Les contrevenants déploient une énergie toute particulière pour s’opposer aux contrôleurs. Quitte à recourir à l’agression et à l’intimidation
Il y a quelques mois, la police burkinabé avait saisi 1300 tonnes de soda périmé et conditionné en canettes. L’affaire avait défrayé la chronique locale, mais elle avait aussi suscité des inquiétudes bien au-delà des frontières de nos voisins de l’est. «Sommes-nous à l’abri d’une telleaffaire au Mali?», se sont légitimement interrogés beaucoup de nos compatriotes.La réponse est négative, telle qu’elle est formulée parcertains spécialistes de la sécurité sanitaire des aliments.Pour ces experts, de trop nombreuses mauvaises pratiques sont là qui mettent en danger la santé des consommateurs. Bamba Keïta, le chef de la division Santé publique à la direction régionale des services vétérinaires du District, cite l’exemple d’une usine de reconditionnement du lait en poudre, installée dans la Zone industrielle à Sotuba. En plus de cette activité, cette usine fabrique du détergent. « Deux produits antinomiques se côtoient donc à l’intérieur du même bâtiment. Cette situation a été découverte à la faveur d’une mission d’inspection », souligne notre interlocuteur qui ajoute que les enquêteurs avaient décidé ce jour-là de fermer temporairement la fameuse unité industrielle. Mais la décision n’a pu être exécutée. Le propriétaire a en effet signifié sans ambages et de manière péremptoire aux enquêteurs qu’ils n’avaient pas ce pouvoir.
Les agents de l’Etat sont impuissants aussi, explique Bamba Kéïta, à sanctionner les commerçants qui disposent d’un matériel leur permettant de falsifier les dates de péremption des marchandises.Pour appuyer ses propos, le technicien nous montre un sachet rempli de produits dont les dates de péremption ont été modifiées. Le modus operandi est connu d’un peu tout le monde. Des opérateurs économiques indélicats s’arrangent pour importer dans notre pays des produits avariés, retirés des rayons des grandes surfaces à l’étranger. Puis ils en maquillent les dates depéremption. C’est ainsi que procède une unité industrielle spécialisée dans lafabrication des produits alimentaires laitiers en Zone industrielle.
Bamba Kéïta se souvient qu’en 2006 la direction régionale des services vétérinaires de la capitale avait épinglé cette usine pour l’introductiondans notre pays frauduleuse de 25 tonnes de lait en poudre avarié en provenance de la Côte d’ivoire. Selon les renseignements reçus en provenance de ce pays,ce stock de lait avait été sorti des rayons d’une grande surface à Abidjan, parce qu’impropre à la consommation. Malgré la résistance du propriétaire, appuyé par un élu communal, la direction régionale des services vétérinaires a réussi à mettre le stock sous scellé dans son magasin avant de procéder à sa destruction.
LES CONTRÔLEURS SÉRIEUSEMENT MOLESTÉS. Notre interlocuteur déplore le fait que ses agents se heurtent très souvent sur le terrain aux interventions des responsables politiques. « Cela encourage les comportementsd’hostilité et de défiance à l’égard de l’autorité »,se désole Bamba Kéïta. Le technicien évoque à ce propos les remous qui ont récemment agité le marché de Diafarana à Hamdallaye. Les agents des services de contrôle, accompagnés de deux éléments de la police, en mission de contrôle de routine dans ce marché, se sont retrouvés nez à nez avec des bouchers qui transportaient des carcasses de bœufs destinées à la vente. Après avoir décliné leur fonction aux jeunes bouchers, les contrôleurs ont demandé à vérifier la qualité de la marchandise. Le contrôle a permis de découvrir sur la viande en question des indices de tuberculose animale, une pathologie hautement contagieuse. Les contrôleurs ont alors procédé à la saisie provisoire du produit, le temps deprocéder en laboratoire à des tests plus approfondis. Maisune grande partie de la viande (deux cuisses) avait étédéjà transportée au marché. Les agents ont expliqué aux bouchers qu’il faudrait retirer des étals la viande déjà proposée à la vente.
Les bouchers ont fait mine de coopérer, mais une fois à l’intérieur du marché, ils ont ameuté la foule en criant :« Levez-vous, sinon ils vont nous retirer notre viande ». Aussitôt, les agents ont été assaillis par une foule déchainée. Le policier qui avait accompagnéles agents au cœur de la structure avait fort heureusement gardé son sang-froid et s’était abstenu de faire usage de son arme réglementaire. Mais il n’a pas pu s’opposer à la foule qui a molesté copieusement l’équipe de contrôle. Il a fallu qu’intervienne un autre policier qui était resté à l’entrée du marché. Celui-ci a tiré plusieurs coups de feu en l’air pour disperser la foule et porter secours aux contrôleurs. Dans la confusion, des projectiles venus on ne sait d’où ont atteint aux jambes certains manifestants et un contrôleur. Les marchands ont porté plainte contre la direction régionale des services vétérinaires.
Selon Bamba Kéïta, le risque sanitaire est très élevé dans la consommation de la viande. « Il y a encore peu, nous avons appréhendé un boucher en possession d’un cachet des services vétérinaires frauduleusement extrait d’un abattoir de la place», révèle-t-il.
Les spécialistes de la sécurité sanitaire des aliments sont intarissables sur leurs accrochages avec des fabricants et des importateurs indélicats. Le chef de la division de coordination des services de contrôle à l’Agence nationale de sécurité alimentaire (ANSSA), Adama Sangaré, se souvient ainsi du cas de ce gros importateur qui avait fait venir dans le pays une grande quantité d’adjuvant culinaire d’origine bovine. L’homme avait sans état d’âme violé l’interdiction d’importer tous les produits d’origine bovine en provenance de l’Europe où avait éclaté l’affaire de la vache folle.
Le directeur national du Commerce et de la concurrence, Modibo Kéïta, confirme lui aussi que la vente de produits de consommation avariés se poursuit. « A un moment donné, les magasins de la direction régionale du Commerce et de la concurrence du District étaient remplis des produits avariés introduits sur le marché de la capitale à l’initiative des opérateurs économiques véreux », indique-t-il en précisant qu’il s’agissait essentiellement des produitsen conserve. « Ces produits avaient été retirés par nous des rayons de certains commerces, et pas des moindres. D’autres ont été enlevés de magasins dont l’existence avait été tenue secrète. Le propriétaire pensait profiter de l’inattention des services de contrôle pour écouler rapidement sa marchandise avariée sur le marché », confie le directeur national qui explique que les fraudeurs exploitentgénéralement lecréneau de la petite distribution. Ils écoulent une bonne partie de la marchandise douteuse sous le couvert des opérations de promotion dans les bureaux et dans la circulation.
UNE COOPÉRATION PROBLÉMATIQUE.Le directeur national du Commerce et de la concurrence assure que ses services veillent au grain, même si la tâche est immense. Il déplore tout particulièrement le fait que la procédure de destruction des marchandises saisies, esttrès longue.
Mais si les choses se passaient normalement, les produits avariés ne devraient pas se retrouver sur le marché, fait observer le chef de la division de coordination des services de contrôle à l’ANSSA, Adama Sangaré. « A priori aucun produit ne doit être en vente s’il n’est pas muni d’une autorisation de mise sur le marché de denrées alimentaires.Cette autorisation est délivrée au terme d’une longue procédure de vérification portant sur plusieurs aspects du produit pour lequel l’autorisation est demandée », explique le technicien qui précise que le feu vert donné peut être retiré à tout moment. « Il suffit que le contrôle révèle par la suite que la denrée présente des dangers pour la santé des consommateurs. Alors, la commission nationale des autorisations de mise sur le marché des denrées alimentaires, dont le secrétariat permanentest assurée par l’ANSSA, procède au retrait pur et simple de l’autorisation », souligne-t-il.
Mais il est important de signaler quel’autorisation est donnée pour une période de 5 ans,fait remarquer le secrétaire permanent de la commission,Fana Coulibaly.
Cette disposition est complétée par une autre réglementation, qui stipule qu’aucun produit alimentaire ne doit entrer au Mali s’il n’est muni d’un certificat d’origine. Il peut également arriver qu’en sus du certificat d’origine, les contrôleurs sanitaires procèdent à des prélèvements inopinés des échantillons en vue de procéder à des vérifications supplémentaires au cas où ils auraient des doutes sur la qualité du produit en question. Ce type de contrôle a priori a lieu à l’entrée des frontières et des aéroports. Dans les conditions normales, les agents des Douanes ne doivent intervenir qu’après la main levée des agents sanitaires aux frontières.
Mais, selon Adama Sangaré, ce n’est toujours pas le cas. La collaboration des administrations intervenant sur la même matière est parfois problématique, déplore-t-ilen rappelant que cette collaboration est pourtant consacrée par les textes qui régissent le contrôle sanitaire des aliments.
Rares sont les services publics qui répondent aux avis de réunions statutaires des différentes commissions de travail créées à cet effet, critique Adama Sangaré qui rappelle que la mission de contrôle est dévolue aux services de contrôle des directions nationales de l’agriculture, des services vétérinaires, de la pêche, du commerce et des douanes. Un filet au travers des mailles duquel les tricheurs ne devraient pas passer. En principe.
A. O. DIALLO
source : L Essor