Le Premier ministre, Chef du gouvernement, le Dr Choguel Kokalla Maiga, en marge de la 5e conférence des pays les moins avancés qui se tient à Doha, Qatar, a accordé ce mardi une grande interview à la chaine Panarabe Al Jazeera sur la situation sécuritaire dans notre pays après le départ des troupes de la France ; la coopération avec notre nouvel partenaire de la Russie, le dernier vote du Mali au Conseil de sécurité de Nations unies en faveur de la Russie qui fait polémique ainsi que sur les grandes réformes en chantier notamment les réformes politiques et institutionnelles et retour à l’ordre constitutionnelle.
Comme son président, le Colonel Assimi Goïta, le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga confie à Al-Jezeera que le Mali n’a pas poussé la France vers la sortie. Mais, comme le dit l’adage de chez nous quand tu pousses un coureur, il accélère son rythme. La France voulait partir, il lui fallait un prétexte : c’est le coup d’État, ce sont les colonels, explique-t-il. Après 9 ans de présence dans le cadre de la lutte contre les groupes terroristes, la France s’est retirée d’elle-même, et notre pays en a tiré les conséquences.
La nature ayant horreur du vide, le Mali a noué un partenariat avec la Russie qui donne des résultats à la satisfaction des populations et des autorités maliennes. Par rapport au Groupe Wagner, la CEDEAO, l’Union africaine ou la Minusma, le Premier ministre Dr Choguel Kokalla Maiga a fait le tour d’horizon avec Al Jazeera.
Interview traduit de l’anglais par la rédaction de Info-Matin.
Al Jazeera : Comment décrivez-vous actuellement les relations avec les nations africaines, surtout après le récent sommet de l’Union africaine qui a maintenu la suspension du Mali ?
Choguel Kokalla Maiga : De nombreux dirigeants africains comprennent bien la position du Mali. Nous, nous dirigeons vers ce que le peuple veut, c’est-à-dire lutter contre le terrorisme, parvenir à la sécurité et à la stabilité et la maintenir, ensuite restaurer le système constitutionnel. Tout cela se passe sous la pression des organisations. Avant même le sommet, il y a eu une visite de responsables, et après avoir suivi ce que nous avons entendu de leur part relayer aux dirigeants africains la situation sur le terrain, je crois qu’il y a une proximité dans les points de vue.
Al Jazeera : Quelles sont vos attentes vis-à-vis des pays africains au regard de la situation économique et sécuritaire que traverse le Mali ?
Maiga : Au Mali et dans les pays voisins, il y a une autre proximité qui est celle d’être le même «pays», la même zone ; d’être dans la même organisation et être confronté aux mêmes défis. Il y a deux ou trois ans, la situation était beaucoup plus grave et il y avait beaucoup d’affrontements. Mais désormais, notre armée a pris les choses en main. Les terroristes n’ont plus de sanctuaires au Mali. La peur a changé de camp.
Ce qui a changé, c’est la direction du pays, le leadership. Nous avons maintenant un nouveau Président à la tête du pays qui a une vision claire, et la priorité absolue qui est celle d’assurer la sécurité – puis la sécurité alimentaire et la fourniture de services de santé ; après cela la transition vers des organisations constitutionnelles et non l’inverse. Nous avons fait beaucoup de réformes.
Nous avons organisé des élections pendant 30 ans, mais nous n’avons pas obtenu de résultat. Nous avons des pays en Asie comme l’Afghanistan, qui ont duré 20 ans avec des forces étrangères, puis elle se sont retirées. C’est pourquoi il faut laisser le peuple résoudre lui-même ses problèmes.
Al Jazeera : Puisque les choses ont changé, comme vous le dites, et que vous voudriez écouter ce que veulent les populations, parlez-nous du référendum attendu qui doit avoir lieu ce mois-ci.
Maiga : Le référendum aura lieu conformément à la Constitution et, si Dieu le veut, ce référendum aura lieu.
Al Jazeera : Mais jusqu’à présent, les organes électoraux n’ont pas été convoqués.
Maiga : Nous avons mis en place un organe indépendant de gestion des élections pour superviser les élections et cet organe qui totalement indépendant déterminera le rythme auquel il veut travailler. Cela relève de ses compétences. Ce que nous pouvons faire au niveau de l’exécutif, c’est de préparer tous les textes législatifs et règlementaires y compris le projet de constitution et nous tenir prêt. À tout moment lorsque l’organe chargé des élections nous dit de déclencher le processus, nous sommes prêts. Donc, l’exécutif, le parlement et le Président se tiendront prêts et se mettront à la disposition de l‘organe.
Al Jazeera : Vous avez renoncé les accords de coopération militaire avec la France. Comment évaluez-vous cette étape et les résultats qui ont suivi sur le terrain ?
Maiga : Je voudrais d’abord corriger ceci : nous n’avons pas abandonné la coopération avec la France. Disons que c’est la France ou ce sont les dirigeants de la France qui ont voulu imposer à notre pays ce qu’il fallait faire, ce qu’il fallait penser et ce qu’il fallait dire. Mais nous leur avons dit que cette époque était révolue depuis longtemps. Nous choisissons souverainement désormais les partenaires avec qui on veut coopérer. On ne choisit pas ses voisins et ses parents, mais on peut choisir ses amis. Ce sont les Français qui ont décidé parce qu’un gouvernement ne les convient pas après l’installation du chef de l’Etat, de partir. Nous leur avons pas dit de partir. Ce sont eux qui ont demandé à partir en imaginant qu’on allait venir les prier pour rester.
C’était le choix de nos amis français parce qu’il y a maintenant un gouvernement qu’ils n’aiment pas après la nomination d’un nouveau Président et d’un nouveau Premier ministre, qui ne leur conviennent pas. Ils ont décidé de partir et nous avons dit : «c’est votre choix». Je voulais corriger ce point : ce sont eux qui voulaient partir, et ils pensaient que nous allions les supplier de rester.
Al Jazeera : Quels ont été les résultats du retrait des forces françaises du Mali ?
Maiga : Nous avons fait une analyse objective de la situation de manière inclusive et objective et nous sommes arrivés à certaines conclusions : le terrorisme existait dans le nord du Mali lorsque le gouvernement avait demandé l’aide de la France à ce moment-là.
Le président de la France, François Hollande, a décidé que l’armée française avait trois objectifs : vaincre le terrorisme, renforcer les capacités de l’armée malienne et regagner l’autorité de l’État et appliquer les résolutions du système des Nations unies. Mais 9 ans après le terrorisme qui était confiné dans le nord du Mali a pris 80% du territoire. L’autorité de l’État du Mali n’est pas installée dans une enclave créée par l’État français. Parce que notre armée a libéré tout le pays avec l’appui aérien de la France, il y a une enclave où la France a interdit l’armée malienne. Cette enclave a servi de sanctuaire des terroristes pour s’organiser. Le terrorisme n’a pas été vaincu, l’autorité de l’État n’a pas été restaurée.
Nous avions des informations précises et des preuves incontestables que certains terroristes étaient en contact avec la France. Nous avons examiné diverses régions du monde que seule la communauté internationale a apporté la paix dans un pays.
J’ai mentionné l’exemple de l’Afghanistan et comment 20 ans plus tard, les forces étrangères ont quitté le pays. Les Français ont dit qu’ils partiraient donc on les laisse partir. On a décidé de choisir un partenaire qui ne nous fera pas chanter et sur lequel il n’y aura pas de chantage.
Al Jazeera : Le nouveau partenaire dont vous parlez est la Russie, n’est-ce pas ?
Maiga : Oui, la Russie est le partenaire, cela se sait, mais ce n’est pas le seul partenaire que nous avons. Nous disons que nous sommes en partenariat avec tout le monde. Nous avons fixé trois principes à partir desquels un pays peut être ami du Mali. Premièrement, nous exigeons le respect de notre souveraineté – aucun ordre ne doit nous être imposé. Deuxièmement, le Mali doit avoir le libre choix de son partenariat stratégique et enfin toute action publique doit tenir compte de l’intérêt du peuple malien.
Al Jazeera : L’UE et les États-Unis ont exprimé leur inquiétude concernant les opérations du groupe Wagner au Mali. Est-ce légitime selon vous ?
Maiga : Loin s’en faut. Ces inquiétudes ne sont pas légitimes. Il faut les relativiser. Notre priorité est la paix et la sécurité au Mali. Pendant qu’on est train de nous massacrer par centaine, on ne peut pas venir parler d’autres choses. Nos militaires sont en train d’être tués, d’autres sont dans les débats académiques.
Pour l’achat des équipements (avions, hélicoptères) notre pays a subi de nombreuses pressions. Finalement, on s’est retourné vers celui contre lequel personne ne peut faire de pression. En une année, notre armée a réussi à faire ce qu’elle n’a pas pu faire en 30 sans aide internationale, mais grâce au travail et à la coopération avec la Russie. La peur a changé de camp grâce à la coopération avec la Russie et d’autres partenaires comme la Turquie, la Chine.
Notre priorité c’est notre peuple. Ce que les fonctionnaires de l’UE et des États-Unis disent, nous sommes à l’écoute. J’ai parlé aux ambassadeurs accrédités dans notre pays en leur disant qu’ils parlent d’un combat qui n’est pas les leur. Aujourd’hui, il y a un Etat qui fait de lobbying au niveau de l’UE, aux Nations unies pour uniquement nous mettre le bâton dans les roues du Mali. J’ai demandé aux Européens de regarder leur intérêt.
Al Jazeera : Mais cette coopération avec la Russie, qu’a-t-elle apporté jusqu’à présent, notamment en matière de sécurité au Mali ?
Maiga : Les résultats que j’ai mentionnés sont que l’image au sol a changé. Avant la coopération avec la Russie, il y avait des villages entiers qui étaient tués par des soi-disant musulmans. Dans mon pays, l’islam est la religion dominante pratiquée par plus de 95% de la population. L’islam est pratiqué chez nous depuis plus de 1000 ans. Donc, que des ennemis viennent massacrer des musulmans qui prient au nom de l’islam ; des Maliens ne peuvent pas faire çà. On tuait des camps entiers.
Vous imaginez un camp construit et financé par la communauté internationale en plein désert sans eau. Obligés de sortir du camp à la recherche d’eau ailleurs, nos militaires sont tués. Et on ne peut pas venir au secours parce qu’on n’a pas d’avion de transport. Aujourd’hui, nous avons des avions, des hélicoptères, des drones, des avions cargo et de transport pour couvrir notre territoire. Maintenant, nous n’avons besoin d’injonction d’un pays étranger. C’est tout ce que nous avons demandé, qu’on respecte notre souveraineté.
Al Jazeera : Maintenant, il y a une confrontation dans le monde entre l’Occident et la Russie, est-ce que vous n’êtes pas inquiet que votre rapprochement avec Russie ne vous fera pas souffrir ?
Maiga : Il y a un débat géopolitique dans lequel certains voulaient nous embarquer. Nous nous voulons résoudre les problèmes de nos populations au nom duquel on agit. C’est un faux débat dans lequel ils veulent nous faire impliquer. Nous allons continuer à défendre notre population, à défendre les résolutions aux Nations unies conformes à notre vision. Ils ont fait prendre un embargo en influençant les organisations internationales contre le Mali aux Nations unies. C’est la Russie qui l’a bloqué. Ici, la Russie défend nos intérêts et il est de notre intérêt aujourd’hui de faire un choix et nous l’assumons. Notre peuple est d’accord majoritairement.
Al Jazeera : Les autorités françaises vous accusent désormais d’incitation contre le rôle français en Afrique. Que répondez-vous à cette accusation ?
Maiga : En vérité, nous visons à résoudre nos problèmes, nous n’avons pas de problème avec les Français. Comme vous le savez en France, après les Algériens, les Maliens viennent en deuxième position. Cette communauté en grande partie soutient les autorités de la transition. Et les autorités françaises doivent se pencher sur cette question. Pourquoi cette communauté soutient la transition ? La majorité des Maliens comprend que ces autorités travaillent pour elle. Maintenant que les autres pays prennent notre exemple pour s’en inspirer. C’est leur droit. Partout dans le Sahel c’est la question du terrorisme, de l’insécurité qui est à la base des déstabilisations des États. La démocratie n’est pas en cause. C’est ce qu’on veut nous faire croire, qu’on a besoin de la démocratie avant la vie. Nous disons que la population doit vivre, manger, se soigner, être éduquée pour imposer la démocratie. Ceux qui nous donnent ces leçons ont passé 200 à 300 ans dans un système et ils veulent que nous le fassions en quelques semaines.
Al Jazeera : Est-ce que beaucoup de pays seront d’accord avec cette vision ?
Maiga : Aucun pays dans le monde, aucun dirigeant digne de ce nom ne peut mettre autre chose devant la vie de ses concitoyens. C’est ce que nous faisons pour le reste, nous sommes amis à tout le monde. Nous n’avons pas d‘État ennemis. Ce sont les choix des dirigeants qui sont mauvais. Je crois qu’ils ont compris et essayent actuellement de se rattraper en Afrique. Qu’il faut être moins arrogant. Ce sont les leçons tirées de la situation au Mali. Il faut changer aujourd’hui, la façon de faire. Il faut changer de peuple, de dirigeant.
Source : Al Jazeera