Dans la foulée de la fête de Saint-Sylvestre 2024, un prédicateur salafiste dont les propos ont été diffusés sur des plateformes sociales, a heurté la sensibilité de la communauté chrétienne en qualifiant les chrétiens de mécréants qui ne méritent pas qu’un musulman authentique leur adresse ses salutations, et que tous les musulmans qui célébreraient les fêtes chrétiennes iront en enfer sauf s’ils se convertissent à nouveau à l’islam.
Cette violence verbale a suscité des réactions chez les chrétiens sur les réseaux sociaux et les tensions étaient telles que la justice a décidé d’interpeller l’imam. Il a été suivi par un pasteur.
En effet, au lendemain de la convocation du prédicateur salafiste, certains individus ont tronqué plusieurs extraits vidéo des adresses du pasteur datant de 5 ans et à des circonstances diverses, faisant croire que ce dernier s’attaquait à l’islam et à ses symboles. Toute chose qui a vite irrité les musulmans qui ont manifesté leur colère sur les réseaux sociaux. Le procureur ne tardera pas à le convoquer à son tour pour avertissement.
Un conflit interconfessionnel évité
Les médias ont joué un grand rôle à déconstruire ce montage grotesque qui avait failli provoquer un conflit interconfessionnel. « Avant, nous vivions côte à côte sans nous demander si l’autre était musulman, chrétien ou animiste. Aujourd’hui, la méfiance s’installe », témoigne Mariam, une enseignante à Mopti.
Les rumeurs malveillantes, souvent diffusées sur les réseaux sociaux ou dans certains cercles fermés, accusent tour à tour des communautés d’intentions malveillantes ou de pratiques supposément « hérétiques ». En quelques heures, une fausse information peut embraser un quartier.
Selon plusieurs experts, les jeunes Maliens, confrontés au chômage et à l’absence de perspectives, constituent une cible privilégiée de ces discours. « Certains trouvent dans des narrations simplistes un exutoire à leur frustration », explique de son côté Ousmane Traoré, sociologue à l’UNFPA. Pour lui, « des prêcheurs extrémistes exploitent ce terreau fertile pour radicaliser des jeunes, parfois jusqu’à les pousser vers des groupes armés opérant dans le Centre et le Nord du pays ».
« Dieu merci, le Mali n’a pas encore sombré dans des conflits interreligieux et interconfessionnels, mais, déjà, nous avons vu des cas de lieux de culte attaqués, des leaders religieux menacés pour leurs prises de position jugées trop modérées, des communautés chrétiennes ou même musulmanes contraintes de quitter certaines régions rurales », ajoute notre sociologue.
« Les réseaux sociaux sont un espace public où des sujets sur la religion sont constamment abordés par des gens. Dans ce contexte, des opinions malveillantes et des discours haineux sont propagés par des individus dont l’objectif est de créer une différence entre les humains à travers la foi. Ce faisant, on n’hésite pas à désinformer ou manipuler pour y parvenir », explique Mamadou Sékou Traoré, Reporter au journal « La Nouvelle Alliance ».
« Dans tout groupe religieux, il y a toujours des fanatiques et cela favorise les discours haineux liés à la religion. Au-delà, les récents événements ont poussé des chrétiens à tenir des paroles haineuses et certains voulaient s’en prendre aux musulmans. Les conséquences les plus visibles c’est l’engagement de certains jeunes de notre communauté au Collectif : ‘Touche pas à ma religion’. Ensuite des vidéos faites par certains chrétiens pour répondre aux messages haineux des autres », déclare Abbé Marcel de la Paroisse de Ségué dans la région de Mopti.
Actions contre les narratifs mensongers et haineux
« Ces dernières années, ajoute-t-il, nous avons constaté une amélioration des relations entre les différentes religions. Au niveau de Mopti, les ONG ont organisé de nombreuses formations des leaders religieux à la paix. Ces formations ont permis aux différents leaders religieux de se connaître et de tisser des liens d’amitiés, dépassant ainsi les préjugés. Nous avons aussi organisé deux forums des jeunes catholiques, protestants et musulmans ».
« Les discours haineux affectent la paix et la cohésion sociale en ce sens où ils divisent, fâchent et poussent les autres à réagir, à s’en vouloir et à se faire du mal. On ne peut pas parler de paix et de cohésion là où il y a la division et les énervements », ajoute Emmanuel Sagara, président du Mouvement des cadres et responsables croyants (MCRC), une association au départ catholique, mais qui a développé un projet « Jissira », la route de l’eau, pour lutter contre les discours de haine et promouvoir la cohésion religieuse.
Selon Abdoul Niang, journaliste, « ces dernières années ont été marquées par l’amplification des messages, voire des campagnes de haine sur les réseaux sociaux, particulièrement contre les chrétiens. Ce sont surtout des prédicateurs salafistes qui s’adonnent à ces pratiques. Au Mali, ce sont les Kémites et les chrétiens qui sont les principales victimes de la désinformation religieuse. Les communications religieuses émanant des mosquées d’obédience salafiste ont tendance à les décrire comme des mécréants qui ne sont pas dignes de l’amitié ou de la collaboration des musulmans. Ils doivent, selon ces narratifs mensongers, renoncer à leur foi sous peine d’en subir les conséquences. C’est l’idéologie terroriste qui soumet notamment les chrétiens du cercle de Koro au paiement d’une taxe (Jiziya). Les contrevenants s’exposent à l’expulsion ou à la mort ».
« Le rôle de la Hac est de réguler tous les secteurs de la communication. Nous avons aussi pour mission de favoriser l’expression de la diversité et des opinions, de promouvoir le respect de la liberté de la presse et de la liberté d’expression, d’autoriser les services privés de communication audiovisuelle comme par exemple toutes les télés qui viennent ici pour avoir l’autorisation. Nous jouons le rôle de veille sur tout ce qui se passe et de sanction si les normes ne sont pas respectées. Nous faisons aussi des sensibilisations pour que les journalistes eux-mêmes s’approprient les textes. Quand nous prononçons des sanctions qui sont susceptibles de recours, l’organe peut contester devant la Hac, ce qui est appelé le recours gracieux, ou devant la Cour suprême », souligne Béchiry Diop, membre de la Hac, président de la Commission médias et technologies de l’information et de la communication.
Aminata Agaly Yattara
Ce reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les droits humains (JDH) au Mali
Source : Mali Tribune