Le mardi dernier, tard dans la soirée, le président Ibrahim Boubacar Keita a annoncé dans un message radio-télévisé, sa démission, la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée nationale. Epilogue d’un régime qui auramontré pendant sept ans toutes ses limites. Retour sur les gros échecs d’Ibrahim Boubacar Keita, un président qui aura mené l’Etat du Mali dans un gouffre.
L’espoir né le 19 septembre 2013 s’est estompé au fil du temps. Désillusion, déception, découragement et pessimisme à l’intérieur, érosion de la crédibilité extérieure du pays, tels sont les éléments constitutifs de la réalité malien aujourd’hui. Sept ans après l’entrée en fonction du président, le Mali va très mal. Les années qui viennent de s’écouler ont été sept années perdues pour le Mali. Rien de concret n’a été réalisé : ni intégrité du territoire, ni unité nationale ni réconciliation, ni paix, ni stabilité, ni décollage économique, ni reconstruction de l’État. L’incapacité du président et d ses gouvernements à faire face à la situation se passe de commentaires.Le malaise était profond et tout au long de ses mandats,il a fait face à une vague de manifestations et de contestations : les grèves des enseignants, des magistrats, des médecins, les manifestations contre les massacres dans le centre du Mali…des échecs dans tous les domaines. Des preuves existent pour étayer l’échec de celui-là même qui se disait être le messie que les Maliens attendaient.L’on devrait insister particulièrement sur son incapacité à résoudre la crise du nord qui fut le principal facteur qui a impulsé son élection en 2013.
Incapable de sécuriser le pays
Le 4 septembre 2013, fraîchement élu, le président IBK a juré de garantir l’unité nationale, l’indépendance de la patrie et l’intégrité du territoire national. Sept ans après, au-delà des paroles dont le pays est régulièrement abreuvé, l’unité nationale, l’indépendance de la patrie et l’intégrité du territoire national restent des vœux pieux. De toute évidence, le garant constitutionnel de l’unité nationale a échoué dans sa tentative de restaurer la paix et la stabilité, singulièrement pour ce qui est du Nord, où la souveraineté de l’État reste contestée par divers groupes armés malgré la signature de l’accord de paix qui peine à s’appliquer.
Le Centre du pays s’est embrasé. La situation explosive dans la région de Mopti n’a pas reçu l’attention nécessaire et le traitement adéquat du pouvoir en place. De la première attaque contre Nampala en janvier 2015 à la brève occupation de Boni en septembre 2016, les Maliens n’ont pas vu ce que le président de la République a tenté pour désamorcer la bombe du Centre et résoudre la crise qui couvait. De revers en revers, les FAMAS ont payé un lourd tribut à de l’inexistence d’une stratégie claire qui aurait dû être définie par IBK. De façon générale, pendant le mandat du président, il y a eu plus de morts au Mali du fait du conflit que pendant les 60 années précédentes, de 1960 à 2020. En effet, la comptabilité macabre donne des frissons : 115 morts de septembre à décembre 2013 ; 306 morts de janvier à décembre 2014 ; 538 morts de janvier à décembre 2015 ; 352 morts de janvier au 15 septembre 2016 ; et plus de 1200 morts de janvier 2017 à nos jours. Au total, au moins 2200 civils, militaires maliens et étrangers ont perdu la vie dans notre pays depuis les débuts du mandat du président.
Face à cette situation désastreuse, IBK et son gouvernement font la politique de l’autruche. Et, chaque fois que le chef de l’Etat a fait des déclarations va-t-en guerre, un petit communiqué des rebelles a suffi pour qu’il revienne sur terre. Ceci est l’œuvre du candidat à la présidentielle de juillet 2013 qui avait fait la promesse de mater la rébellion. Il avait rejeté toute idée de dialogue avec « les gens armés ». « Aucun bandit ne se hissera à mon niveau… On ne me trimbalera pas… ». Ce sont là, entre autres discours entendus à Koulouba.Mais, après la débâcle de Kidal, en mai 2015 suite à la visite controversée du Premier ministre de l’époque, Moussa Mara, le chef de l’Etat change son attitude vis à vis des groupes armés qui sont désormais conviés à des banquets au palais présidentiel de Koulouba… C’est avec plaisir et tous les honneurs qu’il reçoit les délégations des criminels du Mnla et consorts, alors que ceux-ci squattent encore les locaux de l’administration à Kidal et s’opposent à toute reprise en main du Mali sur cette région. Au même moment, les discours hypocrites nous font croire que le Mali est libéré de la rébellion et qu’il ne reste que l’emprise djihadiste. Pire, sous IBK, des criminels sont libérés, tout en faisant croire, la main sur le cœur, que les crimes seront punis.
Paupérisation générale
Depuis l’arrivée du président Ibrahim Boubacar Keïta au pouvoir, un fossé s’est instauré dans le pays. Il y a d’un côté le monde des riches, constitué autour du chef de l’Etat, sa famille et ses affidés; et celui des pauvres, auquel appartient la grande majorité des Maliens. Ce fossé a été créé par un régime qui, à travers des discours, promettait l’égalité des chances et surtout d’assurer le bonheur de tous. Loin d’honorer sa parole, IBK a plutôt favorisé l’émergence d’un nouveau type de pauvres. Il s’agit des Maliens qui ont tronqué leur dignité contre l’appât du gain facile et la supercherie pour pouvoir juste subvenir à leurs besoins. « Nous sommes tous devenu des mendiants », ironise Seyba, un jeune de 30 ans qui situe la source du mal dans la mauvaise gouvernance instaurée sous IBK. Selon lui, les jeunes maliens hument quotidiennement la mort, étant tous tentés par l’aventure incertaine qu’est le braquage et autres actes de délinquance.De nombreux jeunes diplômés (des maîtrisards en grand nombre) vivent dans des conditions difficiles et s’adonnent à des activités peu rémunératrices: des travaux de nettoyage, de gardiennage, de l’entretien de l’immobilier public, etc. Faute de mieux, beaucoup de jeunes restent confinés à ces activités, à cause de la crainte permanente qu’on ne mette fin à leurs contrats.
Aujourd’hui, «c’est dur ! Il faut se priver». Le cri de détresse est d’un chauffeur de taxi, qui ne sait plus à quel saint se vouer. Même les fonctionnaires de l’Etat, censés sentir moins les effets drastiques de ce marasme économique, crient leur désarroi. La majorité d’entre eux étant confinés dans une situation qui se caractérise par des salaires bas. Un haut responsable déclare : « la vie dans ce Mali est dure ».Selon lui, il faut avoir les reins solides pour s’en sortir. A la moindre des choses, dit-il, on pète les plombs. Parlant des raisons de cette paupérisation généralisée, il indique que «les dirigeants actuels ont tourné le dos au peuple ». En clair, les gouvernements ont fait du « Mali une orange qu’il jette après l’avoir sucée », à laquelle nul ne goûtera que leurs parents, proches et laudateurs.
En définitive, les conditions de vie des Maliens se dégradent de jour en jour. Concernant cette précarité, voici ce que témoigne un commerçant : « Les Maliens vivent aujourd’hui un véritable calvaire. En plus de la pauvreté, on est exposé à une insécurité grandissante. Au grand marché, certains commerçants ont fermé boutique. Pour écouler un produit d’une valeur de 50. 000 F CFA, il faut parfois plus d’une semaine.
Les conséquences de cette situation sont notoires : divorces, déperdition des enfants, etc. Sans commentaire ! « Je vends des accessoires pour les voitures, dit Alexis Dembélé. Mais en ce moment, je ne vends rien. Les gens ne dépensent plus leur argent que pour acheter à manger ». Certains commerçants de ce marché de la capitale nous ont affirmé que la nuit, ils font le gardiennage pour pouvoir subvenir aux besoins de la famille.
Au même moment, les entreprises sont obligées de mettre leurs agents au chômage technique et des populations sont ainsi privées de leurs revenus. Pour tous, les difficultés s’accumulent.
Pis, l’insécurité et la corruption gagnent du terrain, engendrant la fuite des capitaux.
Il faut dire cette situation, avec ses conséquences économiques et sociales dévastatrices, a débuté depuis le coup d’Etat du 22 mars et l’occupation du nord du Mali par des groupes islamistes armés. Mais sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta, le Mali vit les pires moments de son existence. La forte demande sociale, manifestée à travers une cascade de préavis de grèves, est l’expression d’un malaise profond qui existe partout dans le pays.
Mauvaise gestion et scandales
Le peuple a, en effet, découvert un régime corrompu avec des scandales à gogo, des voyages princiers à l’étranger, une armée affaiblie et moins équipée, une méthode de gouvernance qui met la famille et les affidés au centre de la gestion des affaires publiques, une insécurité grandissante et l’éloignement de tout espoir de paix.De 2013 à nos jours, le président et son gouvernement ont essuyé de sévères critiques relatives à la mauvaise gestion des ressources publiques. L’opposition politique, des associations et même le Fonds monétaire international (FMI) ont mis le doigt sur plusieurs scandales de surfacturation et de corruption. Ces scandales largement connus n’ont, jusqu’ici, fait l’objet d’aucune sanction.
Or, dans son projet « Le Mali d’abord », le candidat IBK avait promis la « Tolérance zéro » en matière de corruption et de vol de deniers publics. La généralisation de la corruption a pour effet de freiner le développement global du Mali. Conséquence : le peuple malien est dans un état de dénuement généralisé. Parce que les ressources financières qui auraient dû être injectées dans le développement du pays et la gestion du quotidien des Maliens ont été allouées à des fins de privilèges.
Budget de présidence en constante augmentation, pléthore de ministres et de responsables (ayant rang de ministre) avec leur coût exorbitant pour l’Etat, frais divers de l’Assemblée nationale, incessants voyages présidentiels à l’étranger, frais de bouche à Koulouba… Le trésor public malien ploie sous le coût des dépenses liées à l’entretien des princes du jour.
Le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta mène un train de vie monarchique. Si on ajoute les attitudes de mégalomanie des membres du gouvernement, on peut bien comprendre pourquoi le tiers voire la moitié du budget du Mali peut être dilapidé dans la prise en charge de la classe dirigeante. La réduction du train de vie de l’Etat, chanté depuis l’accession d’IBK au pouvoir, n’est en réalité que vain mot.
Alors qu’on demande aux Maliens de se serrer la ceinture, les cabinets ministériels s’offrent des augmentations faramineuses. Le gouvernement ne connaît pas la crise, dit-on. Des missions sont parfois organisées pour permettre juste au ministre et sa suite pléthorique d’empocher des perdiems…
Cependant, ces dernières années, le premier poste de dépenses pointé du doigt est la présidence de la République. Déçus et très amer, beaucoup de Maliens estiment aujourd’hui que le président s’est hissé au pouvoir pour son « bonheur », son bien être personnel « d’abord », celui de sa famille et du clan. En effet, le train de vie hors norme du président reste inquiétant dans un pays en crise et en conflit.
Mémé Sanogo
L’Aube