Partir me ressourcer s’avère un devoir. Mais, tel est aussi un défi au regard de la distance qui sépare mon bled, Tombouctou, à notre capitale, Bamako. Un trajet qui est un véritable parcours du combattant.
Située à peu près à mille kilomètres de la capitale, la ville historique de Tombouctou a la caractéristique d’être inaccessible par route. C’est cette expérience que nous avons vécu la semaine dernière. D’abord pour rallier cette cité mythique qui m’a vu naître et que je n’avais pas visité depuis trois ans, le contexte de crise empêchant, je jugeais nécessaire de ne pas m’y rendre. Au regard de tout cela, à la faveur de la libération, je me suis dit qu’il est temps d’aller voir le visage de la belle cité et surtout vivre la chaleur familiale qui me manquait tant.
Car, avant tout, Tombouctou c’est la fraternité absolue. Oui, j’ai décidé contre tout de partir voir des proches que je n’ai pas revus depuis quelques années. Un lundi, juste après mon traditionnel bouclage du journal, j’ai pris la décision courageuse de faire le trajet en deux étapes. Un car pour Mopti et puis un véhicule de fortune pour Tombouctou. Alors jusqu’à la ‘‘Venise malienne’’ tout allait bien. Arrivée aux alentours de 3H30 à Sévaré, il n’y avait rien pour m’acheminer sur Tombouctou que j’avais vraiment hâte de voir, pas de sommeil.
Alors, là c’est un jeune homme qui se présentera à moi; il parle sonrhaï et me demande ce que je voudrais. Je l’explique que mon souhait serait de partir tout de suite pour Tombouctou. Très étonné, il me répond en ces termes: «Il faut attendre le matin et puis la place de Tombouctou est derrière la gare routière». Croyant qu’il n’est pas de bonne fois, je démarche un autre jeune qui se propose de me servir de guide.
Du coup, il me traine dans un endroit obscure, à quelques marches, je lui ai demandé gentiment qu’on rebrousse chemin. C’est ainsi qu’il a commencé à parler un bamanankan avec un accent tordu. Par la suite, il m’a fait comprendre qu’il est de Niambourgou, cercle de Diré. Là, je me suis senti rassurer. Pour ce faire, je lui file un billet afin de payer à manger. Dans cette gare, il n’y a que des œufs, il paye pour moi seul et me remis le reste de la monnaie. J’ai compris tout de suite que ce jeune homme est vraiment de la Région de Tombouctou.
Dans la foulée, il a transporté mes bagages à destination de la place de Tombouctou. Ici, il n’y a rien, alors qu’à la veille, un chauffeur m’a confirmé qu’un véhicule de transports en commun quitte le lendemain à 6 heures du matin. Je m’impatiente, il était 5 H du matin. Je continue à compter les minutes et à l’heure indiquée aucun signe de véhicule. Visiblement, j’étais le seul qui ai envie de revoir Tombouctou, coute que coute. Vers 7H moins, les premiers passagers commencent à arriver; mais, aucun membre de l’équipage ne se trouve sur place. Nous avons par la suite appelé un numéro de téléphone affiché sur un conteneur.
Au bout du fil, le convoyeur nous demande de nous patienter qu’il sera là d’un moment à l’autre. Nous n’avons pas le choix et je ne pouvais pas aussi broncher; car, aucune place n’était acquise. Une heure plu tard, il se pointe et nous recense à sa guise. Et, j’ai été finalement le dernier des passagers inscrits sur la liste à destination de Tombouctou. Malgré que j’avais appelé la veille. Tant mieux, je n’ai pas à faire la tête, je paye les 10.000 francs CFA et je suis embarqué à l’arrière du véhicule comme un poulet.
Et on quitte la ville de Sévaré dans un des meilleurs véhicules 4 /4 communément appelé DH. Il est piloté par un jeune de Niafunké, Abba Galla, connu pour être un fin connaisseur de la route. Direction la ville de Douentza. D’ores et déjà, à la sortie de Sévaré, on s’arrête au poste de contrôle. Là, les gendarmes nous demandent de présenter nos pièces d’identité. Ainsi, il n’y a que trois d’entre nous qui n’en disposent pas. Sitôt, leurs noms sont relevés puis sont demandés de se présenter au chef de poste. A celui-ci, ils réunirent tout simplement quelques billets de banques pour les lui glisser entre les mains.
Avec ce simple geste à l’aide de quelques espèces sonnantes et trébuchantes voilà que tout s’est arrangé et nous pouvons partir maintenant avec notre parcours de combattant pour Douentza. Au cours du trajet, le patent constat qui se dégage c’est l’état de la route, sérieusement dégradée, et les stigmates des frappes aériennes à Konna et les villages environnants. A notre arrivée à l’entrée de la ville carrefour Douentza, au poste de sécurité et de contrôle, deux militaires jouent une partie de belotte, avant de fouiller le véhicule.
Pendant ce temps, un gendarme nous exigeait nos pièces d’identité. Ceux qui n’en disposent pas savent déjà à quel sein se vouer: «Il s’agit ici aussi de débrousser des sous, sans une autre forme de discussions, c’est la pratique érigée en système», nous chuchote un autre passager. Après ces formalités devenues récurrentes sur le trajet, nous voici dans la ville de Douentza. Le chauffeur inspecte le véhicule parce que le trajet qui nous attend est semé d’embuches.
La route de l’espoir
Pour sa proximité avec la route nationale Bamako-Gao, le tronçon Tombouctou-Douentza est appelé «Route de l’Espoir». Pour atteindre la barque de Koriomé, située à moins de 200 kilomètres non goudronné, il vous faut au minimum cinq heures ou six heures (au maximum) de temps en voiture. À l’entame de ce trajet, nous apercevons un convoi de la Minusma, sûrement en route pour la cité des Askia.
Là, j’ai compris que nous sommes en territoire de crise. A la sortie de la ville de Douentza, premier jack point, militaires et gendarmes tous sur le qui-vive; tout à fait normale pour qui connait l’immensité de la zone et l’incertitude des circonstances. Contrôle d’identité et fouille avant de nous laisser commencer avec notre traversée du désert. Un voyage avec un seul lieu d’escale, à Bambara Maoundé où un autre contrôle est à effectuer.
Dans cette grande agglomération désertique, face à la fatigue du voyage, j’étais entrain de confondre le gendarme à un militaire. Oui, parfois, je ne me retrouvais plus sur une route que je connaissais pourtant très bien pour l’avoir pratiqué à plusieurs reprises. Mais, l’explication est simple: ‘‘C’est que même si le trajet reste le même, les habitudes ont considérablement changé.
Puisqu’à cause de la crise et ses dégâts collatéraux sur les localités riveraines, personne n’a plus confiance en personne d’autre’’, je me suis dis objectivement. Dans cet endroit, il est urgent d’arriver avant 17 Heures au bord du fleuve Niger. Car, à partir de 18 Heures aucun véhicule ne sera autorisé à rentrer dans la ville de Tombouctou. C’est le contexte de sécurité qui l’exige ainsi formellement, pour traverser.
Me voilà chez moi
Nous débarquons, à quelques kilomètres seulement, dans mon village Kabara. Ici, je coïncide avec un grand frère, venant d’Ahara, un village voisin du mien. Il se dirige vers moi, me sert la main avec enthousiasme et me félicite pour le prix que j’ai reçu récemment; car, il dit m’avoir vu à la télé… Puis, il fut à lui d’intimer l’ordre à un des enfants de transporter mes bagages.
Du coup, j’ai eu une sensation forte, celle d’être chez moi. De ce fait, j’appelai au téléphone l’infatigable et disponible ami, un Enseignant, un rescapé du Mnla, Sidi Moussa. Il suffit de quelques minutes, il arrive en moto. Aux mêmes moments, une sœur propose de me déposer à la maison. Puisque j’avais la nostalgie ponctuée d’une forte envie de marcher sur les dunes et rues sablonneuses, je lui remis mes bagages et ai fait le reste de la rentrée en famille paternelle à pieds.
Je me croyais pouvoir arriver en toute discrétion, ou clandestinement chez moi; mais, c’était sans compter sur l’hospitalité légendaire des habitants du sahel que je croise à chaque coin de rue. ‘‘Ag Assoumane ma Idjan’’ (le fils d’Ousmane, comment allez-vous ?),me dit, en Tamashek, une jeune dame qui connaissait bien mes parents. Je continue et prête attention à tous les gens que je croise; car, dans le village, tout le monde se connait.‘’C’est MCI?’’ (Mon nom d’animateur dans les temps passés), me demande un de mes anciens auditeurs de la radio. Je le salue avec ferveur avant de l’inviter à venir prendre du thé avec moi.
Je traverse le village et sur mon passage, je constate que le terrain de football n’est plus animé comme avant et la seule chose qui m’a marqué, c’est l’attroupement monstre devant les magasins ‘‘Valérie’’. Ici, c’est un lieu de distribution des produits alimentaires destinés aux populations victimes de la crise. Je cherche un raccourci; mais, voilà autre jeune footballeur du village qui me reconnaitra.
Comme notre culture l’oblige, je suis allé, sans attendre, à sa rencontre et il me souhaite la bienvenue. ‘’ Pourtant, j’étais hier chez la maman, je ne savais pas que tu étais en route’’, m’a-t-il dit. Ainsi, à quelques mètres du domicile parental, je tombe sur mon Grand frère, l’Imam du village. Abdoulaye, qui était même venu à Bamako sans qu’on ne puisse nous voir.
Oui, j’ai senti en lui l’immense joie de retrouver un jeune frère. Maintenant, je suis chez moi et déjà ma tendre maman était tellement pressée de me revoir et me serrer entre ses chaleureux bras, ses bras qui nous ont entretenu, mes frères, sœurs et moi, à bas âges. Contrairement chez certaines mères qui plairaient en des pareilles circonstances, la mienne, toujours très forte de caractère et de convictions religieuses, peut supporter tous les coups.
Donc, elle n’avait qu’une seule chose à la bouche: ‘’Cissé, Allimam Idje Cissé’’ (Cissé, sois le bienvenu, le fils d’Imam Cissé). Cette façon particulière de m’accueillir nous est propre et chaque vieille personne qui me croise dans le village s’adressait à moi en ces termes. Car, l’influence maraboutique de ma famille ne souffre d’aucune ambigüité. Ici, mon comité d’accueil est composé des membres de la famille, mes deux sœurs Fatoumata et Abaty, en plus de leurs enfants qui ne m’avaient pas connu. Dans cette immense demeure léguée par mon feu père, ma présence était vraiment nécessaire.
Tombouctou dénaturée
Le lendemain, j’ai pris le cap sur la ville de Tombouctou. Le jack point est là, des militaires en faction nous montrent la voie à suivre. J’ai vite compris qu’ici la sécurité est une affaire très sérieuse que chaque citoyen est appelé à respecter à la lettre. J’ai été, également, frappé par la cordialité et la discipline qui caractérisent les relations entre militaires et civils dans la cité des 333 Saints.
Mais, l’unique route qui relie les villages riverains à Tombouctou centre est quasi impraticable. Sur les 7 kilomètres, j’ai découvert une présence remarquable de gendarmes, policiers et douaniers. Ici, la vigilance et la rigueur sont les maitres mots. Et, parcourant, dans le centre-ville de Tombouctou, j’ai senti la douleur et les souffrances endurées lors de l’occupation armée et surtout l’énormité des difficultés innées à tout processus de retour à la normale.
La cité millénaire présente un nouveau visage. Celui d’une ville martyr, avec des maisons vidées de ses occupants. Ici, nombreux sont les habitants qui ont abandonné la ville et qui attendent, ailleurs, des garanties pour y retourner définitivement. Pour s’en convaincre, il suffit de suivre les activités des banques qui travaillent de façon symbolique. Idem pour l’Hôpital régional qui a de la peine à apporter des soins élémentaires aux malades. Faute de moyens et de ressources humaines. Pour l’instant, la vie à Tombouctou, c’est un véritable drame. A suivre…
Alpha M Cissé
Carnet de route (suite et fin)
Source: Notre Printemps