Dans le cadre de la rubrique « A vous la parole », le quotidien du ‘’Le Pays’’ s’est adressé, samedi 4 novembre 2023, au coordinateur général de l’Espoir Mali Kura (EMK), en l’occurrence Tiemoko Mahamane Maïga. Réalisée à son domicile, cette interview a permis à l’ancien membre de l’Adéma association et de l’URD de répondre aux questions relatives au départ de la Minusma, la diplomatie, l’Accord d’Alger, la position des politiques face à l’annonce du report léger des élections par le gouvernement de la transition malienne…
Le Pays : Vous êtes à la tête de ce mouvement qui a largement contribué à l’avènement de la transition en cours au Mali, comment voyez-vous le Mali post IBK ? Est-ce qu’on peut dire que tout va bien aujourd’hui ?
Tiemoko Mahamane Maïga : Je me réjouis du changement de pouvoir. L’après IBK est le bonheur pour le Mali. Les Maliens sont aujourd’hui libres et indépendants. Je suis de Tombouctou. Aujourd’hui, tu peux prendre ton véhicule et aller à Tombouctou en 72 heures sans rencontrer aucun obstacle. Il y a dix ans, cela n’était pas possible. Il y a dix ans, toi nègre, tu ne pouvais pas conduire un véhicule dans la région de Tombouctou parce que tu es nègre. Ce sont des réalités que les gens ignorent à Bamako. Aujourd’hui, l’armée malienne est à Kidal. On a perdu Kidal depuis 1990. C’est ce que les Maliens ne savent pas. La rébellion a commencé à Ménaka en 1990. En 1991, il y a eu les accords de Tamanrasset 1 et Tamanrasset 2. Ce sont ces accords qui ont consacré la libération de Kidal de la rébellion du Mali. C’est à partir de là que les frontières sont devenues poreuses où tout le monde pouvait entrer et sortir. C’est à partir de là que Kidal s’est retrouvé maître d’elle. C’est-à-dire que les rebelles pouvaient entrer et sortir comment ils le voulaient. Ils s’alimentaient et s’armaient comme ils le voulaient. Aujourd’hui, nous disons bravo aux FAMa, à la transition et au M5-RFP qui s’est levé, le 5 juin 2020, pour demander à IBK de démissionner et de libérer le pouvoir. Bravo aux Maliens qui ont compris qu’il fallait la souveraineté et ce sacrifice. Donc l’après IBK, c’est le bonheur de demain pour chaque malien.
Au-delà de l’aspect sécuritaire largement apprécié par les gens, nombreux sont les Maliens qui continuent de déplorer la corruption, le clientélisme, les fermetures d’écoles et la mauvaise gouvernance dans le pays. Est-ce dire que l’espoir tant suscité pour Mali Kura est en train de devenir une utopie ?
Vous savez, les Maliens aiment beaucoup la sensation, les facilités. Quand on construit un pays, il faut savoir se sacrifier. Il faut accepter d’affronter les difficultés. Aucune œuvre humaine n’est facile. On ne peut pas construire un grand pays comme le Mali dans la facilité et dans la simplicité. Cela est archifaux. Il faut que les Maliens comprennent cela. Il faut que nous arrivions à bannir ces mauvaises habitudes et mentalités qu’on nous a données. Les gens qui ont accepté de vivre dans la facilité ne seront jamais d’accord. Les gens pensaient que diriger l’Etat est le partage du gâteau. C’est pourquoi le pays est tombé dans le chaos. Le pays ne nous appartenait pas. Quand il n’y a pas la paix et la sécurité, on ne peut pas travailler. Des actions sont en cours au sujet de la corruption. Nous avons récemment écouté le président de la cour suprême. Le vérificateur général a récemment remis son rapport annuel au Président de la transition. Cela veut dire qu’il y a des actions en cours contre la corruption au pôle économique. Peut-être qu’elles n’ont pas atteint le niveau qu’on souhaite. Il faut du temps. On ne peut pas aller à la paix et au développement, s’il n’y a pas de sécurité. La lutte contre la malversation, la corruption et la mauvaise gouvernance n’est pas du tic au tac. L’essentiel, c’est d’enclencher la lutte. Elle est en cours. On ne peut pas aller au développement du Mali sans la quiétude, la paix et la sécurité. C’est quand on aura la paix qu’on pourra se développer. Il faut donc comprendre qu’on ne peut pas arriver à la paix et à la sécurité tant qu’on n’a pas la puissance de se défendre.
Selon vous, quelles peuvent être les raisons du retrait soudain et rapide de la Minusma ? N’y a-t-il pas lieu d’avoir peur du début des hostilités entre les groupes armés et les forces armées maliennes ?
C’est la France qui a amené la Minusma pour épauler la Barkhane. Barkhane était une force de colonisation. Elle était là pour nous recoloniser. La Minusma était venue parce qu’il fallait diviser le pays. Donc, quand le sabre s’installait, il va jouer son rôle. Il va couper et diviser le pays et la Minusma devait s’installer. Donc nous la partie malienne, on ne devrait plus chercher à envahir l’Azawad. Voilà le problème qui était là. C’était la raison principale de la Minusma. Mais malheureusement pour eux et heureusement pour le Mali. Grâce à la bénédiction de nos parents et de nous-mêmes que Dieu a entendue, on a pu sortir Barkhane sans coup ferrure. C’est la France qui est partie d’elle. La Barkhane est aussi partie d’elle-même. Et la Minusma devait suivre parce que c’était fini. Leur projet est tombé dans l’eau. Ils devraient être là pour soutenir les rebelles. Ils ont fait leur maximum pour pouvoir consolider la République de l’Azawad. Mais hélas.
Vu les tensions et tout ce qui se passe au sein de notre pays, les pays amis du Mali peuvent jouer quel rôle pour la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation entre Maliens ?
Vous avez malheureusement posé la question à quelqu’un qui est toujours opposé à l’Accord. Le Mali a été divisé depuis les premiers accords de Tamanrasset 1 et Tamanrasset 2. Il y a eu le pacte national qui a été signé en 1992 et qui a consacré cette division du pays. Et moi, en tant que natif de Gao et ressortissant de la région de Tombouctou, je ne peux jamais accepter ou admettre cet accord-là qui ne prend pas en compte mes déshydratas. On est parti concocter un accord avec quelques poignées de rebelles et terroristes en qualifiant cela comme un accord du Nord. Vous savez, on nous a manqué beaucoup de respect. Cet accord est un affront pour nous les ressortissants du Nord. Imaginez-vous, c’est une poignée de tamasheq corrompus par le Quai d’Orsay qui viennent diviser le nord et faire du septentrion une République sans l’avis des songhaï. C’est pourquoi, je n’ai jamais accepté ça. Pour moi, l’occupation, la récupération de Kidal rend automatiquement caduc l’Accord d’Alger. Il n’y a pas de rebelles, ce sont des terroristes. Tout ceci a été orchestré par la France qui s’est fait épauler par l’Union européenne et l’OTAN pour partager les ressources naturelles du nord. Pour moi, l’Accord est caduc.
L’annonce du report léger des élections fait que certains politiques restent opposés à la trajectoire de la transition. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
Nos hommes politiques parlent pour parler. Est-ce qu’ils ont réalisé ce qui se passe ? Pourquoi on n’a pas entendu les hommes politiques dire pourquoi la Minusma refusait de sortir ? C’est là où ça pêche avec les partis politiques. Les partis politiques ne donnent pas malheureusement le bon exemple de citoyenneté. C’est pourquoi, moi Tiemoko Mahamane Maïga, j’ai fait la politique. Mais je dis que les politiques n’ont rien à dire aujourd’hui dans le Mali Kura. Ils ne pèsent rien. Ils ont contribué à mettre le Mali dans le chaos. Ils doivent rendre compte. Ils ont pris des milliards et des milliards sur le contribuable malien. Ils n’ont pas formé le citoyen malien. Quel est le parti politique digne de ce nom aujourd’hui ? A la limite, il n’y en a pas. Je suis très critique vis-à-vis des partis politiques c’est pourquoi je suis M5. C’est parce que les partis politiques n’ont pas joué leur rôle dans l’édification de la cité malienne. Ce sont des gens qui cherchent le pouvoir pour eux-mêmes, et non pas pour développer la cité. Je mets quiconque au défi qui veut m’affronter pour développer cela. Le report des élections est une nécessité, voire une obligation. Tous ces hommes politiques opposés au report des élections n’ont pas conscience (guerre et ses conséquences) de ce qui se passe. L’international socialiste a fait quoi pour aider le Mali à sortir du chaos ? Aujourd’hui, nous avons besoin de construire le Mali Kura. La construction du Mali Kura veut que le citoyen malien soit avant tout un patriote. On a plus besoin des gens qui disent détenir un doctorat sans le prouver dans la pratique. Le Mali Kura, ce n’est pas la bouche, c’est l’abandon des mauvaises habitudes. Un patriote construit son pays. Tous ceux qui ne sont pas patriotes et des bons citoyens ne sont pas dans le Mali Kura. On n’a plus besoin des cadres qui viennent voler l’argent et acheter le peuple. Il faut former les citoyens après la guerre. Toute personne qui n’est pas capable de dire la vérité à Macron ne mérite pas d’être responsable. Toute personne incapable de faire front aux Etats-Unis ne mérite pas d’être responsable. Nous avons donné la preuve aujourd’hui que nous sommes des Maliens. C’est pourquoi on ne peut pas se permettre d’aller aux élections à n’importe comment.
Des secteurs comme EDM, la création d’emplois et celle de la richesse souffrent énormément aujourd’hui, malgré les efforts fournis par les autorités de la transition. Que faut-il faire pour un Mali nouveau et émergent ?
Le problème d’EDM est un problème de management. Ce n’est pas politique. Je parle en connaissance de cause. Quand les cadres sont véreux, ils cherchent à manger. Le problème ne se posait pas quand il y avait de bon management à l’EDM. Il y a principalement deux types de sources énergétiques à l’EDM. La source hydraulique et la source thermique. La source hydraulique a été priorisée pour un temps lointain, puisque ça coûte moins cher. Quant à la source thermique, son entretien n’est pas facile. Dans le Mali Kura qu’on cherche, on a besoin des bons managers et cadres pour l’EDM. Il ne s’agit pas de placer ses connaissances et frères çà et là en lieu et place des personnes compétentes.
Deux mots sur la diplomatique malienne, est-elle à la hauteur ?
Notre diplomatie est à la hauteur aujourd’hui. Je crois qu’il faut féliciter et encourager nos diplomates, même si l’œuvre humaine n’est jamais parfaite. Il n’est pas donné à tout le monde de faire ce qu’Abdoulaye Diop est en train de faire à travers le monde. Je dois remercier et féliciter les FAMa pour la victoire. Bravo à la population malienne qui a accepté d’endurer la souffrance. Il y avait la politique de démembrement qui était en cours. Mais la question ne se pose plus. L’armée a su révéler le défi. Si Kidal est entré dans le giron malien aujourd’hui, les ennemis du Mali comprendront que le Malien n’est pas un peuple soumis. C’est un peuple débout.
Réalisée par Mamadou Diarra
Source : LE PAYS