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Au Mali, « la nouvelle équipe ne dispose pas d’un blanc-seing et doit répondre aux demandes du peuple »

Le pays doit retrouver au plus vite une normalité économique, sociale et politique, et un système démocratique performant, précise une trentaine de personnalités.

Tribune. Les événements du 18 août, notamment marqués par la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée nationale, par la démission du président de la République, par la mise en place, par l’armée, d’un Comité national pour le salut du peuple (CNSP) qui a annoncé une transition politique civile, peuvent constituer l’orée d’une nouvelle ère pour le Mali.

En effet, l’intervention militaire du 18 août, même sortant du cadre constitutionnel en vigueur, représente sans doute aux yeux d’une très large majorité de la population malienne une chance de remettre au centre du débat les réformes indispensables sans lesquelles le pays risque de basculer durablement dans un précipice. Cela semble également bien compris et soutenu par une grande partie des populations de l’Afrique de l’Ouest.

 

Au plan national, les premières décisions – absence de violence, condamnation des pillages, appel à la reprise des activités dans l’administration et dans les entreprises publiques et privées – sont un premier indice positif. Le lancement immédiat du processus de reconstruction politique, à laquelle toutes les composantes de l’échiquier politique et social sont conviées, en est un autre.

 

Au plan international, le respect des accords internationaux passés, le souhait de coopération avec les institutions régionales et internationales, la poursuite du partenariat avec toutes les forces armées appuyant le Mali, constitue aussi un troisième indice positif.
Il faut espérer que ces bons points de départ et l’a priori bienveillant que de nombreux Maliens accordent au CNSP conduiront tous les partenaires étrangers à lui accorder un délai raisonnable pour faire la preuve de ses bonnes intentions. Mais les défis qui attendent cette nouvelle équipe sont multiples. Deux chantiers majeurs s’imposent, avec la même urgence.

Le premier est celui des actions à mener immédiatement par une équipe gouvernementale de transition et dont on peut citer au moins quatre éléments.

1 – D’abord le renforcement de la lutte antiterroriste. Il revient à l’armée, qui a souvent été dénoncée comme l’un des points faibles du Mali face à des ennemis aguerris, de démontrer que ses troupes et ses officiers sont en mesure de trouver en eux-mêmes les ressources morales, techniques et matérielles pour reprendre l’avantage.

Ce combat doit être mené en parfaite intégration avec les actions des forces amies et être très vite accompagné d’un retour de l’administration dans les territoires reconquis. La lutte sera longue et difficile. Mais c’est le terrain privilégié sur lequel le Mali et son armée peuvent montrer un nouveau visage, reconquérir la confiance indispensable des populations et des partenaires.

2 – Le deuxième élément concerne l’arrêt nécessaire de l’hémorragie financière qui saigne le pays sous l’effet d’une corruption qui a emprunté tous les chemins imaginables et frappe la plupart des secteurs, et notamment les plus névralgiques. Il s’agit d’abord de récupérer, chaque fois que c’est possible, les sommes détournées aux dépens de l’Etat ou des entreprises publiques. Dans beaucoup de cas, les dossiers sont identifiés et les responsables connus. Il s’agit aussi d’empêcher la reproduction de telles gabegies : ici encore, les textes, procédures et contrôles adéquats existent souvent et permettront des améliorations rapides et notables s’ils sont tout simplement appliqués.

 

Les notions de moralité, de service public, d’exemplarité, de mérite sont désormais celles qui doivent être mises en avant dans le choix des hommes et dans les actes posés. Elles s’appliqueront à tous, dirigeants comme citoyens, et exprimeront la fin de l’impunité pour ceux qui se sont mis hors la loi. Il s’agira moins d’une chasse aux sorcières, peu conforme aux traditions nationales, que d’un changement profond de mentalité qui aura besoin du support de toutes les énergies.

3 – Le troisième élément pourrait être celui d’une rentrée scolaire réussie. Depuis des décennies, le secteur de l’éducation vit une lente descente aux enfers, ôtant à notre jeunesse, fer de lance de la contestation populaire, le goût de l’effort et d’une saine émulation en la plongeant dans le renoncement, voire le désespoir ou la criminalité. Enseignants, parents, élèves et étudiants, mais aussi entreprises et partenaires s’associeront sans doute et avec enthousiasme à tous les efforts qui seront accomplis par l’Etat pour que l’année scolaire et universitaire à venir s’engage et se déroule dans un esprit de mobilisation générale qui serait le premier signe de la refondation du Mali.

4 – Le quatrième élément serait de rassurer l’environnement régional sur les intentions de l’équipe de transition, compte tenu de la centralité du Mali dans l’espace de la Cédéao, avec cinq pays frontaliers au sein de la Communauté, en plus de deux autres frontières non communautaires

Le deuxième chantier est celui qui, à court terme, conduira au retour du Mali dans une normalité économique, sociale et politique. Ici encore, les enjeux sont multiples et certains sont encore à définir. Trois d’entre eux apparaissent toutefois prioritaires.

1 – L’un est économique et financier. Les années récentes ont été marquées, en particulier sur ce plan, par l’absence d’une stratégie de développement à moyen terme soigneusement conçue, justifiée et expliquée à la nation, par l’inexistence d’une programmation cohérente des investissements et actions propres à atteindre les objectifs retenus, par le non-respect des calendriers et des coûts des actions annoncées, par une opacité croissante des comptes publics. Cette déliquescence tous azimuts traduisait la déconnexion totale entre les intérêts des dirigeants et ceux de la nation et de sa population.

 

Le pays doit très vite reprendre possession de son destin en tous ces domaines en prenant le contre-pied des pratiques anciennes. Les compétences existent pour appuyer les organes de la transition et aider l’administration à mettre en place un « programme d’urgence » à cet effet. Celui-ci devrait logiquement bénéficier du soutien des partenaires techniques et financiers, qui connaissent bien la situation délabrée du pays et ceux qui en portent la responsabilité. Ce programme serait ensuite relayé par un autre plus ambitieux et de moyen terme, qui sera adopté par les futures autorités constitutionnelles du pays.

2 – Le deuxième enjeu concerne à la fois l’économie et la société et pourrait être focalisé sur la décentralisation. Le Mali est composé d’une mosaïque d’ethnies : toutes sont fermement attachées à leur identité mais, du fait de leur proximité culturelle, leur coexistence pacifique est une tradition séculaire et une particularité forte du Mali. Cette diversité n’empêche pas non plus le fort sentiment d’une nation malienne, qui est ancrée dans tous les esprits et a résisté à bien des orages.

Cette dualité doit être mieux prise en compte par une meilleure représentativité des diverses autorités de chaque région et l’octroi à celles-ci de plus grands pouvoirs. Il en résultera de nombreux avantages : décisions plus rapides et tenant mieux compte des besoins locaux, plus grand épanouissement des citoyens, opportunités accrues de revitalisation des territoires, intensification des équipements publics dans les régions, ralentissement possible de l’exode rural et de l’émigration, surtout des jeunes.

 

Les exigences pour un succès de cette stratégie sont lourdes et connues : attribution aux responsables locaux de moyens financiers en harmonie avec leurs nouvelles missions, contrôle adéquat des décisions prises, absence de remise en cause locale des orientations nationales sur les questions régaliennes. La particularité de notre situation donne une occasion exceptionnelle de réaliser d’importants progrès, avec audace mais fermeté, sur ce thème majeur.

3 – Enfin, le troisième enjeu, le plus important et le plus délicat, est politique et a trait au retour, dans les meilleurs délais, à un système démocratique performant, ancré dans les valeurs maliennes, espéré par tous. Car, pour ne pas retomber dans les crises régulièrement subies par le Mali, il est requis de transformer profondément le fonctionnement des institutions, le mode d’accès de ceux qui les dirigeront et les conditions posées pour cet accès. La démocratie ne peut être viable avec plus d’une centaine de partis, dont les plus petits ne sont que virtuels et les plus grands souvent dénués de programme économique et social, et essentiellement rattachés à une personnalité.

La démocratie ne peut être performante si des conditions plus contraignantes, surtout relatives à la qualité des candidats, ne sont pas posées lors de toute élection. La démocratie ne peut être représentative si chaque élection réunit beaucoup moins de votants que la moitié des électeurs inscrits. La démocratie ne peut être crédible si les citoyens ne sont pas capables de discerner les fausses promesses des objectifs réalistes, soit par manque de compréhension soit parce qu’ils ne se sentent pas concernés.

 

La démocratie ne peut être honorable si des sanctions ne menacent pas ceux qui ne respecteraient pas les règles du jeu, surtout s’ils les ont eux-mêmes posées, et si chacun peut constater l’impunité des fautifs. La démocratie ne peut être inclusive si elle ne réussit pas, d’une manière encore à inventer, à associer les populations, surtout les jeunes et les femmes, de tous les horizons géographiques, ethniques, religieux, sociaux à la désignation des représentants du pays.

Enfin, la démocratie ne peut être honnête si elle ne tient pas compte des possibilités financières du pays en ne gonflant pas à l’excès le nombre et l’effectif des institutions. Si l’on veut faire œuvre utile et durable pour l’avenir, la mise en œuvre de ce très ambitieux projet s’impose et il pourrait conduire à une nouvelle Constitution et donc à une quatrième République. Il doit être mené par une équipe de transition, désignée très vite selon une Charte de la Transition, qui aura à s’effacer lors des élections à venir. Cette équipe devra agir avec rapidité mais sans précipitation – pourquoi ne pas investir le nouveau président le 4 septembre 2023 ? –, et faire preuve, à tout moment d’exemplarité, de probité, d’indépendance d’esprit, mais aussi d’imagination et de réalisme.

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Comme on le voit, le CNSP, s’il veut répondre aux demandes du peuple malien, ne dispose pas d’un blanc-seing. Les défis qu’il doit relever sont redoutables et la surveillance des citoyens sera désormais permanente. Mais les censeurs, qui ramènent encore aujourd’hui la crise malienne à une simple question d’inconstitutionnalité de notre situation et refusent l’évidence, doivent avoir l’intelligence, et l’honnêteté, d’admettre qu’ils se trompent.

En laissant le Mali s’efforcer d’apporter lui-même les réponses aux difficultés qu’il subit depuis trop longtemps, ils apporteront sans doute un plus grand service aux communautés qu’ils représentent. Les Maliens ont montré en d’autres occasions qu’ils étaient prêts à aller jusqu’au sacrifice ultime pour une cause qui leur paraissait juste. C’est bien cette ferveur qui les anime aujourd’hui.

Mossadeck Bally, président fondateur du groupe Azalaï ; Bally Maïmouna Sow, expertise et consultance internationale ; Moussa Bagayoko, promoteur et dirigeant des sociétés Yélé en France, au Mali et au Burkina Faso ; Arwata Benbaba, médecin cardiologue. promoteur et directeur de la polyclinique Pasteur ; Benbaba Jamila Ferdjani, cheffe d’entreprise, promotrice et administratrice de Laham Industrie ; Abdoulah Coulibaly, président de l’IHEM (université) et du Forum de Bamako ; Mariam Coulibaly N’Diaye, ancienne représentante de l’Unicef au Sénégal ; Ramatoulaye Traoré Derreumeaux, administrateur et dirigeante d’institutions financières ; Paul Derreumeaux, économiste, dirigeant de banques et d’institutions financières, fondateur du groupe Bank of Africa ; Thiam Aya Diallo, ancien ambassadeur du Mali, ancien représentant du Mali auprès des Nations unies, ancien PDG des aéroports du Mali ; Cheickna Dibo, enseignant, chercheur, formateur en cycle universitaire en France, adjoint au maire d’Alençon ; Modibo Dicko, spécialiste en énergie solaire, ancien coordinateur de programme à l’OMS ; Aminata Diobaye Sidibé, administratrice de sociétés ; Bassirou Diop, ancien directeur exécutif IBM Afrique, ingénieur informaticien, consultant ; Lalla Badji Haïdara Touré, ancienne conseillère régionale de l’Unaid au Sénégal ; Fatoumata Keïta Ouane, ancienne fonctionnaire du Programme des Nations unies pour l’environnement ; Ibrahima Sory Makanguilé, conseiller fiscal, administrateur d’Ecobank Mali ; Habib Ouane, ancien ministre de l’énergie et de l’eau du Mali, ancien directeur de cabinet de la Cnuced ; Makhan Dado Sarr, ancien secrétaire exécutif adjoint de la Commission économique des Nations unies en Afrique ; Birama Sidibé, ancien vice-président de la Banque islamique de développement, ancien haut cadre de la Banque africaine de développement ; Mamadou Sidibé, administrateur de sociétés, ancien président du patronat du Mali ; Sokona Khanata Traoré, consultante ; Youba Sokona, conseiller spécial du développement durable au Centre Sud à Genève et vice-président du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) ; Moustapha Soumaré, ancien représentant adjoint du secrétaire général des Nations unies chargé des politiques à la mission des Nations unies au Soudan du Sud ; Amadou Sidiki Sow, administrateur de sociétés Investim, Albatros Energie, Ecobank Mali ; Sadio Lamine Sow, ancien ministre des affaires étrangères du Mali ; Ousmane Sy, ancien ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation du Mali, expert en questions institutionnelles, président de Cepia ; Adam Thiam, éditorialiste Arawane Communication ; Ousmane Thiam, PCA Bicim, groupe BNP Paribas, administrateur de banque, Mali, Sénégal, Guinée, ancien ministre des investissements, PME du Mali ; Amadou Traoré, ambassadeur, ancien représentant de l’Union européenne ; Hamadoun Touré, ancien ministre de la communication du Mali, et Moctar Touré, ancien directeur exécutif du programme spécial pour le renforcement de la recherche agricole en Afrique, Banque mondiale.

Source: lemonde

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