En pays tropical, la loi s’applique à la tête du client. Si voulez éviter les quatre murs d’une cellule et prendre librement vos trois repas quotidiens, mieux vaut donc masser les pieds des gouvernants que de jouer au petit soldat amoureux de la patrie. Les juges suivent toujours le doigt du chef, aux dépens du Code de procédure pénale ou de la loi fondamentale. L’opposant nigérien Hama Amadou en sait quelque chose. Il a suffi que le président nigérien, Mahamadou Issoufou, claque du doigt pour que Hama Amadou se retrouve au fond d’une geôle pour une sombre histoire de bébés volés. Dès qu’Issoufou a arraché son second mandat, les juges se sont hâtés d’accorder la liberté provisoire à Hama Amadou. Auparavant, on nous racontait, la main sur le coeur, que l’intéressé risquait de s’enfuir, que sa détention était nécessaire à la manifestation de la vérité, qu’il n’avait pas déposé de demande de liberté, et patati et patata ! La preuve est maintenant faite qu’en fait d’indépendance, la justice nigérienne joue plutôt du cinéma.
Ce qui se passe dans les tribunaux de Niamey vaut pour maints autres Etats africains où l’on prétend, sans rire, vivre en démocratie. Du temps de sa splendeur, l’ancien président guinéen, Lansana Conté, s’est tranquillement rendu à la prison centrale de Conakry pour en retirer, sans mandat de justice, son ami commerçant, El-Hadj Mamadou Sylla. Les syndicats de magistrats et autres agitateurs ont rué dans les brancards, mais ils se sont vite calmés quand Conté leur a distribué quelques biscuits au miel. Il n’y a rien de tel que des biscuits pour amadouer les crieurs professionnels, n’est-ce pas ?
En Côte d’Ivoire, le cas du professeur de droit, Paul Ya Ndré, est bien connu. Président de la Cour constitutionnelle au moment du scrutin présidentiel, il déclare Laurent Gbagbo élu; pour arriver à ce résultat, Yao Ndré annule, comme frauduleuses, tous les suffrages émis au nord du pays, fief de l’opposant Alassane Ouattara. Quelques semaines plus tard, Gbagbo est arrêté par les forces militaires de Ouattara. Notre éminent juge constitutionnel, revêtu de sa plus belle robe, reprend son arrêt comme un mauvais élève reprend une récitation. Cette fois, c’est Ouattara qui est proclamé élu. Les pièces à conviction que Yao Ndré invoque au soutien de son revirement ? Des procès-verbaux de réunions de la CEDEAO, des lettres de l’Union Africaine, des extraits de journaux qui feraient état des voix obtenues par le candidat Ouattara!…
Si les juges savent sévir contre les opposants, les journalistes et les voleurs de poulets, ils excellent aussi dans l’art de garder les dossiers gênants sous le coude. Au Burkina Faso, le jugement des assassins de Thomas Sankara attend depuis trois décennies. Il a fallu la chute de Blaise Compaoré pour que le parquet daigne exhumer le dossier en même temps que la dépouille de Sankara lui-même. A Abidjan, les anciens« commandants de zone » de Ouattara se la coulent douce malgré les hauts cris des défenseurs de droits de l’homme : pourtant, les juges, sur ordre du gouvernement ivoirien, envoient par cargaisons entières les anciens compagnons de Gbagbo en prison ou à la CPI. Au Mali, les mandats d’arrêt émis contre les leaders de la rébellion ne sont plus qu’un lointain souvenir, au point que les intéressés s’amusent désormais à demander des « arriérés de salaires » (rien que ça!). Ladji Bourama lui-même se plaint régulièrement que les juges aient égaré les 200 dossiers de délinquance financière qu’il leur a envoyés.Votée à grand renfort de tambours et de trompettes, la loi sur l’enrichissement illicite n’est à ce jour appliquée à personne alors que de Bamako à Kayes, les chantiers géants ne cessent de sortir de terre et que les moindres fonctionnaires se pavanent dans de grosses cylindrées. Pourtant, la loi autorise le procureur à engager des poursuites sur le seul fondement d’une apparence de richesse injustifiée. Cérise sur le gâteau, aucun juge ou policier ne s’amuse à rendre visite au député Algabass Ag Intallah, un leader des rebelles: un jour, il fait démolir les bâtiments publics de Kidal puis, le lendemain, il vient encaisser à Bamako sa prime de député.
Mon petit doigt me dit que même en Occident, où l’on dit la démocratie bien implantée, les juges passent souvent des accords secrets avec le pouvoir. Souvenez-vous de l’Italien Sylvio Berlusconi: malgré ses démêlés fiscaux et ses fameuses soirées « bunga bunga » avec des mineures, le compère n’a jamais vu la couleur d’un mandat de dépôt! De même, quand, il y a quelques années, Saad Khaddafi a copieusement bastonné sa concubine à Génève, les juges suisses ont voulu lui faire des misères; il a suffi que Khaddafi menace de retirer ses milliards des banques suisses pour que l’affaire soit remisée dans un placard dont elle ne sortira plus. Prompte à émettre des mandats contre les criminels africains, la Cour Pénale Internationale reste bouchée bée devant les crimes que commettent tous les jours les soldats israéliens, russes, américains, saoudiens, français ou chinois. Quand il était simple opposant, Uhuru Kenyatta faisait l’objet de poursuites de la part de la CPI; devenu président du Kénya, la Cour a abandonné les poursuites contre lui. Pour justifier sa reculade, le procureur de la CPI prétend n’avoir pas obtenu que le gouvernement kényan (présidé par Kenyatta) lui communique certaines preuves. En clair, le bienheureux Uhuru Kenyatta restera tranquille tant qu’il n’aura pas personnellement fourni à la CPI la corde destinée à le pendre ! En France, on vient de découvrir avec stupeur que les démêlés de Sarkozy avec la justice sont alimentés, en sous-main, par l’Elysée qui veut abattre, par juges interposés, un rival politique. Pour sa part, Sarkozy, quand il se trouvait aux affaires, avait promis monts et merveilles à un magistrat de la Cour de cassation (la plus haute juridiction française), moyennant la remise d’informations judiciaires confidentielles.
Les exemples qui précèdent montrent assez que pour avoir la vraie justice sur terre, il faut attendre le retour de Jésus. Les belles leçons et professions de foi? Justes pour amuser la galerie!
Tiékorobani
Source: proces-verbal