Elles sont incontestablement de plus en plus nombreuses. Partout en Afrique, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Mali, au Burkina Faso, les blogueurs se rassemblent au sein d’associations. Soutien technique à la société civile, activisme… certaines sont devenues plus ou moins consciemment des acteurs du jeu politique national. Plongée dans l’univers de ces blogueurs qui révolutionnent la pratique démocratique sur le continent.
Sur le continent africain, peut-être plus qu’ailleurs, bloguer est souvent une affaire politique. “C’est un excellent moyen de contourner un système politique verrouillé et on ne peut honnêtement pas se dire loin de l’activisme”, confie René Jackson Nkowa, président du Comité des blogueurs camerounais (une quarantaine de personnes*), qui admet cependant que, dans son pays, “les blogs font très peu l’objet de surveillance et de répression de la part du pouvoir”.
Ailleurs, la libre expression est parfois plus difficile à assumer. Elle est même parfois contrainte à la semi-clandestinité quand elle se heurte frontalement au pouvoir. “Si on prend l’exemple du Tchad”, explique Baki Youssouphou, blogueur fondateur de We Sign It et fin connaisseur des réseaux d’activistes numériques africains, “on peut dire que tenir un blog et être membre du principal parti d’opposition revient à peu près au même”.
Le blogueur et militant des droits de l’homme tchadien Makaila Nguebla, expulsé dans la nuit du 7 au 8 mai 2013 vers la Guinée-Conakry par les autorités sénégalaises, en a fait l’amère expérience. Tout comme, plus à l’Ouest, en Côte d’Ivoire, Mohamed Diaby et Cyriac Gbogou, qui ont été interrogés par la police, le 4 janvier 2013, pour “interférence dans le fonctionnement de l’administration et dans l’information” lors de la bousculade mortelle du Plateau, la nuit du 31 décembre 2012.
“Dépasser la censure”
Deux épisodes aux significations politiques peu comparables mais qui mettent en lumière l’une des motivations principales des blogueurs du continent pour se regrouper : aller vers plus de sécurité. “Il est essentiel de nous connaître et de nous soutenir mutuellement”, explique Justin Yarga, président d’une association regroupant une quinzaine de blogueurs burkinabè. Si un de ses membres “était menacé par le pouvoir”, le groupe acquerrait dès lors un rôle de médiateur, ajoute-t-il.
“Faire partie d’un réseau, quel qu’il soit, confère une certaine sécurité”, renchérit Demba Guèye, initiateur du hashtag #Kebetu au Sénégal et coordinateur de la Ligue des blogueurs africains. “Toute entrave à la marche d’un des éléments peut créer des réactions en chaîne et des séismes pouvant dépasser les instigateurs de cette censure”, ajoute-t-il, fort de l’expérience sénégalaise, qui a particulièrement marqué les esprits lors de la dernière élection présidentielle.
Il faut que le pouvoir en place sache qu’il y a une veille active autour de ses actions.
Lancinet Sangaré, Blogueur malien
Dans le cas de Mohamed Diaby et Cyriac Gbogou, la pression des internautes africains, initiée par des groupes ivoiriens, mais également sénégalais, a favorisé une libération relativement rapide des intéressés. Sécurité des membres donc, en particulier grâce à la capacité d’alerte des associations.
Un exemple sénégalais, une particularité ivoirienne
Lancinet Sangaré, président de l’association des blogueurs du Mali (une trentaine de membres), ne fait pas mystère de l’exemple que représente le voisin sénégalais, notamment avec l’expérience #Sunu2012 ou plus récemment lors des pénuries d’eau. Et les liens sont forts entre les communautés de Dakar, dont le blogueur Cheikh Fall, et de Bamako. Mais, au-delà, c’est toute l’Afrique de l’Ouest qui bénéficie de l’expérience sénégalaise et qui se reconnaît aujourd’hui dans un rôle, plus ou moins activiste, de veille démocratique. Au Cameroun, au Burkina Faso, au Togo, où trois jeunes blogueurs ont l’ambition de fédérer leur communauté. “Il faut que le pouvoir en place sache qu’il y a une veille active autour de ses actions. Le Mali vient de loin. C’est pourquoi nous ne laisserons pas faire”, explique notamment Lancinet Sangaré.
Les Ivoiriens semblent plus nuancés. “Nous ne pensons même pas au pouvoir. Que ferions-nous avec lui ?”, s’interroge Edith Brou, vice-présidente de ABCI (Association des Blogueurs de Côte d’ivoire, qui compte une vingtaine de personnes). “La politique est un univers qui ne rentre dans aucune de nos aspirations, nous disons et pensons ce qui peut aider notre pays à avancer et prospérer”, explique-t-elle, concluant : “Nous sommes les interlocuteurs de chaque Ivoirien”. Une exception? “La Côte d’Ivoire agit différemment du Sénégal”, confie Baki Youssouphou. “Là bas, les blogueurs se considèrent davantage comme le support technique d’une société civile qui, grâce à eux, peut agir sur Internet”.
Des ambassadeurs
En quelques années, d’individus isolés, les blogueurs sont progressivement devenus des interlocuteurs du pouvoir, des entités dans une vie politique qui s’ouvre au monde de l’Internet, comme en témoigne l’intérêt croissant des dirigeants du continent aux nouvelles technologies et aux réseaux sociaux. “Aujourd’hui, nous sommes capables de toucher des citoyens et même de plus en plus les gouvernants qui ne sont plus indifférents à ce qui se dit sur les médias sociaux”, résume Justin Yarga, au Burkina Faso.
Même si ce n’est, au fond, pas leur but premier, les associations de blogueurs ont dans leur ADN une dose d’activisme politique. En l’assumant de plus en plus ouvertement, celles-ci pourraient aller jusqu’à avoir un impact profond sur les pratiques démocratiques. Car si le système politique est parfois verrouillé, le web, lui, est beaucoup plus ouvert et de plus en plus accessible.
*Les chiffres indiqués tiennent compte des membres des associations. Ils peuvent en revanche être beaucoup plus élevés si l’on y inclut les “sympathisants”.