeur Guibléhon.
Repli sur soi
Le sociologue sénégalais Abdou Khadr Sanogo estime, pour sa part, que pour comprendre le kémitisme, il faut faire la différence entre mouvement culturel, secte, religion. Selon cet universitaire, le kémitisme était, à la base, un mouvement culturel qui cherchait à prouver l’interdépendance entre les peuples noirs d’un point de vue idéologique, linguistique et culturel. L’on pouvait alors l’assimiler au panafricanisme et même à la négritude. Cette vision idéologique, selon le chercheur, a évolué en repli sur soi identitaire et spirituel qui en a fait une « secte ».
De ce fait, de nos jours, le kémitisme regroupe « un ensemble de croyances et pratiques qui s’inspirent de la religion polythéiste de l’Égypte antique ». « C’est une forme de résistance aux religions monothéistes mais qui instrumentalise une fibre très sensible qui est celle identitaire » affirme-t-il. C’est là que réside, selon ce penseur, le danger de ce mouvement. « Même, les politiques utilisent le registre identitaire du sentiment anticolonial pour que les populations adhèrent à leur cause », illustre-t-il.
Son collègue ivoirien approuve soulignant que ce courant est « à inscrire plus globalement dans le courant sociopolitique d’un afrocentrisme qui implique le rejet des différents colonialismes qui ont marqué l’histoire de l’Afrique, y comprend sur le plan culturel et religieux ». Aux yeux de ces deux chercheurs, prôner le rejet l’autre et de ses croyances dans un mode multiculturel marqué par de nombreux brassages est une aporie. « Se replier sur soi et revendiquer des croyances ancestrales dans un monde d’interdépendance et d’ouverture ne va certainement pas favoriser le développement du continent » fait remarquer le professeur Bony.
« Le mieux, face à ce genre de groupuscules, qui utilisent la provocation pour se faire connaître, est de les ignorer », ajoute son confrère sénégalais.
Lucie Sarr
(1) Doumbi Fakoly, introduction à la prière Négro-africaine, Menaibuc Eds, 2005.