Il a serré des mains sans compter. Le soldat : « Mes respects, monsieur le président. » Lui, souriant aux uns et aux autres, un peu mécanique dans son habit de chef des armées : « Enchanté. » « Bien. » « Parfait. » « Vous venez d’où ? » Il n’a pas manqué les selfies, dans une forêt dense de treillis. Il a porté son plateau-repas dans le mess mal climatisé, dans une scénographie millimétrée. Emmanuel Macron est venu comme promis, vendredi 19 mai à Gao, au Mali, rendre hommage aux militaires de l’opération « Barkhane » pendant plus de six heures.
Mais au-delà de ces premiers échanges, remerciements toujours appréciés par les soldats, le chef de l’Etat était attendu sur un terrain urgent. La force est appelée à être plus efficace face aux « groupes terroristes » : comment y parvenir ? Au Mali, les accords politiques d’Alger, censés promouvoir la réconciliation entre Bamako et le Nord touareg, piétinent, tandis que la corruption du gouvernement désespère les populations. Les groupes armés djihadistes harcèlent les contingents de l’ONU, et les forces maliennes déplorent la mort de quatre ou cinq soldats par semaine en moyenne. Le 18 janvier, une attaque a fait 70 morts à Gao.
« La viabilité de Barkhane dans la durée est d’autant plus précaire que la refondation par les autorités maliennes d’une légitimité politique est en cale sèche », notait le chercheur Yvan Guichaoua dans Le Monde du 11 mai. Les « terroristes » pourchassés par « Barkhane » depuis trois ans viennent de se recomposer autour du prédicateur radical peul Hamadoun Koufa et du Touareg Iyad Ag-Ghali, qui vit sur la frontière du Mali et de l’Algérie, sous des protections locales.
« J’ai eu hier le président algérien Bouteflika au téléphone avant de survoler l’Algérie, par courtoisie, indique M. Macron. Je lui ai fait part de ma détermination sur le sujet et de mon souhait de pouvoir parler de manière très franche. » Le président évoque « une exigence renforcée à l’égard des pays du Sahel et de l’Algérie ». Selon lui, « on ne peut pas manifester quelque faiblesse que ce soit à l’égard de mouvements terroristes ». « Je n’enverrai pas nos soldats se fairetuer si tous les gouvernements responsables de la situation localement ne prennent pas l’intégralité de leur responsabilité », a-t-il dit.
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Ce nouveau mouvement, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), est considéré comme une menace résurgente très sérieuse, quatre ans après le début de l’intervention française au Mali. Le GSIM a revendiqué la dernière attaque qui a coûté une vie française, un sergent venu d’Angers, le 5 avril. Bamako voudrait négocier, Paris campe sur une posture ferme : « Nous serons intraitables, a assuré M. Macron à Gao. Nous avons besoin de poursuivre et d’accroître notre engagement. [Il] restera de haute intensité ici au Sahel comme dans d’autres opérations. »
Le président parle « d’accélérer » l’investissement français en l’appuyant sur les pays du « G5 » Sahel et les Européens. Mais, en attendant, les forces voudraient des soldats et des matériels, et des hélicoptères avant toute chose. Le problème est que la disponibilité de ces armements est insuffisante. Or ils sont la clé du succès au Sahel, estiment les militaires.
Besoin d’hélicoptères
L’opération ne « peut pas s’étendre plus car, compte tenu des distances, elle ne deviendrait plus qu’une opération de logistique », précise le général Xavier de Woillemont, commandant de « Barkhane ». « Les hélicoptères conditionnent toute la force », précise l’état-major, parce qu’ils permettent la réaction rapide en cas d’incident contre les forces maliennes et des raids simultanés des forces spéciales françaises en plusieurs points de la zone d’activité des groupes armés.
Dans ce domaine, les renforts de l’Allemagne, vantés par Paris, restent limités : les hélicoptères ne peuvent résister aux températures extrêmes de Gao, a révélé la presse allemande. Le renforcement évoqué par Paris pourrait conduire à des effectifs plus nombreux – Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la défense, a évoqué récemment une force « de 4 000 à 5 000 hommes » –, mais à condition que des hélicoptères supplémentaires arrivent. « Barkhane » va durer.
« Nos opérations sont longues, quinze à vingt ans », dit le général Pierre de Villiers, chef d’état-major. En 2016, 150 terroristes auraient été tués et « plus de 120 opérations ont été conduites avec les pays partenaires » de la région. En février, devant l’Assemblée, M. Le Drian rappelait que « de vigoureuses actions de contre-terrorisme sont menées en permanence ».
M. Macron a insisté devant son homologue malien, Ibrahim Boubacar Keïta, venu sur la base de Gao, sur « le continuum » entre l’action de « Barkhane » et le développement. Mais le sujet reste bien, à court terme, celui de la réponse militaire la plus ferme. Un des commandants de « Barkhane » indiquait en 2015 : « Mon rôle est de maintenir la situation sécuritaire à un niveau gérable pour les pays de la région et pour que le prochain président puisse disposer d’options. »
Pour l’heure, confie au Monde M. Le Drian, aujourd’hui ministre des affaires étrangère ,« je ne lui ai pas présenté d’options, je laisse le président se faire une idée de la situation ». M. Macron, lui, a précisé aux militaires : « Je protégerai l’institution militaire. Je la guiderai dans nos interventions. Ma confiance en vous est totale. »