Parmi ces cas emblématiques il y’a : la disparition forcée de Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko, Kassoum Touré, et Abdoul Karim Camara dit CABRAL. Tous ont été enlevés, torturés, assassinés et faire disparaitre leurs corps par l’armée malienne, d’après les victimes. La particularité de cette troisième audience publique est que toutes les victimes ont accepté de pardonner à leurs bourreaux mais, réclament justice et demandent à ce que les lieux des sépultures leurs soient indiquées, afin de rendre un culte aux morts, faire leurs deuils et se libérer psychologiquement et moralement de ce lourd fardeau qui pèse sur elles depuis des années. Lisez plutôt quelques témoignages très douloureux des victimes qui ont accepté de briser le silence sur leurs drames, afin d’édifier la population et faire un pas vers la réconciliation. C’est avec les larmes aux yeux et beaucoup d’émotion, que toute la salle du CICB, a écouté attentivement les différents témoignages des familles des victimes des disparitions forcées de 1960 à nos jours. Il s’agit de Fily Dabo Sissoko ; Hamadoun Dicko et Kassoum Touré.
Les trois s’étaient jamais opposés à la création de ce Franc Malien
Selon Oumar Hamadoun Dicko, El-Hadj Boua Kanté Sissoko et Mamadou Touré, Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko et Kassoum Touré ont été enlevés à Bamako, par l’armée malienne, en 1962, puis envoyés en prison centrale de Bamako, battus et torturés chaque jour pendant des mois, avant d’être envoyés à Kidal en 1963 afin de purger une peine de travaux forcés à perpétuité. « Leur seul malheur était de dire au Président Modibo Keita que son projet du Franc Malien était venu trop tôt pour être mis en place. Puisque le Mali venait d’accéder à l’indépendance. Son économie pouvait être négativement influencée par les pays limitrophes qui utilisaient tous le CFA. Sinon les trois disparus ne s’étaient jamais opposés à la création de ce Franc Malien, encore moins le saboter comme beaucoup le pensent», précisent-ils.
Selon eux, bien que ces trois disparus fussent des amis fidèles et compagnons du feu Président Modibo Keita, ils ont été condamnés par un tribunal populaire. «Jean-Marie Koné, ayant appris la nouvelle des tortures qu’ils subissaient à la prison Centrale de Bamako, a pris sa voiture, est monté à Koulouba pour demander l’arrêt des tortures au feu Président Modibo Keita. Mais ce dernier est resté inflexible. Même la pression de différents Présidents africains à l’époque, Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire, Léopold Sédar Senghor du Sénégal et bien d’autres, n’a pas fléchi la position du président Modibo Keita, qui avait préféré les tortues inhumaines et dégradantes de ces trois personnalités, de Bamako à Kidal. Le sort de ces trois disparus était décidé par un comité restreint, composé du Président Modibo Keita et d’autres personnes. En février 1964, ce comité restreint a envoyé un rack au gouverneur de Kidal, dans lequel était écrit : ‘’Faites voler définitivement les trois oiseaux’’. C’est ainsi que le 12 février 1964, les militaires et gardiens de prison de Kidal les ont conduits manu-militari, dans une destination inconnue, vers Tessalit pour les fusiller. Avant de les fusiller, Fily Dabo Sissoko, a demandé aux gardes de ne pas les fusiller dans leurs dos et de ne pas jeter leurs corps à l’air libre, à la merci des vautours. Ce que les fusilleurs ont accepté. Ainsi, Hamadoun Dicko qui était le plus jeune (presque 40 ans), a creusé une fausse commune pour les trois. A la fin, il a enlevé sa bague, il a donné à l’un des gardes pour remettre à sa fille. Quand à Fily Dabo Sissoko, il a dit ceci : ‘’Si Dieu voit tout et entend tout. Allez-y dire au Président Modibo Keita, qu’il viendra me trouver ici. Le Mali va manger ses enfants comme l’hippopotame mange ses enfants…’’. C’est après ces paroles malédictives que les coups de canon ont retenti. », témoignent-ils.
Abdoulaye Massinankè, 62 ans enlevé par l’armée malienne à Kona
Ousmane Massinankè, 41 ans, bijoutier, marié, fait un témoignage sur son père, Abdoulaye Massinankè, 62 ans, à l’époque, Bijoutier, marié à trois femmes et père de 23 enfants, enlevé par l’armée malienne en 2013 à Kona et disparu par la suite. Il raconte : «En 2013, dix jours après la libération de Kona des mains des djadjistes, trois militaires maliens bien armés sont venus à la bijouterie demandés mon père Abdoulaye Massinankè. Je les ai conduits à la bijouterie de mon père. C’est là-bas, qu’ils l’ont enlevé à 10 heures. Ils l’ont emmené dans leur véhicule et partir au camp militaire de Kona. Je les ai suivis à moto, jusqu’à la porte du Camp où ils ont refusé de me laisser entrer. Après, je suis retourné à la maison prendre de la nourriture pour mon père. Mais arrivé à la porte du Camp, de 14 heures jusqu’à 17 heures, ils ont encore refusé de me laisser entrer avec la nourriture. Finalement je suis rentré à la maison sans avoir vu mon père. Le lendemain, j’ai informé tous les notables de Kona. Ils sont partis plaider le sort de mon père auprès des militaires. Mais hélas sans succès. Le troisième jour les militaires à la porte du Camp m’ont dit, qu’on a transféré mon père à Sévaré. Je suis allé à Sévaré, je l’ai cherché partout dans les camps militaires et les prisons mais, encore sans succès. C’est à mon retour à Kona, que j’ai informé la famille de sa disparition. Depuis ce jour, on ne l’a jamais revu, jusqu’aujourd’hui. C’était lui la colonne vertébrale de la famille. Il a laissé 3 femmes et 23 enfants. Chaque fois les enfants me le demandent. Mais, je ne sais pas quoi leur dire. Et pourtant, quand les militaires maliens étaient arrivés à Kona, nous étions très contents et fiers. Mais le sort qu’ils nous ont réservé était impensable. »
Les parents des victimes recommandent !
A la fin de leurs récits, les parents des victimes ont tenu à faire des recommandations à l’endroit de l’Etat malien et à l’opinion nationale et internationale. «Nous voulons que les rapports de la CVJR ne tombent pas dans les oubliettes. Nous ne voulons pas savoir qui a fait quoi à notre frère CABRAL. Mais que les autorités nous montrent seulement sa tombe pour nous permettre de faire notre deuil. Les Maliens doivent sortir de l’injustice, du vol, de la corruption et du mensonge et que Dieu donne au Mali, un dirigeant qui ne mont pas, ne vole pas… », soulignent-ils.
Oumar Hamadoun Dicko, El-Hadj Boua Kanté Sissoko et Mamadou Touré recommandent également : «Nous avons déjà pardonné à leurs bourreaux. Mais que cela ne se reproduise plus. Que les autorités nous montrent les lieux du crime pour nous permettre de faire notre deuil. La restitution du prix littéraire de Fily Dabo Sissoko, qui lui a été décerné à Dakar à la famille. Que l’État organise une grande cérémonie nationale de prière et de réconciliation pour un pardon collectif aux victimes pour que les dirigeants maliens cessent d’être humiliés par la population et pour que le Mali cesse de manger ses enfants comme l’hippopotame mange ses enfants. »
Pépin Narcisse LOTI / Afrikinfos-Mali