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Centrafrique : « Qui peut croire que les élections auront lieu dans quelques mois ?» Par Thomas Hofnung

En poste à l’ambassade de France à Bangui de 2008 à 2012, chargé des Affaires culturelles et de la coopération, Didier Niewiadowski analyse les raisons de la recrudescence de la violence observée ces derniers jours. Selon la Croix-Rouge locale, au moins une vingtaine de personnes ont trouvé la mort depuis samedi, dans les affrontements qui ont éclaté aux abords des dernières enclaves musulmanes de la capitale centrafricaine. Celles-ci subissent sans discontinuer les assauts des milices anti-balaka qui veulent forcer ces communautés à quitter le pays, les jugeant collectivement complices des exactions commises jusqu’à l’intervention française par les ex-rebelles de la Séléka (à dominante musulmane).

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Comment expliquez-vous cette nouvelle flambée de violences ?

Les milices anti-balaka, souvent dénommées à tort «milices chrétiennes» par opposition à l’ex-Seleka musulmanes, ne sont toujours pas cantonnées à ce jour et encore moins désarmées, et cela en dépit des résolutions de l’ONU et de l’Union africaine. Cette situation les autorise à perpétrer leurs exactions en toute impunité. Les désœuvrés – paysans spoliés, coupeurs de route au chômage, enfants des rues non scolarisés – ont été rejoints par d’anciens militaires des Forces armées centrafricaines et par des boutefeux partisans de l’ancien président Bozizé, déposé il y a un an.

 

Ce ramassis, tout aussi inorganisé que l’ex-Séléka mais éparpillé en des groupuscules de quelques individus, se trouve livré à lui-même, obligé pour survivre de s’emparer des biens d’autrui et le plus souvent avec une violence extrême. Surtout lorsque l’animisme et les croyances d’un autre âge prennent le dessus. Le cannibalisme n’est pas étranger aux Bantous et aux peuples de la forêt. Ces «antiballes AK» (portant des gris-gris contre les balles des kalachnikovs AK 47) ne craignent personne car ils se croient invulnérables, surtout lorsqu’ils sont drogués. Ils peuvent donc accomplir les actes les plus odieux : d’abord sur les musulmans, mais aussi sur tout quidam. La criminalisation de ces groupuscules, capables de se fondre dans la population (ce qui n’était pas le cas de la Séléka), augmente avec l’anarchie. Une criminalisation qui n’était pas prévisible lors de la constitution des forces internationales et de la force Sangaris, et qui compromet gravement le retour à l’ordre public.

 

Quelles peuvent être les conséquences à moyen terme de la poursuite de ces exactions et du départ massif des musulmans?

Outre la disparition du cheptel de la communauté des Peuls Bororos, la filière de l’exportation de l’or et diamants – jadis largement aux mains des Sénégalais, Soudanais et Mauritaniens – et les circuits commerciaux d’importation et de distribution – contrôlés en grande partie par des Tchadiens, Nigérians, soudanais et Libanais chiites – sont désormais en déshérence. Au-delà de ces répercussions économiques, des répliques politiques sont prévisibles. La force Sangaris aura des difficultés à répondre aux accusations de nombreuses organisations musulmanes d’avoir favorisé le départ des musulmans en désarmant prioritairement les Séléka et en poussant au départ de Michel Djotodia (ancien chef de la Séléka, démissionnaire en janvier dernier). La ghettoïsation des musulmans dans une quinzaine de sites à l’ouest de la République centrafricaine et à Bangui ne fera qu’aviver le désir d’en découdre des groupes islamistes radicaux qui n’attendaient que cela pour prendre leur revanche après l’opération Serval au nord du Mali. Pour eux, les frontières étatiques n’existent pas.

 

Que fait le nouveau pouvoir dirigé par Catherine Samba-Panza?

Le gouvernement nouvellement élu est tombé dans les mêmes travers que les précédents. Samba-Panza et son gouvernement pléthorique – flanqué de 35 conseillers contribuant à faire régner la confusion et la prédation – n’ont aucune prise sur les événements. L’Etat est toujours dans un coma profond. Comment se fait-il que les leaders anti-Balaka ne soient pas arrêtés? Que les criminels ne soient pas traduits en justice?

 

Les premières nominations sous la présidence de Catherine Samba-Panza ont surpris car le népotisme et le clientèlisme, si souvent décriés en RCA, sont revenus au galop. Des personnalités loin d’être irréprochables se sont retrouvées une nouvelle fois «à la mangeoire». La déception est grande dans les milieux centrafricains de la diaspora mais aussi chez les observateurs étrangers. Serait-ce maintenant le tour des amis de la Présidente désignée par 75 membres sur 135 du Conseil national de la transition (Parlement par intérim, ndlr) ? Les notables de la région natale de la Présidente, la Ouaka, et les Gbanziris (sa communauté, ndlr) vont-ils succéder aux Gbaya de Bossangoa? Va-t-on, comme toujours en RCA, créer des Hauts conseils, des agences, des commissions, faire financer des études de faisabilité, organiser des voyages incessants à l’étranger souvent rémunérateurs pour l’import-export. L’urgence est au développement social, à la reconstruction de la voirie urbaine et l’accessibilité des chef-lieux de région. La mobilisation des ingénieurs, techniciens, travailleur sociaux et professeurs centrafricains est prioritaire.

 

Comment faire pour stopper cet engrenage?

Qui peut encore croire que des élections démocratiques pourront avoir lieu dans quelques mois alors qu’il y a un million de déplacés, 500 000 réfugiés et que la moitié de la population est en état de survie? La saison des pluies arrive avec toutes ses conséquences dramatiques pour la population, déplacée ou non. Il faut faire preuve d’imagination car les vieilles recettes de sortie de crise ne marcheront pas. C’est privilégier la facilité, mais encourir aussi un cuisant échec que d’imaginer sortir de la crise par des élections avec une organisation étatique similaire, en appuyant la reconstruction d’un Etat central et en ne s’interrogeant pas sur les idées fédérales et la décentralisation territoriale. Et en raisonnant dans un cadre uniquement étatique alors que la crise est aussi régionale.

 

En tout état de cause, la transition semble mal partie, encore une fois. Devant ce constat, ne faudrait-il pas envisager une forme de curatelle, et non de tutelle, en Centrafrique ? Cela permettrait de maintenir les institutions centrafricaines pour assurer la gestion quotidienne du pays, une représentativité internationale et une reprise en main progressive des secteurs régaliens. Mais la curatelle confierait à une organisation ad hoc, par exemple au Bureau des Nations unies (déjà présent à Bangui), épaulé par une administration dédiée, la gestion des programmes internationaux de relèvement de l’Etat, le paiement de ses agents, les programmes humanitaires, les financements des pôles de développement à mettre rapidement en place. Et, à terme, le processus électoral tel qu’il sera précisé par la Constitution de la nouvelle RCA. Il faut aussi, sans tarder, que la Cour pénale internationale ouvre le processus de création d’un Tribunal spécial sur la Centrafrique pour mettre fin à l’impunité.

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